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Vie des entreprises

Tous flics ou cuistots… Merci la télé !

Vie des entreprises | Zoom | publié le : 01.05.2011 | Rozenn Le Saint

« Top chef », « Les Experts », « La Crim’ »… Les jeux et séries télévisés qui valorisent des métiers suscitent des vocations. Mais la réalité est moins séduisante.

Une lignée de jeunes cuisiniers battent en chœur leur crèmeà bavarois. Il est 11 heures, l’équipe de pâtisserie de la réputée école de cuisine Grégoire-Ferrandi, à Paris, est dans les temps pour servir son dessert du jour au restaurant d’application, mais la pression monte peu à peu. Pour 12h30, tout doit être prêt. Un peu plus et on se croirait dans les coulisses de l’émission « Top chef », sur M6. Même décor, même ballet de toques blanches, même envie de bien faire de jeunes passionnés. C’est justement cette émission qui a poussé Marion Prouillet, 20 ans, à quitter son IUT de chimie pour rejoindre l’école Ferrandi : « J’ai toujours eu envie d’étudier la cuisine, mais la dureté du métier et les horaires me rebutaient. “Top chef” m’a donné envie de sauter le pas. »

Pour le directeur de l’établissement, Bruno de Monte, « ces émissions ont décomplexé les gens par rapport à ce métier longtemps cantonné à une orientation plus ou moins forcée, manuelle et technique ». Même écho du côté de la star de l’établissement, Thomas Sassier, qui a remporté le jeu « Un dîner presque parfait » spécial écoles, en décembre dernier : « Certains de mes camarades ont fait des pieds et des mains pour faire admettre à leur famille qu’ils voulaient être cuisinier. Grâce à la télé, ce n’est plus un métier pour les gens qui n’ont pas d’avenir. »

« Un milieu de chiens ». Avant 2008 et la multiplication de ces émissions culinaires, l’école recevait quatre dossiers de candidature pour une seule place en formation de cuisine. À la rentrée dernière, le ratio était plutôt de sept pour un. Tiffany Depardieu, arrivée cette année en quart de finale de « Top chef », est une ancienne de Ferrandi. Le chef Philippe Salomon, professeur de pâtisserie, a participé à un tournage avec elle. Il reproche l’irréalisme de ce type d’émission, qui ne montre pas assez les heures à enchaîner, la fameuse coupure de l’après-midi, entre le service du midi et celui du soir, et le fait que la cuisine « est un milieu de chiens : l’ambiance dans une brigade, c’est une horreur ! Après avoir regardé ces programmes, les jeunes veulent faire des macarons, tout ce qui brille ! On doit les ramener à la réalité et leur montrer que la cuisine, ce n’est pas un jeu ».

Au CFA hôtellerie-restauration d’Avignon, l’ambiance est moins paillettes, mais l’influence de la télévision tout aussi présente. Selon sa directrice, Anne Charles, c’est surtout grâce à elle que les effectifs ont augmenté de 60 % en dix ans. « Un élève m’a dit que quand il a intégré l’école, il s’est cru en prison ou à l’armée. La cuisine, c’est comme ça, on dit “oui, chef” ; on ne le voit pas assez à la télé ! » estime-t-elle. Pour la deuxième année, elle organise à l’école un concours sur le même principe qu’« Un dîner presque parfait ».

Rien d’étonnant, pour la sociologue des médias Sabine Chalvon-Demersay, à ce que le petit écran suscite des vocations : « La télévision donne des modèles, permet de comparer avec la vie réelle et de mieux la comprendre. On se familiarise avec des univers qui sont présentés de façon attirante, ça peut donner envie de les intégrer. » L’agent immobilier le plus connu de France, Stéphane Plaza, fait régulièrement découvrir son métier à plus de 3,5 millions de téléspectateurs, dans « Recherche appartement ou maison » et « Maison à vendre », sur M6. La mine souriante, le style décontracté, il traverse tout Paris à la recherche de la bonne affaire. C’est lui, entre autres, qui a fait opter Benjamin Bonan, 22 ans, pour un BTS professions immobilières au Ceflu, à Paris : « Stéphane Plaza montre un aspect dynamique et relationnel du métier. Il va à la rencontre des commerçants, parcourt plein de maisons sympas, ça donne envie ! »

Tendance médecine légale. Le pouvoir de la télévision va même jusqu’à rendre tendance des métiers aussi peu attractifs, au premier abord, que celui de médecin légiste. Olivier Jardé, chirurgien et médecin légiste de formation, se souvient : « Il y a vingt ans, dans les salons d’orientation pour les jeunes internes, avec ma double casquette, les étudiants venaient uniquement pour m’interroger sur la chirurgie. Depuis quatre ans, les questions portent surtout sur la médecine légale ! » Les héros de séries comme « Les Experts » donnent une image du médecin légiste « qui détient la vérité scientifique, en faisant des tests ADN, de toxicologie sur les cadavres ». Mais, selon Olivier Jardé, elle fausse l’idée du métier : « Le médecin légiste travaille 80 % de son temps avec des vivants, sur des maltraitances, en milieu carcéral, etc. »

En tout cas, parmi les internes du CHU d’Amiens qui optent pour cette spécialité, c’est avant toute chose leur passion pour la médecine qui les a poussés vers cette voie à bac + 10. Sabine Chalvon-Demersay, elle, s’est penchée sur la série « Urgences » et ce qu’en pense le personnel hospitalier. Dr Ross a bien sûr fait son effet, mais la sociologue note plus globalement que la représentation de l’ensemble des métiers, du chirurgien à l’infirmière, « contribue à créer une atmosphère d’équipe, à donner une image de camaraderie au travail, ce qui est apprécié par le personnel ».

Constat similaire de Guillaume Le Saulnier, qui a soutenu sa thèse l’an dernier sur la perception des séries policières : « Ce qui plaît le plus aux policiers, c’est l’action, mais aussi le fait que le héros appartienne à un milieu, avec ses codes, et partage des liens forts avec ses collègues. » Et de préciser : « Cette profession est omniprésente à la télévision, c’est la plus représentée, entre les faits divers, le thème sécuritaire dans les journaux, les films et les séries américaines mais aussi françaises, comme “Engrenages”. » Parmi les 58 policiers franciliens qu’il a interrogés, huit ont admis que les séries télé constituent la principale raison pour laquelle ils sont entrés dans la police. « Elles leur offrent matière à se projeter dans le métier ; alors, quand ils se retrouvent à faire le planton devant une ambassade ou à la circulation, ils sont déçus, analyse le sociologue. Mais cela peut leur donner envie de postuler à la crim ». Pour ressembler à Navarro

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  • Rozenn Le Saint