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Enquête

Les élus locaux au chevet de l’emploi

Enquête | publié le : 01.03.2011 | Stéphane Béchaux

Longtemps frileux à se saisir des questions d’emploi, les maires, conseillers généraux et régionaux se muent en DRH de territoire. Mais la multiplicité des acteurs et des dispositifs rend l’exercice complexe.

Voilà tout juste cinq ans, le 7 mars 2006, le député pyrénéen Jean Lassalle entamait une grève de la faim de cinq semaines dans la salle des Quatre Colonnes du Palais-Bourbon. Un acte radical pour faire pression sur la société japonaise Toyal Europ qui voulait déplacer de quelques dizaines de kilomètres son usine de la vallée d’Aspe. Un combat payant mais ô combien symbolique de l’impuissance des élus locaux à empêcher les plans sociaux et les fermetures de sites. Et les cinq dernières années n’ont vu aucune amélioration. Sinon crier leur colère et convoquer les dirigeants d’entreprise, les présidents de conseil régional ou général, les maires et députés se trouvent bien démunis pour jouer les sauveurs. À moins de s’appeler Serge Dassault, sénateur de l’Essonne, et de sortir son chéquier pour maintenir à flot l’industriel du coin, à savoir le fabricant de semi-conducteurs Altis. « On n’a pas les moyens d’empêcher les délocalisations mais on ne baisse pas les bras pour autant. Les élus s’engagent à fond pour améliorer les plans sociaux et accompagner les salariés touchés », nuance Claudy Lebreton, président du conseil général des Côtes-d’Armor, bien conscient, comme tous ses pairs, que les questions d’emploi pèseront lourd lors des prochaines élections cantonales, quand bien même les départements ne sont pas en première ligne sur le sujet.

L’affaire de l’État. Les salariés et les syndicats ne s’y trompent pas. Quand il s’agit d’appeler les pouvoirs publics à la rescousse, les cortèges se dirigent d’abord vers les préfectures. Quitte à impliquer, ensuite, les hôtels de ville, de département et de région. « En France, la politique de l’emploi reste d’abord l’affaire de l’État. Et les élus locaux s’en sont longtemps parfaitement accommodés, en considérant qu’il n’y avait que des coups à prendre », explique Jean-Marie Bergère, président de l’association Astrees. Seule exception, les emplois publics et parapublics. Les élus savent ainsi peser de tout leur poids sur les ministères parisiens lorsque la menace concerne l’hôpital, la succursale de la Banque de France ou la caserne du coin. Avec des chances de succès variables selon leurs accointances avec le pouvoir en place. Ils n’hésitent pas, non plus, à recruter en nombre des contrats aidés dans leurs propres structures pour diminuer les tensions sociales.

Dans le champ du développement économique, en revanche, l’investissement des acteurs de proximité débute dès la fin des années 80. Et pour cause : moins risqué que celui de l’emploi, le sujet leur apparaît électoralement payant. Alléchés par la manne de feu la taxe professionnelle, régions, départements et agglomérations se dotent tous d’agences chargées de vanter les mérites de leurs territoires auprès des investisseurs nationaux et étrangers. Campagnes radiophoniques, Web TV dédiées, stands sur les salons professionnels, prospection à l’étranger… Les collectivités – qui se marchent sur les pieds – sont devenues maîtres dans l’art du marketing territorial. À l’image de l’agglomération rémoise qui, désormais desservie par le TGV, a créé Invest in Reims en 2003. Dotée de 1,3 million d’euros de budget, apporté par la ville et sa métropole à 60 %, la structure fait les yeux doux aux patrons pour qu’ils remplissent les 300 000 mètres carrés de bureaux, locaux d’activité et entrepôts qui doivent sortir de terre d’ici à la fin 2014.

Autre champ largement labouré par les élus, l’aide à la création et à l’implantation d’entreprises. Financement de pépinières ou d’incubateurs, reconversion d’usines désaffectées en locaux high-tech, acquisition de terrains agricoles pour en faire des zones d’activité… Les élus ont su monter des projets, à financements multiples, pour suppléer aux emplois industriels détruits. Avec un partage des rôles plus ou moins clair entre les communes, les agglomérations et les départements, chargés du foncier et des infrastructures, et les régions, distributrices des aides directes à la création d’emploi.

Si l’État n’a pas totalement abandonné ses missions d’aménagement du territoire, il accepte donc d’en partager le pouvoir avec les collectivités locales. Dernier exemple en date, la convention-cadre relative aux plans de revitalisation signée, le 31 janvier 2011, entre le conseil général et la préfecture des Hauts-de-Seine. Le premier s’y engage à aider la seconde à dénicher des entreprises locales innovantes, en mutation ou en développement, à même de profiter des taxes de revitalisation versées par les grandes entreprises qui recourent à des plans sociaux. « Cette convention concrétise notre volonté de contribuer activement à la redynamisation économique du territoire », se félicite Patrick Devedjian, le patron du département. Ses services viennent de sélectionner les quatre PME qui vont se partager 105 000 euros sur les 300 000 versés par Unilever après le dégraissage de son siège de Rueil-Malmaison.

Confrontés à la persistance du chômage de masse et soumis à la pression de leurs mandants, les élus locaux ont, aussi, fini par se retrousser les manches sur les questions d’emploi. La mobilisation date de la toute fin des années 90, même si quelques précurseurs comme Pierre de Saintignon (Lille), Jacques Baumel (Rueil-Malmaison) ou Jean-Pierre Soisson (Auxerre) s’y sont mis dix ans plus tôt. Cette montée en puissance doit beaucoup aux vagues successives de décentralisation qui ont obligé les élus à se frotter à des sujets connexes : la formation professionnelle pour les régions, l’insertion pour les départements, le développement économique pour tous…

Mais elle doit aussi aux innombrables dispositifs, souvent expérimentés par quelques municipalités pionnières, que les pouvoirs publics ont promus au cours des trente dernières années. À coups de crédits budgétaires, parfois massifs mais toujours aléatoires. « L’emploi reste une compétence de l’État, qui propose aux collectivités d’intervenir en complément. Depuis le début des années 80, elles ont eu droit aux comités de bassin d’emploi, aux espaces ruraux emploi formation, aux maisons de l’information sur la formation et l’emploi, aux missions locales, aux plans locaux pour l’insertion et l’emploi et aux maisons de l’emploi… Cet empilement de dispositifs a rendu le système d’une invraisemblable complexité », explique Hervé Dagand, chargé de mission à ETD, un centre de ressources pour le développement territorial.

La mobilisation des élus doit beaucoup à la décentralisation qui les a obligés à se frotter à la formation, à l’insertion et au développement économique

Des RH à l’échelle du bassin d’emploi. La territorialisation des politiques d’emploi a de très nombreux adeptes. « Toute mesure portant sur l’emploi prise au niveau national ne peut trouver sa pleine efficience qu’en intégrant la dimension territoriale. Il y a un vrai travail en matière de RH à faire à l’échelle des bassins d’emploi », martèle le député de Saône-et-Loire Jean-Paul Anciaux. « Face au chômage de masse, à la mondialisation, aux changements technologiques, les élus locaux sont aujourd’hui très mobilisés sur leurs territoires. Mais ils se heurtent à une culture jacobine très française, qui réapparaît à la moindre occasion », déplore l’ex-ministre délégué à l’Emploi Jean Le Garrec, président d’Alliance Villes Emploi.

Fin 2010, la structure a ainsi mené une bataille féroce pour infléchir le projet de loi de finances, qui divisait par deux les crédits des maisons de l’emploi. Une énième illustration des incohérences des politiques publiques, marquées par un épuisant jeu de stop-and-go budgétaire. Avec le retour de Xavier Bertrand au ministère de l’Emploi, Alliance Villes Emploi espère trouver une oreille plus compréhensive que celle du très centralisateur Laurent Wauquiez. Sa première déclaration en matière d’accompagnement des chômeurs – « Ma stratégie, c’est d’avoir une ambition nationale mais une action très locale » – est pour le moins rassurante.

Les élus tentent aujourd’hui de revêtir le costume des DRH, en initiant des démarches de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences territoriale. Une GPECT calquée sur la GPEC, qui vise à anticiper les mutations économiques, technologiques et démographiques à l’œuvre dans les bassins d’emploi. Séduisante sur le papier, l’opération n’est pas plus aisée pour les élus que pour les patrons. Quelques mois après avoir lancé, en 2008, le programme « 6 000 compétences », destiné à répondre aux besoins en recrutement d’Airbus, de STX et de DCNS dans le bassin de Nantes-Saint-Nazaire, le conseil régional des Pays de la Loire a dû faire machine arrière. La faute à la crise ! « Depuis deux ans, les collectivités multiplient les appels d’offres pour monter des plans stratégiques portant sur l’emploi. Lorient, Toulouse et Montpellier sont actuellement dans ce cas. Mais mieux vaut être modeste, car on ne voit pas très bien encore ce qu’il va en sortir », confie Isabelle Fieux, manager chez Algoé.

Associer les entreprises. De rares bassins d’emploi font référence. Mulhouse (voir page 22) est de ceux-là, comme la métropole rennaise. Fin janvier, la capitale bretonne a ainsi ouvert le très innovant Exploratoire des métiers, où les habitants peuvent s’informer sur le marché de l’emploi local et ses mutations. « Les parcours professionnels sont de plus en plus chahutés. Il est de notre devoir de repérer et de rendre visibles les secteurs en émergence ou en déclin », souligne Gwaenaëlle Hamon, présidente de la maison de l’emploi, porteuse du projet. Un outil de GPECT qui associe les entreprises grâce à un club en cours de création. Pour les experts et les élus les plus engagés, pas de doute : l’implication des dirigeants locaux est indispensable à la réussite des projets, tout comme celle des partenaires sociaux. Rarement issus du monde de l’entreprise, les maires, députés et autres conseillers territoriaux restent très ignorants du monde du travail. Un handicap certain pour qui veut faire de la GRH territoriale.

53 millions d’euros, c’est le montant des subventions publiques pour 2011 aux 203 maison de l’emploi, en baisse de 10 % par rapport à 2010

Auteur

  • Stéphane Béchaux