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Politique sociale

Revitalisation des territoires : les boîtes se bornent à payer

Politique sociale | publié le : 01.06.2011 | Stéphane Béchaux

Tenues d’aider à recréer des emplois là où elles en détruisent, les grandes entreprises sortent le chéquier. Mais laissent consultants et acteurs locaux se débrouiller pour revitaliser les territoires.

Sa poissonnerie n’est pas encore ouverte mais Bruno Le Marrec se frotte déjà les mains. Lauréat d’un concours de création d’entreprise, il va toucher 20 000 euros pour ouvrir boutique à Locminé cet été. Un chèque signé du volailler Doux, qui s’inscrit dans la convention de revitalisation conclue par le groupe en mars 2009 avec la préfecture du Morbihan. À l’époque, le spécialiste du poulet s’était engagé à investir 1,13 million d’euros pour réparer les dégâts causés au bassin d’emploi locminois par la fermeture de son usine locale de 451 salariés. Un montant correspondant à deux smics brut mensuels par poste détruit, qui aura permis de recréer 334 emplois en deux ans.

Ce gros million lâché par Doux ne relève en rien d’une démarche volontaire. Depuis la loi Aubry de modernisation sociale du 17 janvier 2002, toute entreprise de plus de 1 000 salariés fermant partiellement ou en totalité un site est tenue de contribuer financièrement à la revitalisation du bassin d’emploi touché. Une obligation étendue, depuis la loi Borloo de cohésion sociale du 18 janvier 2005, à toutes les entreprises de plus de 1000 salariés qui procèdent à un licenciement collectif « affectant, par son ampleur, l’équilibre du ou des bassins d’emploi dans lesquels elles sont implantées ». Les engagements doivent être formalisés dans une convention conclue avec le préfet, qui détaille les actions à mettre en œuvre et les financements dédiés. Sauf cas de difficultés financières, la contribution versée par l’entreprise ne peut descendre au-dessous de deux smics mensuels brut par emploi détruit. À Locminé, le Groupe Doux s’est donc contenté du strict minimum.

Sous peine d’amende. Cette nouvelle contrainte n’enchante guère les entreprises, qui traînent les pieds. En théorie, le préfet peut pourtant les mettre à l’amende en cas d’absence de convention signée dans les six mois. À hauteur de quatre smics par emploi supprimé, à verser au Trésor public. Sauf que le préfet et les élus locaux n’y ont pas plus intérêt que les entreprises : le chèque irait abreuver le budget de l’État, pas le bassin d’emploi sinistré… Parfois tendues, les discussions aboutissent donc presque toujours. « Nous n’avons aucun refus, alors même que nous assujettissons les entreprises à quatre smics. On leur présente la revitalisation comme un mode de gestion responsable de leurs restructurations », explique Sylvie Ossanna, chargée de mission mutations économiques auprès du préfet de l’Isère.

Le démarrage du dispositif s’est révélé poussif. « On a connu une phase de forte sous-application. Les préfets n’ayant pas la culture de la revitalisation, ils n’assujettissaient pas les entreprises. Mais, depuis la crise, on a basculé dans une application quasi systématique », observe Alain Petitjean, directeur général de Sémaphores. Vrai pour l’industrie, pas pour les services : les textes ne permettent pas d’assujettir les entreprises qui détruisent des emplois disséminés sur tout le territoire… Les chiffres confirment cette montée en puissance. L’an dernier, il s’est conclu dans l’Hexagone 237 conventions, dont 39 en Rhône-Alpes, 25 en Ile-de-France, 24 dans le Nord-Pas-de-Calais et 18 en Lorraine. Une centaine de plus qu’en 2008 et 2009. En 2010, les grandes entreprises se sont engagées à investir 117 millions d’euros pour recréer 24886 emplois, en compensation des 25 540 détruits. « Ces conventions découlent des restructurations massives intervenues en 2009. On a atteint le sommet de la vague l’an dernier », précise Dominique Sacleux, chef de la mission anticipation et accompagnement des PSE à la Délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle (DGEFP).

À raison de trois smics par emploi détruit, en moyenne, les conventions brassent parfois de très gros moyens financiers. À l’image de celle du fabricant de pneus Continental, à Clairoix, qui mobilise 7,3 millions d’euros. Ou de celle de Renault qui, pour l’ensemble de ses restructurations hexagonales, pèse 15,2 millions d’euros. Depuis dix ans, les entreprises ont engagé, en cumul, aux alentours de 500 millions d’euros dans ces opérations de revitalisation. Une manne qui peut servir à financer des actions de toute nature, pour peu qu’elles contribuent au développement de l’emploi et à la création d’activités sur le territoire. Prospection de repreneurs, financement d’incubateurs, prêts à taux bonifié, essaimage, soutien à des actions d’insertion ou de formation, subventions directes à l’emploi, coaching de dirigeants, aide aux créateurs d’entreprise… Pour une fois, le législateur a laissé de vraies marges de manœuvre aux acteurs, ce dont tous se félicitent.

En pratique, les conventions ne se révèlent pas toutes très innovantes. Faute d’idées, beaucoup abusent des subventions directes à l’emploi. Une mesure pourtant très critiquable pour ses effets d’aubaine massifs. « Qui peut croire qu’un dirigeant crée un emploi parce qu’on lui donne 3 000 euros ? Personne ! Il y a une part de malhonnêteté collective à considérer que les aides de ce type participent à la revitalisation d’un territoire », commente Frédéric Leclerc, directeur adjoint de l’unité territoriale Direccte de l’Eure. « Les conventions imposent aux entreprises de recréer le nombre de postes qu’elles suppriment. Comme tout le monde se focalise sur le compteur “emploi”, on privilégie généralement les outils les plus simples. Il manque un pilotage pour orienter les fonds vers les solutions les plus ambitieuses », abonde Olivier Mériaux, directeur de la stratégie et du développement d’Amnyos Consultants.

GPEC territoriale. « Dans la première phase, il y a eu beaucoup de saupoudrage d’aides directes, sur des critères plus quantitatifs que qualitatifs. Mais ce n’est plus vrai depuis trois ans. On a développé des mesures innovantes, comme la mise à disposition de compétences ou des missions de GPEC territoriale », nuance François Moreau, directeur du département création d’activités et d’emplois d’Altedia. En cas de fermeture de site, les élus locaux rêvent toujours de l’arrivée d’un sauveur créant des centaines d’emplois.

Mais hormis les centres d’appels, tels Webhelp ou Acticall, qui ont profité des conventions Michelin pour s’implanter à Montceau-les-Mines ou à Toul, les gros employeurs exogènes ne se bousculent pas au portillon. En pratique, les créations d’activités nouvelles sont le fruit d’entrepreneurs locaux. « Les dirigeants ont moins besoin d’aides financières que de missions d’appui-conseil pour développer et finaliser des projets. Notre efficacité est maximale dans des PME de 25 salariés, qui vont créer quelques emplois. Même si ce n’est pas très porteur pour le préfet ou le député d’aller couper le ruban », insiste Alain Petitjean.

Inutile de compter sur les entreprises pour élaborer des politiques de redynamisation haut de gamme. De l’aveu même de la DGEFP, leur implication reste « souvent très limitée ». « La majorité des entreprises avec lesquelles nous engageons des processus de revitalisation sont de taille moyenne ou intermédiaire. Dans la plus grande partie des cas, elles n’ont aucune idée ni aucun projet en la matière. Les services de l’État ont un rôle essentiel à jouer pour amener des idées, voire proposer des conventions clés en main. » Signé Dominique Maréchau, directeur de l’unité territoriale Direccte du Tarn, ce témoignage délivré en janvier lors d’un séminaire à Bercy fait consensus. Les dirigeants considèrent encore la revitalisation comme une taxe dont ils s’acquittent en refilant le bébé à des consultants extérieurs.

À leur décharge, la dynamisation des bassins d’emploi sur lesquels ils opèrent ne fait nullement partie de leur cœur de métier. « Il revient aux acteurs locaux de porter la stratégie de développement du territoire. S’ils ont mené une réflexion globale sur les filières, les infrastructures et les compétences, on peut agir efficacement à leurs côtés. Sinon, c’est beaucoup plus compliqué », souligne Régis Ramseyer, Monsieur Revitalisation chez ArcelorMittal. Un constat partagé par Michel Sigot, directeur du pôle restructurations du cabinet Sofred : « Une convention ne remplace pas les fondamentaux d’une politique de développement économique. Vingt-quatre ou trente-six mois, ça ne laisse pas le temps de travailler à l’attractivité d’un territoire. Quand on intervient en rase campagne dans un bassin d’emploi sans outil ni culture de la revitalisation, on fait comme on peut. On n’est pas des magiciens ! »

La multiplication des opérations de revitalisation aiguise les appétits. Contestés pour leurs tarifs jugés indécents (voir encadré), les cabinets doivent faire face à la concurrence des chambres de commerce et des agences de développement économique. Vantant le faible coût de leurs prestations, au grand dam des consultants qui crient à la concurrence déloyale, elles se positionnent auprès des préfectures et des entreprises pour récupérer une partie du magot. Depuis deux ans, de nombreux départements, telles la Mayenne, l’Ardèche, la Nièvre ou l’Ille-et-Vilaine, ont mis en place des fonds mutualisés de revitalisation. Des structures le plus souvent pilotées par les agences de développement des conseils généraux. « La mutualisation permet d’assujettir des entreprises qui procèdent à des licenciements de faible ampleur. Mais, juridiquement, le fonctionnement des fonds peut poser problème. Il faut garantir la traçabilité des sommes engagées par les entreprises car elles en restent propriétaires jusqu’à leur consommation effective », prévient Jean-François Robinet, sous-directeur des mutations de l’emploi et du développement de l’activité à la DGEFP.

CCI et agences de développement économique se positionnent auprès des préfectures et des entreprises pour récupérer une partie du magot

Comité d’orientation. La mise au pot commun des fonds n’empêche pas forcément la « guerre » entre conventions. Dans l’Eure, pionnière de la mutualisation, le problème se pose comme ailleurs. « On arbitre régulièrement des querelles entre cabinets, qui revendiquent la paternité des mêmes emplois créés. Sans parler des surenchères sur les aides », explique Frédéric Leclerc. Sous l’impulsion de la Direccte, le département vient de se doter d’un « comité d’orientation » chargé du pilotage politique de la revitalisation. Un territoire considéré, avec l’Isère, comme un très bon élève de la classe. Dans beaucoup de départements, le suivi des conventions pose en effet problème, les autorités locales n’arrivant pas à tenir le rythme des comités de pilotage et d’engagement prévus dans chaque convention. Un point faible dont les services de Xavier Bertrand ont parfaitement conscience. La DGEFP a commandé, avec la Datar, un bilan détaillé du dispositif, qu’elle recevra dans les prochaines semaines. De quoi nourrir une circulaire en préparation, visant à améliorer les pratiques.

237 conventions de revitalisation ont été signées en 2010 représentant…

117 millions d’euros d’engagement d’investissement pour…

24 886 créations d’emplois.

Source : DGEFP.

Des cabinets jugés trop chers

Dans les territoires, les consultants « parisiens » n’ont pas bonne presse. Les BPI, Sémaphores, Altedia, Géris ou Sofred sont régulièrement accusés par les acteurs locaux de siphonner les fonds de la revitalisation. Et pour cause : leur rétribution peut atteindre 30 % des sommes inscrites dans les conventions. Résultat, quand une entreprise est assujettie à hauteur de trois smics par emploi détruit, il n’en reste plus que deux pour le bassin d’emploi. Des taux contestés par les intéressés, qui parlent de 20 à 25 %, dont une part variable. « On n’a rien contre les cabinets. Mais leur mode de rémunération manque totalement de transparence. Il faut les payer pour faire du travail à haute valeur ajoutée, pas pour distribuer des subventions à l’emploi. Ça, n’importe quel stagiaire peut le faire », juge-t-on au ministère de l’Emploi. À la DGEFP, on s’interroge ainsi sur l’opportunité d’exclure les honoraires des cabinets des conventions signées en préfecture.

Soucieuses de maximiser les fonds réellement investis dans les territoires, les autorités locales cherchent des alternatives. En confiant, notamment, une partie des missions à des structures territoriales comme les agences de développement ou les chambres consulaires. Ce qui pose d’autres problèmes. Pas simple, par exemple, de s’assurer que les contributions des entreprises ne se traduisent pas, en parallèle, par une baisse des budgets accordés auxdits organismes. Ou d’éviter que les fonds privés ne se mélangent aux fonds publics. Sans parler des risques de petits arrangements entre amis. « Confier à une CCI le soin de distribuer des aides à l’emploi à des entrepreneurs, c’est un peu dangereux », glisse un directeur d’unité territoriale.

Auteur

  • Stéphane Béchaux