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Des liaisons nécessaires

Dossier | publié le : 01.09.2011 | R.L.S.

Leur nouvelle mission d’insertion pousse les universités à se rapprocher de la sphère économique. Avec le risque de favoriser les seules formations répondant aux besoins des entreprises.

À en croire les entreprises, la loi relative aux libertés et responsabilités des universités (LRU) aurait bouleversé les liens qu’elles nouent avec les établissements. Pourtant, même si elle confie une nouvelle mission au service public de l’enseignement supérieur, l’orientation et l’insertion professionnelles, pas de révolution à l’horizon. La réforme de 2007 aurait seulement permis de continuer de tisser la toile entre l’univers professionnel et le monde universitaire. « Pour un établissement comme le nôtre, professionnalisé depuis ses débuts, ce n’est pas une nouvelle mission, estime Simone Bonnafous, présidente de l’Université Paris-Est Créteil Val-de-Marne (Upec). La LRU ne nous a pas métamorphosés, mais elle a valorisé notre image globale. On sent le changement de regard, les entreprises sont davantage attirées vers nous. »

Une nouveauté, tout de même : le bureau d’aide à l’insertion professionnelle (BAIP) devient l’interlocuteur unique des entreprises en centralisant les informations des bureaux de stages des différentes unités de formation et de recherche (UFR) de chaque université. En cette fin d’année scolaire, il n’y a pas foule à celui de Créteil, une université qui accueille 32 000 étudiants. Hormis un jeune homme qui se fait aider pour la rédaction d’une lettre de motivation par une conseillère d’orientation. Pourtant, Athmane Bakhta, 20 ans, qui travaille à l’accueil de la structure, témoigne de l’utilité du BAIP : « En licence 3, les étudiants cherchent leur premier stage, ils sont souvent un peu perdus, ils doivent être méthodiques dans leur recherche et nous les y aidons. » D’autant plus qu’« il y a de plus en plus de stages intégrés aux formations à partir de la licence 3, surtout dans les filières scientifiques », précise Élisabeth Alimi, directrice du BAIP.

Cet intermédiaire entre l’université et le monde du travail a le mérite de faciliter les démarches des entreprises en recherche d’étudiants en alternance ou de stagiaires. Un calendrier des différentes périodes de stages de toutes les filières a été réalisé « dans un souci de visibilité extérieure et pour s’adapter aux contraintes des entreprises », indique Dominique Chalew, chargée de l’insertion professionnelle. En revanche, « très peu d’étudiants connaissent l’existence des BAIP, constate Emmanuel Zemmour, président de l’Union nationale des étudiants de France (Unef). Quoi qu’il en soit, l’université n’est pas un bureau de recrutement, ni le Pôle emploi des jeunes. Ce qu’ils veulent, c’est un diplôme de référence reconnu. C’est le seul moyen de s’assurer que chacun a les mêmes chances de trouver un emploi à la sortie ».

L’Université du littoral Côte d’Opale n’a pas non plus attendu 2007 pour se rapprocher du Medef ­local et favoriser l’insertion professionnelle, en l’associant, par exemple, à la mise en place de licences et de masters pros. Des contacts privilégiés officialisés en 2008 par une convention. « La loi LRU n’a pas changé grand-chose. Elle a peut-être permis d’éclaircir les relations entre universités et entreprises », estime Saâd Bouhsina, vice-président de l’université chargé de l’insertion professionnelle. Même écho du côté de la présidence de l’université Montpellier 3. Anne Fraïsse, également vice-présidente de la Conférence des présidents d’université, le constate : « La loi LRU n’est qu’une continuation, mais il faudra du temps pour que ce processus de rapprochement universités-entreprises s’opère. Il y a encore beaucoup d’ignorance entre les deux univers. » Montpellier 3, université des sciences humaines par excellence, n’a pas attiré les investis­sements des entreprises facilités par la loi LRU : « Elles ne vont pas vers ce type d’uni­versité. Mon budget extérieur n’a pas augmenté depuis 2007 », note Anne Fraïsse. Puisque la LRU accroît leur part de financement, une des craintes les plus importantes du mouvement de contestation universitaire contre la loi était justement que les ­filières lettres et sciences humaines soient délaissées, car moins rentables aux yeux des entreprises.

Incitations fiscales.Un des objectifs de la loi LRU étant de diversifier les sources de financement des établissements, les entreprises sont fiscalement incitées à donner. Les dons aux fondations sont déductibles de l’impôt sur les sociétés à hauteur de 60 %, dans la limite de 5‰ du chiffre d’affaires, avec cumul possible sur cinq ans. C’est ce qui a poussé Orange à verser davantage aux universités, comme le reconnaît Sylvie Cluzel, directrice des relations écoles et filières métiers : « L’attractivité fiscale lève les freins. » Si l’entreprise a choisi d’être présente dans le conseil d’administration de l’université Grenoble 1 et de créer une fondation avec Rennes 1 et Cergy-Pontoise, c’est parce que « nous avons des bassins d’emploi et de recrutement dans ces zones », assure Sylvie Cluzel.

À Cergy, l’entreprise a demandé l’ouverture en apprentissage de formations en IUT et d’une licence pro « adaptée à nos besoins en techniciens, justifie-t-elle. Nous investissons dans des formations et nous accueillons ensuite des jeunes en apprentissage. L’intérêt est dans les deux sens ».

Orange consacre 100 000 euros par an aux fondations universitaires. « Les grandes écoles ont bien compris les besoins des entreprises, la manière dont nous structurons nos équipes, etc. Les universités, moins. Mais, depuis la loi LRU, ça s’améliore, elles nous démarchent davantage », indique encore Sylvie Cluzel. Le revers de la médaille ? « Paradoxalement, certaines formations professionnelles en IUT ont été mises en difficulté par la loi LRU, puisque si un institut ne fait pas partie des priorités locales d’un établissement, cela se traduit par des coupes budgétaires », dénonce Stéphane Tassel, secrétaire général du Syndicat national de l’enseignement supérieur-Fédération syndicale unitaire. Selon lui, pas de miracle, pour améliorer réellement l’insertion professionnelle des étudiants, il faut y mettre les moyens. Petit rappel : pour un étudiant en classe préparatoire aux grandes écoles, l’État débourse 13 000 euros par an… et moitié moins pour un élève de licence en fac.

Aider les étudiants à se valoriser. Des initiatives partant du constat du manque de liens entre les mondes du travail et universitaire ont fleuri dans le sillon de la loi LRU. Figure emblématique de la lutte anti contrat première embauche (CPE), Julie Coudry a donné naissance à La Manu, une agence indépendante pour le développement des liens entre étudiants et entreprises : « Le mouvement du CPE en 2006 a posé la question des emplois à l’issue de la fac. Nous sommes convaincus que les étudiants de l’université ont du talent et qu’il faut qu’ils apprennent à se valoriser. Nous les aidons simplement à se rapprocher des entreprises. » Et ce à grand renfort de simulations d’entretien, de speed dating et de projets de collaboration entre étudiants et professionnels. Depuis 2009, 12 000 étudiants ont participé aux événements organisés par La Manu, et 400 d’entre eux ont été porteurs de projet.

Autre initiative, Campus360, une agence de communication RH spécialisée dans les relations entreprises-universités, qui « doivent créer un cercle vertueux : il faut que les compétences apprises soient le plus en rapport avec les besoins des entreprises. C’est pour cela que la loi LRU va dans le bon sens », estime Éric Charvet, son directeur général. Autre atout à ses yeux : « Diversifier les recrutements en les ouvrant aux universités, et pas seulement aux grandes écoles, évite la consanguinité. »

Sylvie Cluzel
Directrice des relations écoles et filières métiers chez Orange

“Nous investissons dans des formations et nous accueillons ensuite des jeunes en apprentissage. L’intérêt est dans les deux sens.”

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  • R.L.S.