logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Vie des entreprises

Comment Roberto Cirillo pilote la diversification de Sodexo

Vie des entreprises | Méthode | publié le : 01.06.2011 | Laure Dumont

Image

Trois secteurs d’intervention dominant (en %)

Crédit photo Laure Dumont

Leader de la restauration collective, Sodexo France s’oriente vers une offre de « solutions globales de services sur sites ». Une mutation qu’orchestre son DG en ayant soin de doper la formation et d’impliquer les managers de proximité.

Qui aurait parié que la petite entreprisemarseillaise d’hôtellerie maritime créée au début du XXe siècle par la famille Bellon deviendrait une centaine d’années plus tard le vingt et unième employeur mondial et le deuxième employeur français dans le monde ? Fort d’un chiffre d’affaires de 15,3 milliards d’euros et de 380 000 salariés, Sodexo est, aujourd’hui encore, marqué par la personnalité d’un entrepreneur à la fibre sociale, figure du patronat français : Pierre Bellon, qui lui a donné en 1966 son nom et son orientation vers le service aux collectivités. À 81 ans, il incarne toujours le destin de l’entreprise qu’il préside. Deux de ses filles occupent des postes importants chez Sodexo, sans être aux premières loges. Elles assurent ainsi la pérennité de cette histoire familiale dominée par un certain goût pour l’aventure mais aussi pour la discrétion.

Sodexo France, qui ne représente plus que 17 % du chiffre d’affaires du groupe, doit relever plusieurs défis. Maintenir l’esprit des origines malgré la mondialisation. Mais aussi se diversifier sur un marché français saturé et qui a pâti de la crise économique. Depuis deux ans, c’est un ingénieur italo-suisse de 39 ans formé à l’école McKinsey qui tient les rênes de la filiale historique : Roberto Cirillo, entré directement au comex du groupe en 2007. Il lui revient de conduire les mutations censées assurer l’avenir. Sans trop toucher aux recettes qui ont fait le succès de la maison mère.

1-Réussir la mutation vers les services

La restauration reste le cœur de métier de Sodexo dont elle assure 70 % du chiffre d’affaires. Mais ce chiffre devrait évoluer dans les années à venir. Le marché français de la restauration collective, dominé par trois acteurs (Sodexo, Elior et Compass) que défie une multitude de petites sociétés locales, très agressives sur les prix, est à maturité. La crise économique de 2008 a entamé les résultats du secteur et aiguisé la concurrence. Pour les équipes de Sodexo, la solution réside désormais dans la diversification. Une tendance timidement amorcée en 1987 avec le rachat du Groupe Chèque Déjeuner, qui inaugurait alors la branche à présent baptisée « solutions de motivation ».

Structuré en trois principaux pôles (santé, entreprises et éducation), Sodexo entend élargir son champ d’activité aux services au sens large. De la conciergerie à la gestion des services hospitaliers hors soins en passant par la prise en charge des services généraux ou du nettoyage, il s’agit de proposer aux entreprises, aux administrations, aux hôpitaux et aux établissements d’enseignement des « solutions globales de services »: une palette d’offres extensible pour les décharger de tout ce qui n’est pas leur cœur de métier, comme l’explique Roberto Cirillo (lire p. 56). Un pari et un changement de culture. « En trente ans, notre métier s’est normalisé et industrialisé, note Gérard Le Maillot, délégué central de la CFE-CGC. Le côté artisanal a disparu pour laisser place à des processus parfois perçus comme lourds et contraignants sur le terrain. Pour accompagner le développement de l’entreprise, on a valorisé des profils de suiveurs. Mais il va falloir renouer avec l’esprit entrepreneurial des origines pour développer l’activité de services. »

Ce revirement délicat est aujourd’hui à l’œuvre, notamment au travers de dispositifs de formation : 500 cadres, sur les 2 000 que compte l’entreprise, ont été initiés à la nouvelle orientation stratégique ces dix-huit derniers mois. Ils devront ensuite diffuser l’information dans les 4 000 sites de l’entreprise. Autre signe de la mutation en cours : sur le terrain, les gérants de restaurant sont devenus managers ou encore, comme Isabel da Cunha, « directrice de l’hospitalité ». Arrivée en 1993 chez Sodexo, cette diététicienne de formation anime une équipe de 35 personnes chargées de la restauration des patients et du personnel, mais aussi du bionettoyage (technique qui permet de détruire les micro-organismes) des parties communes, dans un centre hospitalier associatif, la Fondation Sainte-Marie, à Paris.

2-Ménager le management intermédiaire

« Je suis entré chez Sodexo pour huit jours, avec un BEP de cuisine et ma boîte à couteaux. C’était il y a trente et un ans ! » raconte Dany Le Coq, manager du restaurant d’ETDE à Montigny-le-Bretonneux.

Cette « cantine » d’entreprise, ouverte en janvier, sert 300 repas par jour et compte une dizaine d’employés. Dany et son équipe arrivent sur le site entre 6 h 30 et 7 heures, et c’est parti pour un rythme soutenu jusqu’à 15 heures pour la majorité des employés. Et bien plus tard pour le gérant. De la gestion des stocks et des commandes (4 000 produits référencés) à la préparation et à la supervision du service, en passant par la gestion des absences, les comptes, les relations avec le client ou le room service qu’il assure lui-même (une nouvelle offre permettant aux salariés de recevoir des plateaux-repas directement dans leurs bureaux)…, l’emploi du temps de Dany Le Coq est bien rempli.

Traditionnellement, chez Sodexo, la hiérarchie est assez courte. Entre les managers des 4 000 sites et la direction générale, on ne compte que deux niveaux intermédiaires : les responsables de secteur, qui couvrent plusieurs sites, et les directeurs régionaux. Même s’ils sont épaulés par leurs responsables de secteur, les gérants de site restent des maillons essentiels. Dans une entreprise par nature éclatée et implantée chez ses clients en une multitude d’équipes de huit personnes en moyenne, « le gérant est le véritable cordon ombilical entre Sodexo et les salariés », décrypte Isabel da Cunha. « La direction pense la stratégie, nous la communique, et notre rôle est de la faire vivre dans nos équipes. »

Or, avec l’expansionqu’a connue l’entreprise au cours des trente dernières années, il semble que ce maillon peine parfois à tout assumer. « Leur tâche est lourde et ne leur laisse plus autant qu’avant le temps d’être disponibles pour leurs équipes, souligne Philippe Besson, délégué central FO. La pression réglementaire en matière d’hygiène et de sécurité s’est beaucoup accrue et génère une gestion administrative importante. » Laurent Corbasson, délégué CGT, confirme : « Les gérants sont soumis à toutes les pressions, celle de la société, celle du client chez qui ils sont et celle des salariés. »

3-Développer la formation

Il est 20 heures, mercredi 27 avril : dans une salle de réception de la Défense, près de Paris, une centaine d’invités s’installent autour de tables nappées de blanc. Une chanteuse et un comédien animent la soirée sous les projecteurs. Ce soir-là, ce sont des salariés de Sodexo qui sont servis et mis à l’honneur. Au cours de cette cérémonie des étoiles, qui célèbre les trente ans de maison d’une douzaine de salariés de la région Ile-de-France, le directeur général de Sodexo a remis aussi leur certificat de qualification professionnelle (CQP) à des commis de cuisine, des responsables de site et des employés techniques de restauration. En 2010, 300 salariés, dont 56 % de femmes, ont décroché leur CQP. « Nous avons lancé les formations qualifiantes dans les années 90, avec pour objectif d’augmenter la confiance en soi et l’employabilité de salariés souvent peu qualifiés et parfois en échec scolaire, raconte François Rebeix, le directeur du développement des RH. Nous avons démarré timidement avec 40 CQP en 2005 pour monter progressivement en puissance. »

De fait, Sodexo a ouvert la voie à la branche tout entière. « Notre modèle économique ne nous permet pas des niveaux de rémunération très élevés, précise Christian Lurson, le DRH de Sodexo France. En revanche, nous essayons de compenser par d’autres moyens, notamment par une politique de formation ambitieuse qui représente 2,2 % de notre masse salariale. » En 2010, 8 000 personnes ont été formées, et chaque salarié suit en moyenne trois jours de formation par an, y compris les membres du comex.

Le moteur de cette politique est la promotion interne, menée de manière active. Née de la volonté de Pierre Bellon, elle a induit, au fil des ans, des principes plus ou moins tacites, selon lesquels 50 % au moins des gérants et des responsables de secteur doivent provenir des restaurants. Aujourd’hui, 80 % de l’encadrement est passé par l’ascenseur social maison. « J’avais fait un stage chez Sodexo puis j’ai été embauchée chez un concurrent où j’ai travaillé deux ans, raconte Céline, 34 ans, responsable restauration, mais je voulais entrer chez Sodexo pour évoluer. C’est la seule entreprise qui offre des perspectives. »

4-Maintenir le lien social

« Je voudrais que les gens soient heureux de venir travailler. » Cette phrase du très respecté Pierre Bellon, citée par un syndicaliste, donne le ton. Chez Sodexo France, la politique RH est mise en musique par le même DRH depuis treize ans avec un volontarisme prudent. « En matière d’accords, souligne Christian Lurson, je préfère avancer en deux coups : signer un premier accord timide sur les objectifs pour la prise de conscience collective, puis signer un deuxième plus ambitieux pour aller plus loin dans la démarche. »

Pas de fanfaronnades, donc, mais un souci de pragmatisme et d’efficacité : « La diversité est un sujet essentiel pour nous, sur lequel nous sommes en réflexion. J’observe ce qui se passe dans nos filiales étrangères et dans d’autres entreprises mais, pour l’instant, je n’ai pas encore trouvé de solution qui me satisfasse. » Les partenaires sociaux vont se mettre au travail pour signer un accord en 2012 sur le sujet mais, en attendant, les femmes sont déjà poussées sur le terrain. En quatre ans, les femmes responsables de site sont passées de 10 à 25 %.

En revanche, après deux ans de travail, l’accord sur les seniors vient d’être signé : « Nous en sommes contents, se félicite Agnès Maurer, déléguée centrale CFTC. Nous avons notamment obtenu le maintien à 100 % de la retraite, même pour les salariés seniors qui choisissent le temps partiel en fin de carrière. » Cette proposition, portée par la CFTC, a fait l’objet d’un consensus syndical. « Il y a un bon dialogue, reconnaît Sylvie Beccari, déléguée centrale CFDT. On n’est pas toujours d’accord, mais on arrive toujours à s’entendre entre organisations syndicales et avec la direction. » Par souci d’efficacité, les IRP des quatre principales filiales de l’entreprise ont été regroupées après un accord signé en 2007. Les CE ont ainsi diminué de 17 à 9. « L’idée était : moins de représentants mais plus de professionnalisme », raconte Gérard Le Maillot, de la CFE-CGC.

Grandir sans se déconnecter des salariés, voilà bien l’un des enjeux cruciaux pour Sodexo. Depuis un an, Roberto Cirillo fait son « roadshow », comme il dit, pour aller à la rencontre des équipes sur le terrain. Les RH ont de leur côté créé une association loi 1901 pour accompagner les salariés en détresse. Cet ovni, présidé par une consultante extérieure et composé de salariés volontaires – les « vigies » –, s’est inspiré du système des « sentinelles » canadiennes. Il est censé être complémentaire des IRP et indépendant de la direction. En deux ans, Écoute et vigilance aurait reçu une trentaine d’appels de salariés. Un chiffre qui résulte sans doute du statut hybride de cette nouvelle structure et de la défiance qu’elle suscite chez certains salariés. La CGT et la CFDT ont d’ailleurs refusé de siéger au bureau. En interne, les mauvaises langues disent qu’en retirant le h de Sodexho en 2008 l’entreprise a supprimé l’humain…

Repères

Chaque jour, les 36 000 salariés de Sodexo France servent 2,5 millions de repas chez les 26 000 clients de l’entreprise, répartis sur 4 000 sites.

Le chiffre d’affaires en 2010 était de 2,5 milliards d’euros. En 2011, le turnover (de 12 % en moyenne chez les employés, 10 % chez les agents de maîtrise et 5 % chez les cadres) sera compensé par 3 000 recrutements. Un chiffre qui peut doubler en fonction des intégrations de personnel quand Sodexo remporte de nouveaux appels d’offres. Les salaires sont calés sur les grilles de la branche, aux minima sociaux. Mais la rémunération est complétée par une participation d’environ 300 euros par an, une couverture santé de bon niveau et une prime, passée récemment de 120 à 150 euros, pour les salariés des sites dont le contrat est reconduit avec l’entreprise cliente.

ENTRETIEN AVEC ROBERTO CIRILLO, DIRECTEUR GÉNÉRAL DE SODEXO FRANCE
“Nos entreprises de services sont de grosses machines à créer de l’emploi”

Comment Sodexo France a-t-il vécu la crise ?

Nous avons connu un ralentissement de la croissance de notre chiffre d’affaires dans les deux années écoulées. L’effet de la crise le plus difficile à compenser pour nous est la réduction des effectifs chez nos clients. Diminuer l’emploi revient à réduire le nombre de personnes ayant accès à la restauration collective. L’un des moyens que nous développons pour compenser cette baisse est de travailler sur l’attractivité de notre offre. Nous essayons, par exemple, de nous adapter le plus possible aux nouvelles tendances : les gens veulent déjeuner, mais sans perdre de temps. Ils souhaitent manger en poursuivant leur journée de travail, dans leur bureau ou en réunion. Nous proposons donc maintenant un « room service » pour répondre à ce besoin. L’autre axe est l’élargissement de notre activité aux services, au-delà de la restauration, pour nous positionner comme un appui aux entreprises : gestion de l’accueil, facility management, gestion documentaire, travaux d’impression, etc., le tout dans une logique de pilotage global pour nos clients qui se retrouvent avec un interlocuteur unique.

Vous inventez des services qui n’existent pas…

On est en train d’inventer le métier de ceux qui s’occupent que tout fonctionne ! L’idée est d’apporter aux collaborateurs de nos entreprises clientes un véritable soutien dans l’exercice de leur métier, à plusieurs moments de leur journée. Il ne s’agit pas d’un service additionnel comme la conciergerie, mais d’un appui pour leur permettre de rester concentrés sur leur cœur de métier. C’est le seul moyen qu’ont les entreprises de rester compétitives. En regardant de près leur fonctionnement, on s’aperçoit qu’elles présentent de nombreuses poches d’inefficacité. Nous proposons de les supprimer. Ce reengineering est notre cœur de métier à nous.

Les salariés de Sodexo France vont-ils devoir changer de métier ?

Nous avons en effet lancé un plan de formation au cours des dix-huit derniers mois pour que nos cadres et agents de maîtrise comprennent cette nouvelle stratégie et changent leurs perspectives de carrière. C’est à eux maintenant de transmettre cette évolution dans leurs équipes sur site. On ne prétend pas qu’un chef de cuisine deviendra responsable de la maintenance multitechnique, mais on offre des pos­sibilités d’évolution. Nos managers font déjà beaucoup de gestion dans leur quotidien, il s’agit de renforcer cette dimension de leur activité tout en y ajoutant une vision du besoin du client. Actuellement, les solutions globales de services représentent 25 % de notre activité, et nous voulons augmenter cette part. L’entrepreneuriat est dans les gènes de Sodexo. Pour gérer la croissance, cette valeur a sans doute été mise en veilleuse pendant un temps, mais nous devons aujourd’hui retrouver cet esprit d’entreprendre. Sodexo France a toujours été le pionnier, le donneur d’exemple. Et cela doit continuer.

L’externalisation à tout-va n’a-t-elle pas montré ses limites ?

En France, on a donné une mauvaise connotation à ce terme, mais l’externalisation a toujours existé et les entreprises y trouvent leur intérêt. La restauration est d’ailleurs une des premières externalisations qui aient été mises en œuvre. Elle n’est plus discutée aujourd’hui : 98,7 % de nos clients en sont satisfaits et nous sont fidèles, souvent sur le long terme. En outre, nous sommes un des meilleurs véhicules pour garantir la permanence de l’emploi.

Que pensez-vous du débat actuel sur le coût du travail en France ?

Je le trouve préoccupant car il y a, dans le débat public, un intérêt très limité pour la réflexion factuelle sur les métiers de services. Nos entreprises de services sont de grosses machines à créer de l’emploi. Et, pour notre part, nous investissons beaucoup dans la formation : l’année dernière, 8 000 de nos collaborateurs ont suivi une formation, par exemple. C’est beaucoup. Alors quand on me parle de verser une prime de 1 000 euros pour 36 000 salariés, pour nous, cela représenterait une partie importante de nos résultats. Une telle mesure risque de couler un certain nombre d’entreprises de services.

Propos recueillis par Jean-Paul Coulange et Laure Dumont

ROBERTO CIRILLO

39 ans.

1994

Diplômé de l’École polytechnique fédérale de Zurich, enseignant-chercheur.

1998

Associé junior chez McKinsey à Zurich.

2003

Partner associé chez McKinsey à Amsterdam.

2007

Directeur de la stratégie, DGA de Sodexho Alliance, qui devient Sodexo en 2008.

2009

Directeur général France de Sodexo.

Auteur

  • Laure Dumont