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Vraie compétition et faux-semblants

Dossier | publié le : 01.09.2011 | G.D.

Plus que les fondations, dont l’enjeu financier est encore faible, ce sont les appels à projets pour obtenir des fonds publics extrabudgétaires qui mettent les facs en concurrence.

Laurent Wauquiez peut avoir le sourire. À peine nommé ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche en remplacement de Valérie Pécresse, c’est à lui qu’il revient de jouer les Père Noël en annonçant les trois premiers lauréats des appels à projets des « initiatives d’excellence » (Idex) choisis au titre du grand emprunt : les universités de Strasbourg et de Bordeaux et le pôle de recherche et d’enseignement supérieur (Pres) Paris Sciences et Lettres, qui réunit Normale sup, le Collège de France, Chimie ParisTech et Dauphine.

Choisis parmi sept candidats, ces trois groupements universitaires obtiendront plusieurs dizaines de millions d’euros chaque année (correspondant aux intérêts d’un capital de 500 millions à 1 milliard d’euros alloué à chaque établissement). Bien réelles, ces dotations en capital destinées aux Idex, qui atteindront à terme 7,7 milliards d’euros, sont présentées comme des leviers pour créer des pôles universitaires du XXIe siècle. Elles constituent aussi un affichage politique fort dont l’annonce a été à peine obscurcie par la publication le même jour, dans le quotidien les Échos, d’une tribune cosignée par 59 présidents d’université et hauts fonctionnaires anonymes réclamant « une augmentation réelle du budget des universités et de la recherche ». Ce groupe, baptisé Marc Bloch, y dénonce les « tours de passe-passe budgétaires » de l’ex-ministre Pécresse. Beaucoup craignent que les annonces de financements extra­budgétaires ne masquent des dotations courantes en berne.

Dans ce contexte d’incertitude budgétaire, la « concurrence » entre établissements dénoncée par les syndicats et les collectifs comme Sauvons l’Université ! existe bel et bien. Dans le cadre défini d’appels d’offres, avec des projets soumis à l’examen de jurys, les universités sont entrées en compétition au travers des financements de l’opération Campus et du grand emprunt censés drainer vers les facs des dizaines de millions d’euros d’un argent public qui reste, et de très loin, leur première ressource budgétaire. « Il y a un double mouvement, note un ancien haut fonctionnaire. D’un côté, on a assisté à des regroupements avec les Pres, qui réunissent plusieurs établissements avec des synergies variables. De l’autre, il y a entre ces regroupements et/ou les universités une vraie concurrence pour tout ce qui est appel à projets ; l’opération Campus, les financements ANR [Agence nationale de la recher­che] et Investissements d’avenir. La compétition est même assez sévère puisque, entre les divers candidats et le nombre de projets sélectionnés, l’ordre de grandeur est de 1 à 3. Mais, au bout du compte, il n’y en a pas beaucoup qui louperont tout. » Comprendre : les mannes extrabudgétaires ouvertes par le gouvernement devraient profiter à une grande partie des universités. Mais à des degrés divers.

Pour mettre toutes les chances de leur côté et être sûrs de capter un maximum de ces nouveaux financements, les établissements ont fait appel à des cabinets de conseil. Alcimed, BearingPoint, Deloitte, Erdyn, Capgemini, Ineum ou McKinsey se disputent des marchés d’avenir, pour le moment, évalués à quelques centaines de milliers d’euros. Selon le Bulletin officiel des annonces des marchés publics, le coût d’un dossier pour répondre, par exemple, à l’appel d’offres d’un projet de recherche dit « laboratoire d’excellence » (Labex) a atteint 25 000 euros quand celui pour un dossier d’« initiative d’excellence » (Idex) pouvait osciller autour de 150 000 euros.

À Bordeaux, la facture a grimpé jusqu’à 294 100 euros (hors taxes) pour un contrat avec Kurt Salmon et Erdyn. C’est très cher mais l’investissement s’est avéré payant… « Nos consultants [Alcimed, ndlr] sont intervenus sur la mise en forme de tous les documents financiers, pas sur l’écriture ni sur le fond. Ce travail-là a été effectué par les personnels sur le terrain », témoigne Hugues Brunet, délégué général du Pres Hesam – Hautes écoles-Sorbonne (Paris I)-Arts et Métiers –, qui loue l’apport de ces nouvelles compétences dans un laps de temps contraint où les universités ont dû, tout à la fois, ­gérer leur nouvelle autonomie et répondre à une avalanche d’appels d’offres. « Nos équipes ont dû travailler de jour, de nuit et le week-end », rapporte le délégué général du Pres.

Levée de boucliers syndicale.Tous ne partagent pas cet avis, notamment les syndicats, pour qui cette « sous-traitance » auprès d’« officines » a contribué de manière « indécente » « aux gaspillages financiers associés à la course au label d’excellence » (Snesup). Sur un autre registre, la possibilité offerte aux universités d’avoir recours au fundraising a également suscité une levée de boucliers de la part des syndicats et collectifs contre l’autonomie qui y ont vu un risque de « privatisation » larvée ou de « soumission » de la fac aux « intérêts du privé ». Malgré le lancement de 39 fondations depuis 2007, cette interprétation mérite toutefois d’être relativisée. Le fundraising ? « Nous n’aspirons pas à avoir une levée de fonds faramineuse. Je pense d’ailleurs que ce ne serait pas sain. Nous envisageons en revanche notre fondation comme un lieu de rencontre pour des projets en commun, et nos contributeurs les plus importants sont purement locaux », indique Jacques Fontanille, président de l’université de Limoges, dont la fondation sera opérationnelle à la rentrée 2011. « C’est une opportunité pour les universités de travailler avec un ensemble de parties prenantes économiques sur un territoire », estime Ève Durquety, consultante chez KPMG et corédac­trice du « Guide des bonnes pratiques en matière de fondations partenariales et universitaires », réalisé en association avec la Conférence des présidents d’université et le Crédit coopératif.

De fait, la collecte de fonds paraît presque accessoire si l’on s’en tient à cette définition, et la compétition est bien ­timide. « Pour l’instant, l’enjeu financier est faible car c’est une pratique culturelle nouvelle », souligne Ève Durquety. Les 39 fondations d’université auraient levé jusqu’à ­présent 80 millions d’euros. Une somme ridicule si on la compare avec HEC, dont la fondation avait, fin 2010, déjà levé 78 millions d’euros sur les 100 millions que la grande école de Jouy-en-Josas s’était fixés ? pour la période 2008-2013. Il faut dire que, en formant depuis des décennies des dirigeants d’entreprise et en s’adressant prioritairement à eux lorsqu’il s’agit de ­récolter des fonds, les grandes écoles ont un avantage incomparable sur les universités.

« Il est plus facile pour une université qui entretient des liens avec des entreprises, telles les facs scientifiques, de faire du fundraising, relève Bernard Bazillon, directeur national économie sociale et solidaire chez KPMG. Mais les entreprises sont hypersollicitées, et si on veut approcher les grands comptes, il faut avoir un réseau d’anciens. » Une préoccupation jusqu’ici exotique pour une grande majorité de facs et qui pose la question du sentiment d’appartenance des étudiants à leur établissement. À 20 000 étudiants par fac contre 800 dans une école, ce n’est pas gagné, et ce « changement culturel » pourrait prendre une génération…

À l’heure actuelle, la première source de financement privé des facs reste donc les droits d’inscription, et se battre pour attirer un maximum d’étudiants constitue toujours une priorité. Cela devrait continuer puisque la concurrence des futures fondations hospitalières ne devrait pas faciliter la tâche des fundraisers universitaires.

Hugues Brunet
Délégué général du Pres Hesam

“Le contexte de la mondialisation nécessite des têtes de pont. Il y a toujours compétition dès lors qu’on sort de l’Hexagone.”

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  • G.D.