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La prime à la double compétence

Dossier | publié le : 01.04.2011 | Sarah Delattre, Rozenn Le Saint

Évolution des fonctions oblige, cadres confirmés et jeunes diplômés cherchent de plus en plus à compléter leur formation technique par une compétence managériale. Et plébiscitent les masters d’université et les mastères des grandes écoles.

Une quinzaine d’années après sa sortie de l’école centrale de Lille, Alain Gouriou, un ingénieur de 40 ans, a voulu « quitter le bain purement technique » en ajoutant une dimension commerciale à son CV. Après avoir travaillé chez Philips et dans une PME, il a rejoint en 2002 DCNS, qui fabrique des navires pour la Marine nationale. À la rentrée 2006, il quitte l’arsenal brestois quatre jours par mois, pendant deux ans, pour s’asseoir sur les bancs de l’institut d’administration des entreprises (IAE) de l’université de Bretagne occidentale (UBO). « J’ai toujours manipulé des données technico-chiffrées. Pour progresser, j’avais besoin d’un fil conducteur afin de mieux comprendre la gestion d’une entreprise. Maintenant, les chiffres ont un sens pour moi et s’inscrivent dans une dimension globale », témoigne Alain Gouriou. Son master Administration générale des entreprises obtenu à l’IAE lui a permis de changer de poste. Alors qu’il était chef de projet sur la partie porte-avions et « cantonné à un rôle technique », il est devenu responsable commercial pour les opérations de sous-­marin. Une double compétence appréciée dans son entreprise, qui a financé un quart de la formation. Le conseil général a pris en charge la moitié du master, qui revient en tout à 7 000 euros pour les deux années, l’intéressé lui-même finançant le dernier quart.

Sur les 60 000 personnes qui reprennent des études en formation continue chaque année, un tiers optent pour un master, devenu plus visible et reconnu à l’étranger depuis la réforme licence-master-doctorat (LMD). Et les chouchous du moment sont justement les masters d’IAE, selon Jean-Marie Filloque, président de la Conférence des directeurs de service universitaire de formation continue : « La double compétence est très recherchée. De plus en plus, les cadres techniques sont amenés à gérer des ressources humaines dans leur entreprise. Mais leur formation initiale ne leur a pas offert les compétences nécessaires, d’où le succès des IAE. » « Entre des pharmaciens, des médecins, des ingénieurs en électronique, des informaticiens, des conseillers de clientèle, qui souhaitent soit s’extraire de l’aspect technique, soit évoluer vers la gestion de projet, on trouve tous les profils dans les rangs des masters de l’IAE de l’UBO », constate son directeur adjoint, Patrick Leconte.

Jean-Michel Boisserpe, par exemple, a entrepris un master Management des systèmes d’information et de communication en 2005. Titulaire d’un BTS d’informatique, il a réussi à se hisser au niveau de chef de projet chez Laïta. « Je sentais que je traversais une période de creux dans ma carrière, ça commençait à ronronner un peu, alors j’ai voulu confronter mes pratiques et les conforter avec des connaissances théoriques », témoigne ce quinquagénaire qui, pendant deux ans, a enchaîné heures de travail et cours. Un effort récompensé puisque, après sa formation, il est devenu directeur des systèmes informatiques avec, à la clé, un salaire accru de 10 %. Mais son master lui a surtout permis de « prendre de la hauteur en management et d’avoir plus d’arguments à avancer à la hiérarchie pour mettre en valeur l’informatique dans l’entreprise ». Comme Jean-Michel Boisserpe, un quart des élèves de l’IAE de l’UBO sont en formation continue, soit en alternance, soit en validation des acquis de l’expérience (VAE). Dans ce dernier cas, ils suivent l’intégralité de la formation, dont le coût ne dépasse pas 4 500 euros l’année.

Dans le registre de la double compétence, une autre formation a la cote : le mastère spécialisé (MS). Cette formation bac+ 6, accessible après un master 2, est uniquement délivrée par les grandes écoles, qui offrent un éventail de près de 460 MS. La formation dure un an et coûte en moyenne de 10 000 à 12 000 euros. Les grandes écoles ont bien compris cette tendance à la « managérialisation » des cadres techniques. « D’ici à 2015, nous nous sommes fixé un objectif : 40 % de nos étudiants sortiront de notre école avec une double compétence », avance Jean Charroin, directeur du programme grande école d’Audencia Nantes, qui propose six MS. « Dans nos mastères spécialisés, les trois quarts des étudiants sont des scientifiques, ingénieurs ou docteurs, qui, conscients de la mixité des compétences que l’on demande à un ingénieur, ont choisi cette formation en complément », assure Pascal Lefort, directeur de la formation continue de Grenoble École de management.

Entre les masters, les mastères spécialisés et les MBA, pas facile de s’y retrouver. Tawhid Chtioui, directeur délégué de l’Institut supérieur de gestion, tente de déchiffrer : « Le mastère spécialisé, comme son nom l’indique, est un programme de spécialisation, contrairement au MBA, qui serait plutôt une formation de déspécialisation, permettant à des gens qui ont déjà travaillé cinq à six ans de consolider un socle de connaissances, de maîtriser l’ensemble des concepts organisationnels. » Dans un salon des masters, MS et MBA, Thomas Pages, 21 ans, a l’air un peu perdu face à cette offre : « Après mon diplôme d’ingénieur à l’ESME Sudria, j’aimerais développer une compétence managériale en plus. Je pense à un MBA à Sydney. Cela me permettrait d’avoir un meilleur salaire et de grimper les échelons plus vite. » Aux yeux de Tawhid Chtioui, ce futur ingénieur est plus proche du profil d’un candidat au mastère spécialisé : un jeune de 26-27 ans, plutôt scientifique, soucieux d’ajouter une corde management à son arc. Rien ne sert, selon lui, de « brûler la carte MBA » trop tôt alors qu’elle peut être utilisée cinq ans après l’entrée sur le marché du travail pour pouvoir ensuite prétendre à de plus grandes responsabilités.

Une fois son diplôme d’ingénieur en poche, Benjamin Chapuy, 21 ans, envisage d’enchaîner sur un MS. Avec une idée bien précise : devenir responsable d’affaires pour une entreprise de BTP dans le secteur de l’énergie, comme Vinci. « En cinq ans d’école d’ingénieurs, j’aurai acquis les compétences techniques, mais j’aimerais aussi en avoir en management », argue-t-il. Pour Tawhid Chtioui, « quand on a un projet bien défini, mieux vaut se lancer directement sur le marché du travail. Le MS, c’est plutôt quand on n’a pas d’idée précise ». Le MS permettrait ainsi de mûrir un an de plus un projet après cinq années d’études. Un risque, selon Jean-Marc Mickeler, associé du cabinet d’audit et de conseil Deloitte : « Un MS n’est jamais exigé, il est valorisé seulement s’il apporte une compétence en plus. Faire un MS dans le même domaine que son master, c’est seulement reculer l’entrée sur le marché du travail.En revanche, entre un profil d’ingénieur pur et quelqu’un qui a complété sa formation d’un MS Finance, forcément, on choisira le second. Cette double compétence non seulement est préférée à l’embauche, mais peut permettre de sortir de nos grilles de salaires. »

« Le MS n’est pas une formation que l’on demande spécifiquement, il faut vraiment qu’il spécialise le candidat sur un point bien précis. Ce qui est important, c’est l’expérience. C’est pourquoi un MS en alternance a beaucoup plus de valeur à nos yeux », affirme Estelle Raoul, directrice au cabinet d’intérim et de recrutement Page Personnel.

Partenariats entre écoles. Mais les masters d’IAE et les MS n’ont pas le monopole de la double compétence. « Quelques universités proposent des compléments de formation en management dans leurs masters », affirme Colette Voisin, de Paris II. Côté grandes écoles, les partenariats entre écoles d’ingénieurs et de commerce sont à la mode. L’EM Lyon Business School et Centrale Lyon, par exemple, ont pour ambition de donner naissance à la rentrée 2012 à une troisième école, Idea (Innovation, design, entrepreneuriat et art), qui proposera un master et trois mastères spécialisés. « Le but de ce mariage de la science et du business est de préparer les leaders du futur, en formant des ingénieurs entrepreneurs, des managers techniciens. L’idée est de donner aux formations d’ingénieur un côté bicéphal », s’enthousiasme Pierre Soudan, responsable du rapprochement des deux écoles. Nom de code du projet : « ying yang ».

R. L.S.

Alain Gouriou, 40 ans, salarié de DCNS (armement naval de défense), a fait un master Administration générale des entreprises en formation continue à l’IAE de l’université de Bretagne.

“J’ai quitté l’école centrale de Lille il y a une quinzaine d’années. À l’époque, il n’y avait aucune dimension managériale dans la formation, qui serait venue apporter un vernis, un complément utile. Mon master à l’IEA me l’a procuré et m’a permis de changer de travail. Apprendre à élaborer des offres et à les négocier avec les clients m’a conduit à devenir responsable commercial, mais ma formation d’ingénieur reste un plus, au niveau technique.”

Auteur

  • Sarah Delattre, Rozenn Le Saint