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Vie des entreprises

Les auto-écoles ne tiennent pas la route

Vie des entreprises | Zoom | publié le : 01.04.2011 | Stéphanie Cachinero

Drôle de secteur où l’enseignement de la conduite est réglementé mais pas la gestion des boutiques. Les petites combines sont légion, les évolutions de carrière inexistantes. Mais la recherche de solutions progresse peu.

Des anecdotes souvent savoureuses sur un métier un peu « Club Med ». Le passage par la case auto-école et la fréquentation des moniteurs laisse des souvenirs impérissables à bon nombre d’apprentis conducteurs. Tous les ans, ils sont plus de 1 million à tenter de décrocher leur permis de conduire. En 2009, 60 % d’entre eux sont repartis avec le fameux papier rose en poche. Cette année, Camille, 18 ans, a grossi les rangs des lauréats. Papa sabre le champagne et trinque avec Manu, le moniteur de la jeune lycéenne. Mais, derrière les effusions, Manu cache difficilement son amertume. Ras-le-bol de son patron et des heures payées « au black » en sus de son salaire déclaré. Il a pourtant le choix, avec les 12 400 établissements qui maillent le territoire. Mais il ne se fait plus d’illusions. Dans ce secteur, les abus sont légion et les « petites combines » monnaie courante, comme le fait remarquer Philippe Colombani, président de l’Union nationale des indépendants de la conduite (Unic). Un syndicat d’exploitants qui prend de l’ampleur, fort de ses trois sièges (un de plus, remporté lors des dernières élections professionnelles) au sein du Conseil supérieur de l’éducation routière (CSER) – institution paritaire qui détermine, sous tutelle de l’État, la politique du secteur de l’enseignement de la conduite. Une montée en puissance qui s’explique : plus de 80 % des auto-écoles comptent moins de cinq salariés. Parmi elles, 40 % exercent leur activité en libéral.

Petits arrangements avec les salaires

Les auto-écoles, « c’est le monde du grand n’importe quoi », renchérit Yves, enseignant de la conduite dans le Loiret. Au bout de dix-neuf ans de carrière, ce quadra a multiplié les employeurs. Son espoir : trouver un « patron plus réglo ». « Les heures sup n’existent pas dans notre métier. Officiellement, je suis à 35 heures. Mais mon temps de travail effectif approche les 50 heures hebdomadaires », confie le moniteur. En apparence, son bulletin de paie affiche le smic. « Le reste de ma rémunération, c’est de la main à la main. Au final, je gagne près de 2 000 euros par mois. » En région parisienne, ces petits arrangements sont fréquents. « Mon ancien patron déclarait tous les mois 86 heures, alors que j’en faisais 260. Dans ces conditions, je me demande quelle retraite je peux espérer », s’inquiète Claire, monitrice dans les alentours de la capitale depuis quatre ans.

Hors la loi, ces pratiques sont, en grande partie, la conséquence d’un marché contraint par la réglementation. En effet, les préfectures, qui déterminent le nombre d’autorisations pour passer le permis, n’en délivrent pas suffisamment, par manque d’inspecteurs. Conséquence, certaines écoles sont contraintes de tourner au ralenti. Cette donne échappe généralement aux aspirants conducteurs qui continuent de franchir, en masse, les portes des écoles de conduite. Pour ne pas perdre cette clientèle, beaucoup ont tendance à gonfler le volume d’heures que devront accomplir les futurs automobilistes et autres motards. Souvent en sous-effectif, ces structures préfèrent payer au noir leurs moniteurs pour ces heures qui s’ajoutent au compteur plutôt que de recruter.

Et « plus les entreprises sont petites, plus il y a de problèmes. Les contrôles de l’Inspection du travail y sont moins fréquents », assure Bruno Garancher, P-DG de la Cerca, école de conduite administrée sous la forme d’une scop et membre de l’Union nationale intersyndicale des enseignants de la conduite (Unidec), émanation de la CGPME. « Vu de l’extérieur, notre profession peut donner l’impression d’être un véritable western », ironise cet ancien représentant de la Chambre nationale des salariés responsables de l’enseignement de la conduite et de la sécurité routière. Devenu patron, il a intégré le collège patronal du CSER. Et c’est à sa femme qu’il a « passé les rênes », « élue en bonne et due forme », précise-t-il.

Faire valoir ses droits et s’engager dans la lutte syndicale ? Les troupes – les derniers chiffres de l’Unedic datant de 2007 mentionnent 22 000 moniteurs – ne semblent pas motivées. La plupart des syndicats de salariés de la profession font état d’un taux de syndicalisation proche du néant. Pas de quoi instaurer un vrai dialogue social dans les auto-écoles, qui restent « au niveau zéro », de l’aveu de Bruno de Korsak, secrétaire général du Syndicat national de l’enseignement de la conduite et de l’éducation routière. Cette absence de mobilisation des salariés trouve sans doute son origine dans le profil des moniteurs. Les enseignants de la conduite « de vocation » ne courent pas les rues. « J’ai débuté à l’âge de 27 ans. À l’époque, je me trouvais au chômage. Je ne savais pas trop quoi faire. Mais l’enseignement m’attirait », se rappelle Pierre, 40 ans, moniteur près d’Orléans.

Dans une étude publiée en septembre 2009, l’Association nationale pour la formation automobile révèle que la majorité des personnes qui suivent une formation en vue de passer leur brevet pour l’exercice de la profession d’enseignant de la conduite automobile et de la sécurité routière (Bepecaser), diplôme de niveau bac, s’inscrivent dans une démarche de reconversion professionnelle. « Les candidats s’engagent dans la profession par défaut. Ce qui participe d’un turnover important chez les enseignants de la conduite », constate un responsable d’un centre de formation agréé. En moyenne, une carrière de moniteur n’excède pas huit ans. Et d’ajouter : « Pôle emploi est un gros pourvoyeur de candidats au Bepecaser. Beaucoup ne voient dans cette formation que le moyen de prolonger leurs droits au chômage. Sans compter que, sur les 70 % de gens qui obtiennent leur diplôme de moniteur, près de 20 % ne vont pas jusqu’au bout de la démarche et n’enseignent jamais. »

Quant à ceux qui embrassent le métier, beaucoup finissent aussi par se décourager devant l’absence d’évolution de carrière. « Avec le Bepecaser, je suis au top des diplômes dans la profession. Rien n’est prévu pour gravir les échelons. Il n’y en a pas », enrage Pierre. Seule alternative, se diversifier et devenir moniteur poids lourd, moto ou encore gérant. « Moi, je n’y tiens pas. C’est trop de contraintes pour un salaire qui n’est pas à la hauteur [environ 1 800 euros en province et 2 200 euros en région parisienne, NDLR] », note Dominique, moniteur dans le Poitou. Et il n’est pas le seul de cet avis.

Devenus autoentrepreneurs, certains moniteurs facturent l’heure à 20 euros, contre 38 en auto-école

Devenir patron d’auto-école, cela ne s’improvise pas. Ce qui n’a pas dissuadé le législateur de libéraliser la profession – conformément aux obligations européennes – avec la loi du 5 janvier 2011. Désormais, tout un chacun peut ouvrir sa propre auto-école, sans expérience, alors que les métiers de l’enseignement de la conduite font l’objet d’une réglementation étatique draconienne, sécurité routière oblige. « On ne peut pas être au niveau du jour an lendemain », relève l’Unidec, qui ne manque pas de souligner ce paradoxe. L’Unic, quant à elle, ne s’alarme pas. « Il ne serait pas si mal que de vrais chefs d’entreprise prennent la tête d’auto-écoles. Mais il faudrait s’assurer que le responsable pédagogique soit compétent en la matière. Qu’il ait de la bouteille, trois à quatre ans d’ancienneté », estime Philippe Colombani, chef de file de l’Unic.

Revaloriser les formations

Malgré tout, les acteurs de la profession cherchent des solutions. L’Unidec et le Conseil national des professions de l’automobile, syndicat historique né sous la bannière du Medef, proposent de revaloriser le Bepecaser en diplôme de niveau 3 (BTS, DUT). L’Unic souhaiterait même inaugurer une formation d’enseignement de la conduite, à l’image du bac pro « métiers de la sécurité routière ». Dans leur grande majorité, les syndicats d’exploitants militent aussi pour une amélioration de la formation des gérants d’auto-école. Le manque de connaissances en matière de gestion et de comptabilité d’entreprise saute aux yeux. En ce qui concerne les salariés, « on pourrait imaginer une hiérarchie qui prenne en compte les années d’ancienneté, par le biais de coefficients. Commencer moniteur et devenir chef d’équipe pédagogique au bout de quatre à cinq ans, par exemple. Faire des entretiens annuels d’évaluation et fixer des objectifs à nos collaborateurs afin de les motiver », suggère Bruno Garancher.

Des idées qui n’ont pas encore abouti. « Le gouvernement annonce des mesures en termes de formation. Sans donner de calendrier. Et les syndicats rechignent à prendre les devants. Le risque de mettre en place des formations qui ne seraient pas conformes aux dispositions ministérielles est trop grand : elles ne seraient pas prise en charge financièrement. Ce qui pourrait avoir un impact contre-productif sur le prix du permis », souligne Joël Cassegrain, vice-président de l’Unic. L’attente pourrait être longue, puisque la profession relève du ministère de l’Intérieur, plus préoccupé par la sécurité que par la formation.

Face à tant d’inertie, certains moniteurs se lancent dans l’autoentrepreneuriat. Un mode d’exercice qui leur permet de proposer des tarifs inférieurs (20 euros l’heure contre 38 en moyenne en auto-école). Le bémol : cette pratique emprunte la voie de l’illégalité. Les enseignants de la conduite ne peuvent pas dispenser, en dehors d’une structure agréée par la préfecture, des cours à titre onéreux. Pour autant, les offres pullulent sur le Net. La formule : le jeune s’inscrit en candidat libre pour passer son permis. Ce qui ne lui coûte pas un centime. Et le moniteur autoentrepreneur le forme à moindre coût. Attention, bien sûr, aux contrôles de l’Urssaf, pour l’instant rarissimes. Déjà mal-en-point, la profession n’avait pas besoin de cette concurrence en forme de low-cost.

Le Smacmac monte au créneau

Les quelque 4 000 médecins agréés du permis de conduire brandissent la menace d’une grève. Au cœur du mécontentement ? Une rémunération trop faible : 12,20 euros pour chaque examen en commission préfectorale. D’après le Syndicat des médecins agréés pour le contrôle de l’aptitude médicale à la conduite (Smacmac), affilié à la Confédération des syndicats médicaux français (CMSF), leurs émoluments n’ont pas été revalorisés depuis 2002.

À cela s’ajoute des conditions de travail souvent « déplorables ». De quoi alimenter la colère de ces médecins généralistes obligés de suivre une formation spécifique et décourager les vocations. Les pouvoirs publics ne semblent pas prendre la mesure du « rôle préventif essentiel en matière de sécurité routière » qu’endosse cette catégorie de praticiens.

Pour trouver un terrain d’entente, des discussions ont été engagées avec le gouvernement. Malgré la confiance que porte le Smacmac à la direction de la sécurité routière, ses adhérents ont fait savoir qu’ils « ne patienter[aient] pas indéfiniment ». Les chauffards suspendus de permis, mais aussi les conducteurs souffrant de pathologies qui nécessitent de passer devant cette commission pourraient bien attendre longtemps avant de reprendre le volant. La marche, il n’y a que ça de vrai !

Auteur

  • Stéphanie Cachinero