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La prévoyance lourde plombée par la réforme des retraites

Dossier | publié le : 01.06.2011 | V. D.

Parce qu’il allonge la durée de prise en charge de salariés en invalidité, le recul de l’âge de la retraite entraîne un transfert de charges sur les complémentaires. Et une hausse des tarifs proposés aux entreprises.

En pesant sur les comptes des régimes collectifs de prévoyance lourde, la réforme des retraites a joué un vilain tour aux employeurs. Car, à l’instar de Malakoff Médéric, d’AG2R La Mondiale ou encore d’Axa, les organismes d’assurance n’ont pas tardé à présenter aux entreprises la facture de l’impact du recul des âges (62 et 67 ans) de départ à la retraite. « En moyenne, les majorations de tarifs annoncées pour 2011 par les assureurs varient de 8 à 15 % », observe Cécile Darche, actuaire associée au cabinet Premium Consulting. Et encore ne s’agirait-il, pour Didier Weckner, directeur des assurances collectives d’Axa, que d’une première étape : « Le marché n’a pas passé, cette année, la moitié des hausses de tarifs nécessaires et il faudra sans doute compter avec une hausse identique l’an prochain. »

Les assureurs avaient pourtant, à l’automne, obtenu du Parlement un délai de six ans – jusqu’en 2016 – pour constituer la provision nécessaire à l’amortissement du coût total de ce transfert des régimes de retraite sur les couvertures de prévoyance complémentaire, évalué à quelque 4 milliards d’euros. Mais nombre d’assureurs ont préféré prendre les devants et tenter de faire avaler un « package global » de hausses, avec la nouvelle taxe de 3,5 % sur les contrats santé responsables.

Gérer l’usure au travail. S’agissant de la réforme des retraites, le surcoût est principalement lié à l’allongement de la durée de prise en charge des salariés reconnus en invalidité. Et « cet impact financier sera d’autant plus lourd que la moyenne d’âge des invalides en portefeuille est élevée », souligne Véronique Lamblé, présidente du cabinet d’actuariat Aprécialis. « La hausse varie de 7 % pour un invalide né en 1970 à 45 % pour une personne née en 1955, soit une augmentation de 15 % en moyenne », selon Isabelle Dartiguelongue, directrice technique du Groupe Mornay. Mais les majorations annoncées anticipent aussi une fréquence accrue des mises en invalidité liées au vieillissement de la population active. Voire « une instrumentalisation de ces régimes de prévoyance par certains employeurs, tentés d’assimiler ces dispositifs à des préretraites déguisées », prévient l’avocat Gilles Briens. À l’instar d’entreprises industrielles tentées de gérer l’usure au travail de leurs salariés âgés par une mise en incapacité. Enfin, les organismes d’assurance misent aussi sur une hausse de la probabilité de décès de ces salariés en arrêt de travail.

Face à ces hausses de tarifs, les PME n’auront pas le choix, mais les grandes entreprises vont y regarder à deux fois. En commençant par vérifier si les excédents accumulés au fil des ans par certains de ces régimes ne peuvent pas amortir cette charge nouvelle, à taux de cotisation constant. « Cette cagnotte peut être utile pour gérer les sinistres en cours, mais pas ceux à venir », estime Yves Trupin, du cabinet Winter & Associés. Les entreprises vont surtout mettre le nez dans la façon dont sont calculées les fameuses provisions. D’autant que « celles-ci restent soumises à des variations importantes pouvant atteindre 25 %, suivant la démographie du portefeuille et les modalités de calcul retenues », constate Véronique Lamblé, d’Apprécialis. Et ce en dépit de la publication, fin décembre, de nouvelles tables d’incapacité-invalidité prenant en compte les effets de la réforme des retraites et des précisions apportées par l’Institut des actuaires sur les modalités d’étalement des provisions. Au risque de faire apparaître que ces dernières sont surdimensionnées. En plongeant dans cette boîte noire, le comp and ben d’une entreprise industrielle s’est ainsi aperçu que la réserve constituée au titre de la rente éducation d’un de ses régimes destinés majoritairement à des ouvriers était calée sur un âge de fin d’études moyen de 26 ans. « C’était totalement excessif ! 21 ans suffisaient », assure ce responsable qui a pu réduire de 15 % ces différents matelas, « à garantie constante », précise-t-il.

Autre conséquence, les résiliations de contrats de prévoyance se multiplient. « L’œil rivé sur l’évolution de leur masse salariale, les entreprises n’hésitent plus à lancer un appel d’offres au moindre dérapage des comptes de leur régime », confirme Yann Charron, directeur des opérations de Malakoff Médéric, qui regrette cette « vision court-termiste, source de coûts de gestion supplémentaires ». De fait, s’agissant de la prévoyance, les contentieux tendent à se déplacer sur le montant de l’indemnité de résiliation réclamée par l’assureur à l’entreprise, au titre du maintien des salariés invalides « en stock ». Certains employeurs qui avaient dénoncé leur contrat avant le 31 octobre se sont d’ailleurs fait piéger par la promulgation tardive, le 9 novembre, de la réforme des retraites et ont dû payer. D’autres ont préféré rompre avec les pratiques en vigueur et demandent le transfert des provisions déjà constituées chez le nouvel assureur. « Attention, alors, à bien négocier les modalités de reprise des rentes en cours, revalorisations comprises », prévient Norbert Gautron, actuaire associé du cabinet Galea.

Boîte de Pandore. En toute logique, la réforme des retraites devrait aussi pousser les entreprises à remettre leurs garanties de prévoyance sur la table des négociations. D’autant que « l’amélioration de la sinistralité en décès ne va plus permettre de compenser la dégradation attendue en arrêt de travail », confirme Yves Trupin, au nom de Winter & Associés. Outre ce déséquilibre structurel, d’autres facteurs plaident en faveur de la révision de ce mille-feuille. Les règles du régime général de la Sécurité sociale ont beaucoup évolué, au cours des dernières années, en matière de calcul de l’indemnité journalière notamment, entraînant de nouveaux transferts sur les régimes complémentaires. Au sein des branches, cette fois, les partenaires sociaux ont aussi amélioré les niveaux de garantie, à charge pour les entreprises d’adapter les couvertures existantes. Reste que les DRH ont plutôt, pour l’heure, tendance à freiner des quatre fers. « Les tensions salariales sont telles que toute tentative de révision, à la hausse comme à la baisse, est impossible », reconnaît l’un d’eux. Les syndicats, qui ont eux-mêmes du mal à en appréhender les enjeux, n’y sont pas non plus favorables. Enfin, les DRH hésitent à ouvrir cette boîte de Pandore, sachant que nombre de ces régimes, encore calés sur des prestations différentes entre les cadres et les non-cadres, risquent à tout moment d’être rattrapés par la jurisprudence de l’égalité de traitement.

Auteur

  • V. D.