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“La formation doit faire partie du temps et du lieu de travail”

Actu | Entretien | publié le : 01.06.2011 | Laure Dumont

L’e-learning a suscité beaucoup d’illusions. Pour ce spécialiste des apprentissages, seul un formateur peut détecter les manques et les besoins d’un individu.

L’e-learning est-il un outil de formation efficace ?

Chez certains, l’enthousiasme des débuts a été douché. On a cru que les salariés pouvaient se former soit sur leur temps de travail en s’autogérant, soit sur leur temps libre. Mais aucune de ces deux formules ne fonctionne. L’autogestion suscite un conflit de priorités : entre se former et produire, le salarié choisit toujours de produire. Parallèlement, le Web et l’e-learning ont pu faire croire que les gens allaient tous devenir des autodidactes. Mais les vrais autodidactes sont des êtres exceptionnels et rares, et l’arrivée des nouvelles technologies n’a rien changé à cela.

Qu’est-ce qui marche avec l’e-learning ?

L’efficacité des apprentissages repose sur un cadrage clair, fixé par le management : il doit y avoir dans l’entreprise un lieu dédié à la formation et adapté sur le plan ergonomique. Ce doit être un espace calme, où les gens peuvent avoir deux à trois heures pour se poser. Je ne vois pas comment une formation peut se faire à domicile, notamment pour des salariés qui travaillent dans des entreprises où il y a de gros enjeux de confidentialité et de sécurité. La formation doit absolument faire partie du temps et du lieu de travail. Une fois ce cadre posé, on sait que le mélange de formation à distance et en présentiel donne de bons résultats.

Comment définir ce qui relève de la formation à distance et du présentiel ?

Quand il s’agit de l’apprentissage d’un savoir-faire, il faut mettre en place un système de tutorat avec une personne qui regarde faire et qui corrige au bon moment, en fournissant des explications pertinentes. En revanche, tout ce qui touche à la compréhension et à l’entraînement donne de bons résultats à distance, mais dans le cas seulement où le dispositif d’aide est capable de relever les erreurs et de les corriger. Cela dit, les outils de formation à distance ne savent pas encore comment aider les gens qui en ont besoin, mais qui n’en formulent pas la demande. Techniquement et conceptuellement, l’intelligence artificielle n’en est pas capable, à moins de développements lourds et complexes. Alors qu’un formateur en chair et en os sait détecter une personne en difficulté qui ne le dit pas et lui apporter une aide précise.

Les ambitions que l’on mettait dans les nouvelles technologies sont finalement très réduites…

Beaucoup d’espoirs ont dû être revus à la baisse, en effet. Tout le courant de l’intelligence artificielle en éducation, né à la fin des années 70 et qui prévoyait des tuteurs intelligents, capables de représenter les connaissances des élèves et des enseignants et de calculer des interactions entre les deux, est aujourd’hui beaucoup plus modeste. Le deuxième grand espoir, datant du début des années 90, concerne les technologies de l’information et de la communication dans l’enseignement. Avec l’avènement du multimédia et du Web, on a cru que l’on allait régler tous les problèmes d’apprentissage. Mais cet engouement n’a pas été porté par la communauté scientifique, qui savait déjà que les hypertextes étaient une impasse et que l’apport du multimédia était limité.

Pourquoi ces limites ?

Parce que les liens hypertextes sont trop exigeants pour le cerveau humain, qui n’est pas capable de gérer toutes les informations fournies. Face à eux, il est en surcharge. En outre, on n’en a pas forcément besoin pour bien apprendre. Contrairement à une application multimédia qui enrichit le message, le pédagogue simplifie et met en exergue les points importants. Avec un débutant, cinq images statiques permettent mieux de comprendre qu’une image dynamique. On a cru que l’informatique allait augmenter les capacités cognitives des humains, mais le paradoxe est que ça les complique. Une autre illusion a été de confondre les ressources et les situations d’enseignement. Pour qu’un élève apprenne, il faut commencer par définir un contenu, un temps et un lieu, avec un scénario d’enseignement, et c’est une fois que ce cadre est formalisé que l’on se demande quelles ressources on va mobiliser.

Les technologies participent-elles à la démocratisation des savoirs ?

Plus ça va, moins j’y crois. Apprendre, c’est combler une distance entre ce que je sais déjà et ce que l’on m’enseigne. Plus la distance est grande, plus c’est difficile d’apprendre. Les NTIC ne changent rien à cela. C’est précisément le rôle du formateur de repérer les individus pour lesquels la distance est la plus grande et de leur apporter son appui.

ANDRÉ TRICOT

44 ans.

PARCOURS

Professeur de psychologie, spécialiste des apprentissages avec les nouvelles technologies, il est membre depuis 2000 du Laboratoire travail et cognition, à l’université de Toulouse. Auteur d’Apprentissages et documents numériques (éd. Belin, 2007) et coauteur de la Charge cognitive : théorie et applications (éd. Armand Colin, 2007), André Tricot travaille ou a travaillé avec EADS IW, Airbus, PSA, France Télécom ou Thales, notamment sur des projets d’e-learning.

Auteur

  • Laure Dumont