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Idées

L’arrêt du 18 janvier 2011 va-t-il freiner les restructurations dans les groupes ?

Idées | Débat | publié le : 01.03.2011 |

La Cour de cassation a jugé infondé le licenciement des salariés de Mécanique Industrie Chimie et irrecevable la cessation d’activité de cette filiale du groupe allemand JFH, au motif que celui-ci, en bonne santé financière, avait la qualité de « coemployeur » à l’égard du personnel.

Emmanuel Dockès Professeur à l’université Paris Ouest Nanterre

Les groupes de sociétés se développent, y compris dans les PME. 57 % des salariés travaillent désormais dans ces structures. Un tel engouement s’explique par un souci d’« optimisation fiscale et sociale », autrement dit par la recherche d’un contournement du droit fiscal et du droit social. L’arrêt Jungheinrich du 18 janvier 2011 décide de poser quelques limites à ces stratégies d’évitement du droit. C’est en l’occurrence le droit du licenciement que l’arrêt entend faire respecter.

Dans de tels groupes, pour justifier des licenciements économiques, il suffisait, pensait-on, de mettre en difficulté une filiale. Rien de plus facile : les moyens de faire passer actifs et bénéfices d’une société du groupe à l’autre sont légion. La filiale asséchée connaîtra ainsi de sérieux problèmes. Dans le cas soumis le 18 janvier 2011, la filiale avait même été mise en liquidation judiciaire. La justification du licenciement économique semble alors aller de soi… La manœuvre est facile, habituelle, mais un peu trop visible. L’arrêt la condamne. Il décide que la justification du licenciement ne doit plus être appréciée au niveau de la filiale, mais à celui du secteur d’activité du groupe, si la situation économique vient de décisions prises à l’échelon du groupe (v. aussi, plus récemment, Cass. soc., 1er février 2011, n° 10-30.045). La fermeture d’une simple filiale n’est donc plus une justification suffisante. Encore faut-il que la situation du secteur d’activité du groupe légitime le licenciement, ce qui est ? une tout autre histoire.

L’arrêt Jungheinrich présente un second intérêt. La filiale avait été placée en liquidation judiciaire, mettant ainsi en péril les droits des salariés. La Cour de cassation affirme que la société mère doit être considérée comme coemployeur et qu’elle doit, à ce titre, assumer toutes les dettes qui ont pu naître au profit des salariés. Cette assimilation est de droit en cas de « confusion d’intérêts, d’activités et de direction » au sein du groupe. Inutile alors de créer des sociétés écrans pour isoler les salariés des vrais centres de décision. Ces derniers seront considérés comme coemployeurs et donc comme coresponsables. L’arrêt du 18 janvier 2011 ne freine pas les restructurations. Il exige simplement qu’elles soient faites en respectant le droit du travail. Ce qu’il freine, ce sont les stratégies d’évitement par la constitution de groupes de sociétés.

Fatima MekhettecheAvocate au barreau de Paris.

L’originalité de cet arrêt est de modifier l’angle sous lequel est étudiée la cessation d’activité. Alors qu’auparavant la fermeture d’une entreprise suffisait en principe à justifier le licenciement économique des salariés, les magistrats s’interrogent dorénavant sur l’origine de cette fermeture. Dans cette recherche, ils analysent le rôle de l’employeur, mais également celui du groupe auquel il appartient. Or cette extension pourrait fragiliser les structures de tête en leur faisant supporter la responsabilité des choix de gestion édictés. Ainsi, au travers de la notion de coemploi, les juges recherchent si le pouvoir de direction n’a pas été transféré à la maison mère qui détenait en réalité les rênes de la gestion financière, administrative et stratégique de sa filiale.

Ce tournant jurisprudentiel n’est pas neutre mais s’inscrit dans une démarche plus globale de moralisation des relations de travail. Dès lors que la filiale ne bénéficiait pas d’une indépendance suffisante pour fixer seule sa politique, les salariés sont aujourd’hui autorisés à poursuivre leur maison mère. La nature de la structure de tête importe peu puisque, en définitive, c’est une personne morale solvable qui est recherchée. Ainsi, dans l’arrêt du 18 janvier 2011, la société mère, reconnue coemployeur dans le cadre de la liquidation de sa filiale, était une société holding qui ne disposait en son sein d’aucun personnel et n’avait jamais fourni de prestation de travail aux salariés de sa filiale. Pour autant, la Cour de cassation, se retranchant derrière l’appréciation souveraine des juges du fond, fait fi de ces obstacles.

Après avoir reconnu « une confusion d’intérêts, d’activités et de direction » entre la société mère et sa filiale, les juges estiment que la cessation d’activité aurait dû être justifiée par les difficultés économiques au sein de la filiale mais également au sein du groupe auquel elle appartenait. Ce n’est donc pas une contrainte supplémentaire qui est supportée par la filiale, mais une personne morale nouvelle qui est recherchée. Cependant, l’ensemble du groupe est visé et ce n’est pas à la seule maison mère de faire état de ces difficultés. Les groupes d’entreprises doivent donc être particulièrement vigilants sur leur organisation interne et s’assurer en permanence que chacune des filiales dispose d’une réelle autonomie de direction. À défaut, nous pouvons craindre que les salariés multiplient les actions judiciaires à l’encontre des groupes.

Jean-Christophe Sciberras DRH France de Rhodia et président de l’ANDRH.

Cette jurisprudence doit tout de suite attirer l’attention des DRH. Pourquoi ? Pour une première raison, qui a le plus fait de bruit : fermer une société n’est plus, dans un groupe, un motif légitime suffisant de licenciement économique. C’est un recul de pouvoir de décision patronal, autorisé jusqu’alors, et il faut désormais invoquer un motif économique de sauvegarde de compétitivité au niveau du groupe, dès lors que la filiale y est très imbriquée, du point de vue de ses modes de décision. Certaines filiales disposent d’une autonomie de décision forte. Mais la tendance est souvent à la mutualisation des fonctions, notamment de support, comme la fonction RH, et cette démarche de rationalisation conduira à une appréhension globale de la situation. Donc, bienvenue à la délégation, à ? la responsabilisation par l’attribution des moyens humains nécessaires à l’exercice de cette délégation aux dirigeants des filiales !

La seconde raison qui doit alerter, c’est l’irruption du coemployeur. Nos vieilles fiches de travaux dirigés de droit du travail en relevaient l’existence. Mais personne n’en parlait beaucoup. Cette époque est révolue. Car, même si l’affaire en cause est particulière puisqu’il semble que la société mère avait voulu faire échec au refus des salariés d’accepter un transfert proposé de contrat de travail en liquidant la filiale, mesurer les conséquences de la notion de coemployeur est immédiatement nécessaire. Ici, il s’agit de trouver un débiteur de la condamnation judiciaire, c’est la société mère, voilà qui soulagera l’AGS !

Mais on peut aller plus loin. L’interpénétration des systèmes de décision dans un groupe est considérable et, bien souvent, l’existence d’une filiale n’empêche nullement la remontée au sommet de décisions, notamment lorsqu’elles dépassent un montant financier donné ou qu’elles concernent l’embauche. Les salariés ou les syndicats vont donc désormais attirer en justice non seulement leur société employeur, mais aussi la société mère, pour maximiser les chances de gain. Là encore, le travail du DRH sera de rappeler le fait que la création d’une entité juridique n’exonère pas de responsabilité et que, si la direction générale souhaite donner tout son sens à cette création, il faut laisser la responsabilité de décision et de moyens à ceux qui la dirigent. Aux salariés alors et à leurs représentants d’admettre qu’il puisse y avoir des politiques et des réalités sociales variées au sein d’un groupe.