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Politique sociale

Jeudi noir squatte la scène

Politique sociale | publié le : 01.03.2011 | Laure Dumont

Connus pour leurs occupations spectaculaires, eux-mêmes squatteurs, les jeunes du collectif Jeudi noir inventent une nouvelle forme de contestation. Ils mettent au jour les problèmes de logement, mais les avancées obtenues restent timides.

L’air un peu confus, Maxim referme la porte de sa chambre : « Excusez-moi, je n’ai pas eu le temps de faire mon lit. » Anne Hidalgo rigole. Avec les médias qui l’accompagnent, l’adjointe au maire de Paris (PS) entrera dans la chambre, mais elle fermera les yeux sur les matelas en quinconce et les sacs de couchage en boule. Ce 13 janvier, l’élue fait un acte de soutien symbolique. À l’instar de Jean-Luc Mélenchon, Olivier Besancenot ou Eva Joly, qui l’ont précédée les jours d’avant.

Du 28 décembre 2010 au 18 février 2011, date de l’expulsion des occupants, Maxim Hupel, 27 ans, a été le « locataire » officiel du 22, avenue Matignon, 2 500 mètres carrés sur huit étages dans le triangle d’or parisien, nombreux balcons, vue imprenable sur l’Élysée et la tour Eiffel. Loyer ? 1,7 million d’euros par an. Une somme que Maxim, salarié d’une association, n’avait pas les moyens, ni l’intention, d’acquitter. En revanche, il avait pris soin de faire constater sa présence par huissier, car il sait qu’au-delà de quarante-huit heures, il est inexpulsable sans une injonction de la justice. Qui a fini par tomber le 15 février. Militant de Jeudi noir, et surtout sans logement, Maxim occupait les lieux avec une vingtaine de militants de 20 à 30 ans.

Étudiants, jeunes travailleurs, chômeurs, leurs revenus ne leur permettent pas de répondre aux critères draconiens et aux loyers exorbitants du marché francilien. Alors ils repèrent les immeubles vides et s’y installent. Sans effraction. « Des grimpeurs explorent les façades afin de trouver un moyen d’entrer sans dégâts, explique Leïla Chaibi, de Jeudi noir ; sinon, c’est une voie de fait et on se retrouve au commissariat. » Avenue Matignon, il a suffi de pousser la porte en verre de l’immeuble, vide depuis quatre ans. « La lumière était allumée, raconte Ophélie, nous avons branché l’eau chaude et installé des radiateurs. Il a fallu dix jours pour qu’Axa [le propriétaire, dont le siège social est en face, au 23] se rende compte que l’on occupait les lieux, parce qu’on l’y a aidé. » Chez Jeudi noir, on appelle ça une « réquisition citoyenne » en application de l’ordonnance de 1945.

Pragmatiques, pointus, efficaces. Les « Jeudi noir » sont des militants d’une nouvelle ère. Ce sont les enfants du revers de la mondialisation. Loin des codes du militantisme traditionnel – tracts, manifs et grèves –, ils inventent un engagement d’un genre nouveau pour dénoncer les injustices du système. Leur nébuleuse, de Génération précaire à La Pelle et la Pioche, fait parler d’elle par des actions spectaculaires, culottées mais bon enfant, toujours festives et drôles. Avec confettis, perruques et bouteilles de Champomy, ils envahissent les appartements en cours de visite, pique-niquent dans les supermarchés et s’invitent aux conférences de presse des ministres. « On veut provoquer l’assentiment de la mémé devant sa télé, explique Leïla Chaibi, on n’est pas des marginaux. » Et ça marche. Les médias adorent, tandis que les soutiens pleuvent, de Mgr Gaillot à Jean-Baptiste Eyraud, le fondateur de Droit au logement (DAL), en passant par le député des Yvelines, Étienne Pinte, seul UMP à figurer sur la longue liste de leurs appuis politiques. « Dès le début, ils n’étaient pas seulement dans la dénonciation, souligne Annick Coupé, porte-parole de Solidaires, ils avaient une grande expertise et se plaçaient d’égal à égal avec les syndicats. » Même s’il reconnaît ne pas être toujours d’accord avec eux, le fondateur de DAL voit en eux un relais efficace de ses combats : « Parce qu’ils proviennent des classes moyennes, ils élargissent la base sociale de la lutte pour le logement et la renforcent, note-t-il. Ils sont de leur temps. »

Ces jeunes-là n’ont pourtant pas grand-chose à voir avec cette génération Ytant décriée pour son individualisme mercenaire. Le philosophe Miguel Benasayag parle, lui, d’une « subjectivité contestataire ». « Cette dissidence est vitale, analyse-t-il, ce n’est pas parce qu’elle est festive qu’elle n’est pas sérieuse. Ces militants ont raison d’abandonner les vieux modèles politiques et doivent rester à distance des partis que les élections rendent amnésiques. En revanche, leur défi est de ne pas se laisser piéger par le système qui les met dans une bulle sur le thème “il faut que jeunesse se passe”. Comme s’il y avait des luttes acceptables et des luttes criminalisées. On ne peut pas faire la révolution sans en payer le prix. »

« Le squat, ça casse ». Face à la liste des condamnations dont certains Jeudi noir font l’objet, on ne peut pas dire que leur engagement soit sans risque. Les propriétaires des immeubles de la rue de Sèvres et de la place des Vosges, occupés durant des années, leur réclament respectivement 460 000 et 90 000 euros. « Des saisies sur comptes bancaires de 8 000 et 6 000 euros ont déjà eu lieu », précise Julien Bayou. Rien de très confortable pour un démarrage dans la vie. « J’ai vécu un an à la Marquise [place des Vosges], raconte Margaux Leduc. Tous les matins, je me réveillais automatiquement à 5 h 30 par peur de l’expulsion. Le squat, ça casse, les conditions sont dures, il fait froid, la vie en collectivité de précaires est éprouvante, certains pètent les plombs. » Le samedi 23 octobre 2010, à 7 heures du matin, les 32 occupants de cet hôtel particulier du Marais, laissé vide par sa riche propriétaire depuis des décennies, ont été mis dehors par la police : « Tu te retrouves en pyjama avec ta plante verte, ton chat et tes cours, en train de chialer dans la rue », résume Ophélie.

Un sort peu enviable, mais qui ne lasse pas ces jeunes. D’autant que, à tout petits pas, ils obtiennent des résultats : le propriétaire de l’immeuble de la rue de la Banque, occupé durant deux ans avec le DAL, a finalement vendu son bien à la mairie de Paris, qui va en faire des logements sociaux. « Il y a un an, note l’avocat de Jeudi noir, Me Pascal Winter, on n’aurait jamais opposé le droit au logement au droit de propriété. Aujourd’hui, on le fait. Je sens les magistrats de plus en plus gênés aux entournures quand ils jugent ces affaires. » Parfaitement conscients des limites de leurs luttes festives et de la manipulation médiatique et politique qui les menace, les Jeudi noir maintiennent le cap. « Au bout de cinq ans, on continue, et les médias sont toujours là », constate Manuel Domergue. « Nous ne demandons qu’à être récupérés », insiste Julien Bayou. Sans mélanger les casquettes, certains prolongent en effet leur action par un engagement public. Car, en politique aussi, on n’est jamais mieux servi que par soi-même.

130 000 logements sont vides à Paris, selon l’Insee.

Ils n’ont pas d’appart mais ils ont des idées…

Créé en 2006 par les fondateurs de Génération précaire, qui protestait contre les stages abusifs, Jeudi noir est un collectif de jeunes étudiants, salariés ou chômeurs qui alerte médias et politiques sur la crise du logement. Son nom fait référence au jour de parution des petites annonces immobilières. Jeudi noir compte environ 300 sympathisants qui se contactent par Internet et SMS et fonctionnent selon un mode de décision collectif avec un turnover régulier pour les fonctions de représentation. Rompus aux usages médiatiques, ces « galériens du logement » se forment mutuellement à l’interview. En intégrant Jeudi noir, ils acceptent de témoigner de leur situation personnelle. Jeudi noir fait partie du Réseau stop aux expulsions de logement avec le DAL, Emmaüs, la Fondation Abbé-Pierre… En décembre 2009, le collectif a publié le Petit Livre noir du logement (éd. La Découverte), un état des lieux implacable expliquant, chiffres à l’appui, la crise du logement en France. Il comporte une liste de propositions pour y remédier, comme l’instauration d’une taxe sur la vacance, une réforme du logement social comprenant la mise en place de surloyers de solidarité pour les ménages dépassant les conditions d’accès, l’augmentation du nombre de logements sociaux et étudiants, la réforme des APL ou le gel des loyers.

Auteur

  • Laure Dumont