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Vie des entreprises

Zara plus généreux que H&M avec ses vendeurs

Vie des entreprises | Match | publié le : 01.06.2011 |

Moins de temps partiel et de turnover, un salaire de base un peu supérieur, une polyvalence limitée… L’enseigne espagnole de vêtements bon marché est plus accueillante que le modèle suédois.

De mémoire de syndicaliste, il n’y a pas eu unjourde grève en dix ans chez Zara France. « Il a failli y avoir un débrayage il y a deux ans, se souvient Michel Parras, de la CGT-FO. Un directeur de magasin très apprécié des salariés avait été muté. Pour lui montrer sa solidarité, son équipe a voulu marquer le coup, mais finalement la grève n’a pas eu lieu. » Ambiance nettement moins sereine chez H & M, le concurrent suédois de l’enseigne espagnole. En novembre 2009, un employé des entrepôts du Bourget a menacé avec un cutter un responsable des ressources humaines lors d’une réunion du CHSCT avant de tenter de se suicider en s’entaillant les veines. Depuis deux semaines, lui et ses collègues étaient en grève contre un projet de filialisation de leur site, chargé d’approvisionner les magasins de vêtements du groupe en France. Ce foyer de contestation a fini par être séparé de H & M France, « pour couper la tête des syndicats à H & M puisque, dans les magasins, les salariés vendeurs, souvent jeunes et précaires, sont moins syndiqués », selon Gérard Sierpakowski, secrétaire fédéral à la Fédération des services CFDT. En 2008, des grèves ont aussi touché des magasins H & M parisiens, notamment celui de l’Opéra.

Il faut dire que les 4 500 salariés de H & M France ont plus de raisons de se rebiffer que les 4 250 employés de Zara France. Côté salaire, les vendeurs de base de chez H & M gagnent en moyenne 1 120 euros net par mois pour 35 heures. Et il ne faut pas compter sur l’ancienneté pour améliorer l’ordinaire. Nicolas a commencé à travailler chez H & M car c’était le seul moyen qu’il avait trouvé, à l’époque, pour échapper au service militaire. Le temporaire a duré, et cela fait maintenant dix ans qu’il est vendeur au magasin d’Annecy. C’est un des doyens de la boutique, et il touche 1 100 euros net par mois. Quant à l’intéressement au chiffre d’affaires national, « avant, cela représentait un salaire et demi ou deux par an et, depuis deux à trois ans, à peine un mois ». Les augmentations de salaire collectives sont « ridicules », selon Nicolas, devenu délégué syndical Force ouvrière il y a un an et demi. L’an dernier, la hausse a été de 0,4 %: « Ça fait 6 euros par mois en plus, même pas de quoi acheter un paquet de couches pour ma fille », lâche-t-il. Les salariés ont quand même droit à un treizième mois.

Primes et treizième mois. Chez Zara, le minimum est le smic plus 6 %. À quoi s’ajoutent des primes si le vendeur encaisse les clients, par exemple, une partie variable en fonction du chiffre d’affaires réalisé dans la section d’attache (hommes/femmes/enfants) du magasin ainsi qu’un treizième mois. Selon la direction, le salaire mensuel net moyen est de 1 280 euros, là encore sur une base de 35 heures.

Mais les enseignes de prêt-à-porter sont les championnes du temps partiel. Leur personnel est plutôt jeune – la moyenne d’âge frôle les 30 ans chez H & M, et la majorité de l’équipe de vente a entre 18 et 25 ans chez Zara, où près de 75 % des salariés sont des femmes (autant que chez H & M). Comme les responsables de magasin ont surtout besoin de main-d’œuvre aux heures de pointe, mieux vaut cinq paires de bras à temps partiel qui peuvent travailler pendant le rush plutôt que trois à temps complet…Chez H & M, près de 60 % des vendeurs sont à temps partiel. Et alors que Zara ne propose pas de contrat de moins de dix-huit heures, H & M s’autorise à aller en deçà. Des petits contrats qui arrangent les étudiants, comme Yuna, 25 ans, qui a travaillé comme vendeuse à Rennes durantunan : « H & M est une des rares boîtes à offrir des CDI de huit heures par semaine, c’est ce qu’il me fallait », souligne-t-elle.

Alors que Zara ne propose pas de contrat de moins de dix-huit heures, H&M va en deçà

« En 2009, sur l’effectif total de Zara France, 40 % étaient à temps complet et 60 % à temps partiel. En 2010, nous avons inversé la tendance : on comptait 40 % de temps partiels », se félicite Virginie Reiss, responsable RH Europe d’Inditex, propriétaire de Zara, mais aussi de Bershka, Massimo Dutti ou Oysho. Une inversion due, selon elle, à une solution innovante : les 35 heures sur deux magasins. « Puisque nous avons besoin de flexibilité et de plus de personnel pendant les heures d’affluence, nous devons garder des salariés à temps partiel. Par contre, nous leur proposons de le compléter en travaillant dans un autre magasin », explique Jean-Jacques Salaün, directeur général d’Inditex France.

Cette organisation du travail, qui n’est possible que dans les villes où au moins deux magasins Zara sont implantés, a permis à « près de 600 salariés de sortir de la précarité depuis 2006 ». Trois jours par semaine, Maimuna enfile son costume noir de vendeuse au magasin Zara d’Opéra. Le mardi et le jeudi, elle travaille boulevard Haussmann, le premier magasin français inauguré en 1990. « Au début, je cherchais un temps complet, mais je me suis résignée, sachant que, dans le prêt-à-porter, c’est très difficile à trouver, témoigne la jeune fille. J’ai commencé au magasin Opéra de Zara avec un contrat de vingt-deux heures. Au fur et à mesure, j’ai fait mes preuves et on m’a proposé un “35 heures double magasin”. Le seul inconvénient, c’est que je ne travaille pas deux jours consécutifs dans la même boutique. »

Dans ces magasins, plus de 10 % du personnel possède ce genre de contrat. « Depuis 2006, le turnover est moins important, les gens sont plus motivés. La seule raison que les vendeurs avaient de partir était d’obtenir un temps complet ailleurs », assure Simon El Idrissi, directeur du magasin Opéra. Le turnover des vendeurs à temps complet se situe autour de 16 %, alors que celui des temps partiels oscille entre 80 et 85 %, « sachant qu’après les soldes d’été beaucoup d’étudiants en contrat de dix-huit heures s’en vont. En octobre, on en recrute donc une nouvelle vague », précise la DRH de Zara. À la direction de H & M, on ne donne pas de chiffres mais, selon les syndicats, un quart des salariés est dans l’entreprise depuis moins d’un an, et seulement une centaine en France a plus de dix ans d’ancienneté, alors que H & M s’est implanté en 1998 dans l’Hexagone.Chaque année, selon les syndicats, un millier de collaborateurs démissionne de l’enseigne, soit près d’un quart du personnel.

Promotion interne. Pour éviter l’hémorragie, les deux groupes concurrents comptent sur la promotion interne. Simon El Idrissi se qualifie lui-même de « produit Zara » puisqu’il a commencé avec un contrat de vingt-quatre heures comme vendeur avant d’obtenir un temps complet et, ensuite, d’accéder à la direction d’un magasin, véritable Graal. « Certains directeurs de magasin ont le niveau bac, d’autres bac + 7, peu importe. Tous les ans, 430 personnes suivent des séances de formation pour évoluer vers des postes à responsabilité, dans les ressources humaines, le commercial, etc. », indique Jean-Jacques Salaün. Chez H & M, « en 2010, en France, plus de 95 % des directeurs de magasin étaient issus de la promotion interne et plus de 80 % des collaborateurs du siège travaillaient auparavant en magasin », souligne Dominique Fantaccino, DRH de l’enseigne en France.

À 200 mètres du Zara Opéra, Hava, 23 ans, encaisse les clients à une cadence infernale au H & M du boulevard Haussmann. Elle a commencé à travailler comme vendeuse dans l’enseigne après le bac, il y a trois ans, car elle savait qu’elle pourrait « évoluer » et, d’ailleurs, elle espère bien devenir responsable de rayon d’ici à trois mois. Quand elle est du matin, elle « fait le camion », c’est-à-dire qu’elle décharge les livraisons de vêtements, quotidiennes dans les magasins parisiens, et les met en place de 7 heures à 10 heures. Ensuite, Hava alterne entre la caisse, le « cleanage », autrement dit le rangement des rayons, le pliage, la récupération des vêtements en cabine. Sur le chemin, elle renseigne les clients, toujours avec le sourire, et parfois donne des conseils.

Selon les syndicats, seuls une centaine de salariés de H & M ont plus de dix ans d’ancienneté

Pas évident de repérer les vendeurs qui, chez H & M, sont libres de choisir leur tenue. Seul leur minibadge indiquant leur prénom les différencie de la clientèle. Les bras remplis de cintres, Hava explique : « Normalement, on vide le “horse” en quinze minutes. » Comprenez : on prend les vêtements du portant pour les mettre dans les rayons à bonne allure. Pendant ce temps, un « visuel marchandiseur », écarlate, trimballe tant bien que mal un mannequin. Parfois les vendeurs aident ces décorateurs étalagistes à mettre les vitrines en place.

Cette polyvalence a fini par user Fatima, vendeuse aux Halles : « On porte des boîtes de 3 à 7 kilos, on passe de la livraison à la mise en rayons, il y a beaucoup de manutention. De nombreux jeunes se retrouvent avec des maux de dos, des tendinites,des sciatiques », dénonce cette déléguée syndicale CFDT. Elle envierait presque les vendeurs de Zara qui, selon elle, « ont des conditions de travail moins difficiles. Ils font de la vente traditionnelle et une personne spécifique s’occupe de la caisse ». Pour le travail dominical, pas de différence : les deux enseignes rémunèrent leurs salariés le double et leur accordent un jour de récupération. Les heures de nuit sont aussi payées double, au H & M des Champs-Élysées, par exemple, qui ferme à minuit.

Une histoire familiale attachante. Finalement, les salariés de Zara semblent plus attachés à leur entreprise, si l’on en croit Michel Parras, délégué syndical CGT-FO : « Le personnel est sensible à l’histoire familiale de l’entreprise, à cette success story à l’espagnole. Amancio Ortega a une vision plutôt sociale » (voir l’encadré ci-contre). La réussite de la famille Persson, fondatrice de H & M, émeut moins son personnel : « On est très très loin des valeurs et du modèle suédois », regrette Hassiba Gaoui, vendeuse et déléguée syndicale CGT-FO. Pour son collègue Nicolas Levy, « l’esprit H & M, c’est de la poudre aux yeux. Le responsable de magasin vous dit “tu”, on s’habille comme on veut, etc. Quand on entre dans la vie professionnelle, c’est cool, mais en fait… ». Pour se consoler, il reste la réduction personnelle de 25 % sur l’ensemble des achats H & M, comme le rappelle la direction. Elle est de 15 % chez Zara.

Zara

Chiffre d’affaires (en France) : 800 millions d’euros

Effectif (en France) : 4 250 salariés

Principal actionnaire : Amancio Ortega

H & M

Chiffre d’affaires (en France) : 1 milliard d’euros

Effectif (en France) : 4 500 salariés

Principal actionnaire : Stefan Persson

Des success stories aux recettes différentes

Inditex (dont Zara représente les deux tiers du chiffre d’affaires) est le leader mondial de l’habillement, H & M, le troisième derrière Gap. Les deux enseignes, l’espagnole et la suédoise, partagent un même credo, la mode au meilleur prix, mais les deux modèles sont radicalement opposés. Parti de rien, Amancio Ortega a ouvert son premier magasin Zara en 1975 à La Corogne (Galice). Trente-quatre ans plus tard, il est la septième fortune mondiale, selon la revue Forbes, et possède 1 500 magasins Zara, dont 117 en France. C’est aux États-Unis qu’Erling Persson a trouvé l’inspiration pour produire en masse des vêtements à petits prix. En 1947, il crée son premier magasin H & M à Västeras, en Suède. Aujourd’hui, il en a 2 200 dans le monde, dont 151 en France.

Zara pratique le plus tendu des flux : au moins deux fois par semaine, les responsables de magasin passent commande. Grâce au réseau logistique d’Inditex, les magasins sont livrés en trente-six heures maxi par camion ou quarante-huit heures par avion. Zara produit peu de vêtements du même modèle pour inciter les clients à se rendre régulièrement en boutique. Chaque année, ses 250 stylistes d’Arteixo (Galice), le QG d’Amancio Ortega, concoctent 17 000 modèles différents. H & M et ses 160 stylistes misent plus sur la quantité. Même si H & M livre ses magasins presque tous les jours, les modèles sont commandés longtemps à l’avance et arrivent par bateau, le plus souvent. Un mode de transport lent, quasiment exclu par Inditex. H & M ne possède aucune usine et sous-traite 60 % de sa production en Asie, le reste, surtout en Europe. Les usines espagnoles d’Inditex, en revanche, produisent la moitié des produits Zara ; 34 % sont délocalisées en Asie, 14 % dans d’autres pays européens et 2 % en Amérique. H & M dépense beaucoup en communication, à grand renfort de people comme Madonna. Zara, au contraire, n’a aucun budget publicité mais compte sur ses vitrines, particulièrement soignées, sur lesquelles planchent 25 étalagistes, à Arteixo. Ni Amancio Ortega ni sa fille Marta, son futur successeur, ne donnent d’interview. Mystère et rareté entretiennent la légende. R.L.S.