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Idées

Faut-il supprimer les aides publiques aux entreprises bénéficiaires en cas de PSE ?

Idées | Débat | publié le : 01.06.2011 |

L’Assemblée nationale a adopté le 14 avril, en première lecture, une proposition de loi du député (Nouveau Centre) Jean-Christophe Lagarde visant à supprimer le financement par l’État des plans de sauvegarde de l’emploi d’entreprises réalisant des bénéfices. Une riposte à l’affaire Molex…

Francis Kramarz Chercheur au Crest, professeur à l’École polytechnique

Je ne suis pas certain de savoir ce que comprend l’opinion par aides publiques. Ma réponse va donc procéder en deux temps : d’abord, les aides publiques, non compris les exonérations de cotisations sociales employeurs pour les salariés autour du smic ; ensuite, les exonérations de cotisations sociales pour les salariés autour du smic.

Je suis clairement pour la suppression des aides publiques, au sens premier indiqué plus haut, pour toutes les entreprises. Les aides favorisent les personnes informées, ont des effets pervers massifs, en particulier par les distorsions de concurrence induites et les effets d’éviction qu’elles génèrent. En général, les cas où des aides publiques sont utiles sont bien rares. Des mécanismes incitatifs, différents des aides, doivent pouvoir orienter les entreprises à internaliser les externalités, si nécessaire (pour la recherche par exemple). Ainsi, faire dépendre les cotisations chômage de la durée réalisée des contrats en raison de l’externalité liée au passage par le chômage (toutes les entreprises paient des cotisations et seules certaines coûtent, par exemple l’intérim) est une excellente idée. Pour répondre à la question posée : non, c’est inutile, mieux vaut mettre en place la suggestion précédente qui protégera mieux les salariés.

Dans le cas des exonérations de cotisations pour les salariés autour du smic, la tentation de les diminuer est grande. Tout est bon pour le faire. Je rappelle juste que les exonérations, dites Juppé, mises en œuvre en 1996, furent la seule politique d’emploi en France qui a conduit à enrayer la baisse de l’emploi peu qualifié (dont nous sommes gros producteurs, car 150 000 jeunes sortent sans diplôme du système scolaire chaque année). À cette époque, elles allaient jusqu’à 1,3 smic. Elles ont été étendues ensuite lors de la mise en place des 35 heures. Il ne me choquerait pas de revenir au profil initial (jusqu’à 1,3 smic) mais cela n’a clairement rien à voir avec les plans de sauvegarde de l’emploi (PSE) et les entreprises bénéficiaires.

En un mot, lorsqu’un ballon fuit de toutes parts, mettre un doigt sur un trou n’empêchera nullement la fuite. Ou, répétant l’enseignement de notre maître à tous, Pierre Dac, « ce n’est pas parce qu’en hiver on dit “fermez la porte, il fait froid dehors” qu’il fait moins froid dehors quand la porte est fermée ».

Rachel Beaujolin-Bellet Professeure à Reims Management School

On peut entendre derrière cette proposition de loi une recherche d’amélio­ration de la justice sociale des restructurations accompagnées de suppressions d’emplois. Sont ici visées les restructurations dites de compétitivité, qui s’opèrent par anticipation, dans des entreprises rentables. Il est vrai que la question de la construction de leur acceptabilité sociale est cruciale. Mais les choix opérés dans la proposition de loi permettraient-ils d’aller dans ce sens ? Il faudrait penser la question de façon plus large.

Un élargissement nécessaire : l’objet. Le PSE, qui encadre les licenciements collectifs pour motif économique, est devenu une modalité de suppression d’emploi parmi d’autres qui ont littéralement explosé au cours des dernières années (ruptures conventionnelles, plans de départs volontaires…). Ces nouvelles pratiques sont justement mobilisées pour leur discrétion, voire pour éviter le traditionnel PSE, souvent dans les cas de restructuration de compétitivité. Intervenir sur le seul PSE revient donc à continuer de se focaliser sur la partie émergée de l’iceberg et, plus embêtant, à continuer de laisser dans l’ombre la question de la régulation sociale de toutes les formes de ruptures d’emploi liées à des restructurations.

Un déplacement souhaitable : la négociation collective plutôt que la loi. Derrière la question des entreprises bénéficiaires se pose celle de la légitimité de la décision… Cette question ne mérite-t-elle pas d’être traitée par les représentants des directions et ceux des salariés, impliquant alors plutôt un renforcement de l’obligation d’aboutir à des accords négociés dans ces contextes, tel qu’y invite la Commission européenne depuis la fin des années 90 ?

Un sujet qui demeure tabou : la précarisation liée aux licenciements. Il s’y cache un enjeu pudiquement voilé, celui du devenir des salariés licenciés pour motif économique. Les résultats en matière de reclassement sont chroniquement décevants. Cela entretient un sentiment – fondé – de fatalisme chez les salariés, et une préférence pour la prime, parfois au dé­triment de mesures d’accompagnement. Implicitement, ce texte soutient un strict rapport monétaire à la rupture, sans se soucier du devenir des personnes, tandis que l’on pourrait espérer une intervention plus offensive en termes de transitions professionnelles et de santé des salariés concernés.

Olivier Labarre Directeur général de BPI

Nous partageons l’objectif poursuivi par la proposition de loi d’encadrer le financement public des entreprises in bonis. La réflexion ne peut être binaire. Il est essentiel de sortir de la légitime polémique. Les articles L. 1233-53 et suivants du Code du travail permettent à l’État d’analyser le plan de sauvegarde de l’emploi au regard de la situation économique de la société. Le principe est bon mais la pratique est souvent éloignée de l’esprit de la loi. Si chaque partie a le droit de défendre son pré carré, il faut éviter que ce face-à-face s’inscrive dans une vision à court terme de la vie de l’entreprise en oubliant les enjeux essentiels : préserver les savoir-faire, chercher les alternatives industrielles et économiques capables de faire rebondir l’entreprise. L’administration a toute légitimité pour organiser en amont les réflexions autour d’un diagnostic partagé. La démarche doit être plus partenariale, intégrer dans ses réflexions les analyses des cabinets-conseils pour rechercher l’équilibre entre les aspirations sociales et les objectifs économiques. L’État ne peut ignorer les fondamentaux de l’entreprise. Il ne peut se satisfaire d’un examen réduit à un instant de la vie de l’entreprise. L’étude du résultat d’une société ne peut souffrir d’aucunes généralités ni réductions idéologiques mais, à l’inverse, doit être appréhendée en fonction des données qui concourent à son développement. Il s’agit donc de faire la différence entre une entreprise bénéficiaire, qui a investi, construit un modèle social exemplaire et qui, confrontée à un changement de son marché durable et quantifié, doit restructurer, et la même entreprise mais qui a laissé en jachère son outil industriel, son capital humain. Dans le premier cas, l’État doit avoir un rôle d’acteur, de facilitateur et l’aider à passer ce mauvais cap. Dans le second cas, l’État doit être intraitable et la proposition de loi a toute sa place. L’État propose des outils en amont des entreprises (crédit aux entreprises, garantie Oséo, assurance crédit public, fonds de capital investissement, appui à la GPEC).

Ces outils appropriés nécessitent une volonté d’anticipation de l’ensemble des acteurs. L’anticipation permet d’analyser sereinement les situations et de partager les solutions. Elle éviterait souvent de prendre des postures où seule la loi entre en considération, elle donnerait plus de sens à l’esprit d’entreprise, elle instillerait dans la démocratie sociale les germes d’une recherche de la meilleure voie pour préserver l’entreprise, l’emploi, le territoire.