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Enquête

Mais qui donc a sauvé Heuliez ?

Enquête | publié le : 01.03.2011 | Anne Fairise

Érigé en symbole des carences de l’État, le sous-traitant automobile s’est trouvé au cœur d’une lutte médiatique entre le gouvernement et la région PS. Sur le terrain, l’investissement des élus territoriaux dans la recapitalisation de la PME et la recherche de repreneurs est jugé déterminant.

Dans le bocage bressuirais, territoire verdoyant du nord des Deux-Sèvres, personne ne doute de l’« effet Ségolène Royal » dans le sauvetage du sous-traitant automobile Heuliez. Il a suffi que la présidente PS de la région Poitou-Charentes se joigne fin mars 2009 à la manifestation organisée, dans le bourg de Cerizay, par la direction et le millier de salariés en blouse grise pour déclencher un tourbillon médiatique. Et pour cause, alors que le Fonds stratégique d’investissement (FSI, bras de l’État plaçant des billes dans les sociétés industrielles « stratégiques ») vient de refuser 10 millions d’euros nécessaires à la recapitalisation, après la défaillance du repreneur indien Argentum Motors, la présidente de région redit sa détermination à investir 5 millions d’euros ! Et voilà la grosse PME, menacée de liquidation judiciaire, transformée en symbole du manque de volontarisme industriel du gouvernement. « En pleine crise, sur fond de désindustrialisation de l’Hexagone, le coup a porté », estime un député PS. « Le lendemain, nous étions assaillis par les journalistes, note l’ex-intersyndicale CFDT-CGC. Cela n’a plus cessé. »

Jean-Pierre Raffarin, précédent président de région, plaide pour une intervention du FSI puis incrimine PSA et Renault d’avoir préféré des sous-traitants allemands et canadiens. Nicolas Sarkozy promet un commissaire à la réindustrialisation. Le gouvernement annonce 10 millions d’euros et mandate Athema, conseil en investissement financier, pour trouver un repreneur. Le secrétaire d’État à l’Industrie, Luc Chatel, se déplace sur le site, bientôt relayé par le ministre Christian Estrosi… Pendant dix-huit mois, l’avenir de la PME, qui échappe à deux liquidations judiciaires et connaît deux plans sociaux, fait les gros titres. Au gré des manquements de Louis Petiet, P-DG de Bernard Krief Consulting (BKC), qui reprend Heuliez mi-2009 sans apporter les 16 millions promis. Au gré des annonces et démentis d’investisseurs supportés par le gouvernement ou la région. Au gré des phrases assassines qui se multiplient avant les régionales de mars 2010, disputées ici entre Dominique Bussereau, secrétaire d’État aux Transports, et Ségolène Royal, finalement réélue.

Hypermédiatisation. « Plusieurs fois, le dossier a failli se perdre dans les querelles politiciennes et nous avons dû rappeler aux politiques de ne pas perdre de vue la survie de l’entreprise et de ses 1 000 emplois », rappelle Jean-Emmanuel Vallade, de la CFE-CGC. Mais l’effet levier a été indéniable pour Claude Point, ex-secrétaire CFDT du comité d’entreprise : « Grâce à la médiatisation, Heuliez est resté en haut de l’affiche. Nous nous en sommes servis pour passer notre message : l’avenir de l’entreprise, c’est le véhicule électrique. » Un combat loin d’être gagné, vu le modèle économique hybride de la PME, à la fois sous-traitante automobile, bureau d’études et constructrice d’éléments pour véhicules électriques. L’État a d’ailleurs toujours plaidé pour une vente par appartements.

L’effet « caméra », en tout cas, a fait naître nombre de revendications, supposées ou réelles, de paternité dans le sauvetage. La presse a vite souligné les liens entre Louis Petiet, maire UMP de Verneuil-sur-Avre, et Jean-Pierre Raffarin, passé chez BKC aux débuts de sa carrière, bien que celui-ci démente toute implication. « C’est moi qui ait sauvé Heuliez ! » clame toujours l’ex-ministre Christian Estrosi, désormais député UMP des Alpes-Maritimes : « Nous ne trouvions que des partenaires financiers. Si je n’avais pas résisté à la pression de Bercy et du gouvernement, qui ne croyaient plus à un sauvetage industriel, Heuliez n’existerait plus. »

Région stratège. Sur le site cerizéen, en réorganisation depuis le rachat en juillet 2010, par le français BGI, de l’emboutissage et de la carrosserie et, par les allemands ConEnergy et Kohl, de la branche véhicules électriques, le sentiment est autre. Au-delà de l’écume médiatique, salariés et syndicats jugent déterminante l’action de la présidente de Poitou-Charentes côté scène et, côté cour, de son directeur général des services, Jean-Luc Fulachier. Car la région a lancé en janvier 2008, alors que la PME est en procédure de sauvegarde, un appel à projets pour développer une filière régionale de production de véhicules électriques. « C’est quand même le rôle d’un ministre de l’Industrie, le rôle de l’État, de lancer un appel à projets sur le véhicule électrique ! » rappelait, fin 2010, la présidente de région.

Chez Heuliez, l’impact a été immédiat. « Une bouffée d’oxygène, se souvient Émile Brégeon, élu cédétiste devenu élu régional. Le bureau d’études s’est remis au boulot d’arrache-pied. » Autre levier, les 5 millions investis dans le capital, fin 2009. Au risque que la région soit accusée de gaspillage d’argent public. « Courage ou inconscience ? La décision était risquée. Si le tribunal avait mis Heuliez en liquidation judiciaire, l’argent des contribuables payait les créances », souligne un élu PS. Reste que 50 % des fonds régionaux ont financé les salaires de mars 2010, mais chut ! « L’engagement exceptionnel de la région a permis d’avoir du temps pour rompre avec BKC, poursuivre le développement du véhicule électrique et la recherche d’industriels », analyse le député PS des Deux-Sèvres, Jean Grellier.

La région a encore joué un rôle essentiel dans l’émergence du programme de sécurisation des parcours professionnels (d’après une idée de la CFDT d’Heuliez), lors des plans sociaux ayant accompagné la reprise en 2009 par BKC puis celle de 2010 par BGI, ConEnergy et Kohl. Elle a financé, à hauteur de 1 million d’euros, en 2009, le coût du dispositif né d’un accord région-État-Opca de la métallurgie avec le repreneur ! L’objectif ? Minimiser les licenciements en anticipant une reprise d’activité. Plus de salariés que l’activité ne l’exigeait ont été gardés aux effectifs (220 en 2009, 70 en 2010)… sans qu’ils ne travaillent. Pendant un an, ils ont alterné formation ou chômage partiel, avec maintien quasi intégral du salaire. « Nous voulions préserver l’emploi, en cas de reprise d’activité, et éviter que les compétences soient happées par Nantes-Saint-Nazaire », décrypte Dominique Théfioux, directeur départemental du travail, qui a mobilisé les mesures d’activité partielle de longue durée, « réservées habituellement aux situations conjoncturelles ». Direccte et région ont convaincu les repreneurs de la pertinence du dispositif. « Pas facile, avoue la CFDT, car ils ont dû financer en partie les salaires des Heuliez en parcours. »

La communauté de communes pilotée par l’UMP Daniel Amiot a racheté quatre bâtiments à Heuliez, pour 4,5millions d’euros, et… les lui a reloués

Les élus du bocage, non plus, n’ont pas ménagé leur énergie. Delta Sèvre Argent, la communauté de 23 communes pilotée par l’UMP Daniel Amiot, a racheté, depuis 2006, quatre bâtiments à Heuliez, pour 4,5 millions d’euros, et… les lui a reloués. « Ici, le développement économique passe par une aide à l’immobilier d’entreprise, en contrepartie de créations d’emplois en CDI. Heuliez étant lourd d’enjeux pour le territoire, nous sommes exceptionnellement devenus propriétaires », précise l’élu UMP, qui n’y voit rien de dangereux. Bien que l’opération vaille à Delta Sèvre Argent un déficit brut de 1 million d’euros, « les pertes nettes sont quasi nulles grâce à la taxe professionnelle qui a été encaissée ». « Notre aide n’a jamais été un chèque en blanc. Cette acquisition immobilière a retrouvé une pertinence dans le développement économique local : les bâtiments rachetés à Heuliez ont été revendus », renchérit Johnny Brosseau, vice-président de Delta Sèvre Argent et maire PS de Cerizay. Une casquette d’investisseur avant dévolue au bourg de 4 600 habitants. « Dès 1983, Heuliez l’a sollicité pour accompagner son développement », rappelle Jean Grellier, maire PS de Cerizay vingt-cinq ans durant, qui a été LA cheville ouvrière du sauvetage. De tous les contacts avec tous les investisseurs, il a convaincu les allemands, au départ intéressés par un seul partenariat commercial, d’investir. « J’ai agi au nom du peuple, en lien avec la communauté de communes et la région », martèle ce défenseur acharné d’une solution industrielle, promesse d’emplois maintenus. « Lorsque le développement économique et l’emploi sont en jeu, le Bressuirais est un terrain exemplaire, en matière de consensus social. Les élus ont toujours travaillé avec les entreprises, à travers le comité de bassin d’emploi et les communautés de communes », juge Dominique Théfioux, directeur départemental du travail, qui tire aussi son chapeau aux syndicats : « Ils ont évité un mouvement à la Continental. »

En juillet, c’est dans les bureaux de Delta Sèvre Argent que BGI, ConEnergy et Kohl ont bu le champagne avec la préfète des Deux-Sèvres, le directeur départemental du travail, les élus et les syndicats, et parlé avenir. Huit mois après, 60 des 70 salariés en parcours de sécurisation travaillent sur le site ; une quinzaine de licenciés ont été réembauchés. Mieux, BGI promet 200 ? embauches d’ici à 2014, et les repreneurs allemands 100 d’ici à fin 2011pour développer la Mia Electric. Le Bressuirais croise les doigts pour que cela se réalise.

Auteur

  • Anne Fairise