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Enquête

Les Chinois à la rescousse

Enquête | publié le : 01.03.2011 | Stéphane Béchaux

Touchée de plein fouet par la crise économique, l’agglomération castelroussine cherche à attirer les investisseurs. Depuis deux ans, les élus se démènent pour implanter une base chinoise sur leurs terres. Un projet un peu fou, dont ils attendent 4 000 emplois.

La déclinante Châteauroux se rêve un avenir chinois. Soixante ans après l’arrivée des premiers militaires américains, en 1951, le chef-lieu de l’Indre ambitionne d’accueillir les nouveaux rois de la planète. « La Chine me fait penser aux États-Unis au sortir de la guerre. C’est la nouvelle puissance économique mondiale, qui veut conquérir le monde », note Jean-François Mayet, le sénateur et maire UMP de la cité castelroussine. Ce septuagénaire, qui a fait fortune dans l’informatique puis les concessions Mercedes, ne joue pas petit bras. Il veut faire de sa ville, qu’il administre depuis dix ans après avoir présidé la CCI, la tête de pont des Chinois en Europe. Avec une immense zone d’activité économique regroupant 4 000 salariés, une université franco-chinoise, un centre de R & D, un parc écologique…

Le projet n’est pas né dans les bureaux de l’hôtel de ville, mais dans ceux du conseil régional du Centre, à Orléans. L’histoire commence en 2007 lorsque la collectivité hérite de la gestion de l’aéroport de Châteauroux-Déols. Avec sa piste de 3 500 mètres de long, l’ancienne base de l’Otan vivote péniblement alors même qu’elle peut accueillir de très gros porteurs. « On a décidé d’aller prospecter les compagnies aériennes chinoises pour développer le fret. Avec un concept d’échange égal. Les avions devaient arriver mais aussi repartir à plein, en embarquant du vin, des produits cosmétiques ou des pièces détachées pour l’automobile », détaille le député PS Michel Sapin, président de l’aéroport.

Une antenne à Pékin. Pendant deux ans, son directeur, Mark Bottemine, et la vice-présidente de la région déléguée à l’économie et à l’emploi, Marie-Madeleine Mialot, multiplient les voyages en Chine. Avec l’appui de Centréco, l’agence régionale de développement, qui a ouvert une antenne à Pékin. « On s’est aperçu que les autorités chinoises n’étaient pas seulement intéressées par des échanges commerciaux mais qu’elles voulaient aussi inciter leurs entreprises à s’implanter en Europe pour en faire de véritables multinationales », raconte Mark Bottemine. Émerge alors ce projet un peu fou de créer une zone de coopération économique franco-chinoise. Outre l’aéroport, Châteauroux dispose d’un autre argument : les 300 hectares libérés, mi-2012, par les 1 200 militaires et civils du 517e régiment du train, qui plient bagage.

Sans précédent en Europe, le projet nécessite l’appui de la communauté d’agglomération de Châteauroux (CAC) et du conseil général UMP de l’Indre, hors du coup jusqu’en avril 2009. « On a contacté les élus pour leur faire part du projet. Rien ne pouvait se faire sans eux puisque le foncier et l’immobilier relèvent de leurs attributions », explique Marie-Madeleine Mialot. Mis au courant, le maire, Jean-François Mayet, s’empare du bébé, pour ne plus le lâcher. « C’est un fonceur, il agit en entrepreneur. L’ensemble des élus le suit et le soutient, même s’il y en a des plus tièdes que d’autres », confie Paul Pluviaud, vice-président gaulliste de la CAC.

Deux mois plus tard, une délégation indrienne comprenant les élus des trois collectivités s’envole pour Pékin inaugurer le « comité de gestion de la zone de coopération économique franco-chinoise de Châteauroux ». Une structure chargée d’avaliser les futures implantations chinoises, tant en matière d’activités que de retombées économiques pour l’agglomération. « On cherche d’abord à accueillir des entreprises spécialisées dans les high-tech. Elles doivent s’engager à recruter 80 % de leur main-d’œuvre en France. Au final, la zone pourrait accueillir 800 Chinois et 3 200 locaux », précise Gil Averous, directeur de cabinet du maire et coordinateur du projet.

Plutôt que de recruter ses propres VRP, la CAC délègue cette mission à un tiers, la Société sino-française de développement économique de Châteauroux (SFDEC). Créée en juillet 2009 avec des capitaux majoritairement chinois, la structure est présidée par un entrepreneur chinois, Shao Pengen, et dirigée par le Français Jacques Gautherie, un ex-cadre dirigeant de Vinci. « Ce sont des Chinois qui vendent le projet à des Chinois. C’est gage d’efficacité. Ils ont déjà investi 1,5 million d’euros en prospection. Nous, ça ne nous coûte quasiment pas un centime », assure le premier édile, Jean-François Mayet. Pour la CAC, l’opération n’est quand même pas blanche. Il pourrait lui en coûter jusqu’à 90 millions d’euros pour acheter et viabiliser les 510 hectares de la zone d’activité d’Ozans, sur laquelle les entreprises asiatiques – mais pas seulement – pourraient s’implanter. Un investissement néanmoins programmé de longue date.

En novembre 2010, la SFDEC profite de la venue en France du président chinois, Hu Jintao, pour médiatiser son projet. Au même titre que Total ou Airbus, elle signe, au siège du Medef, des accords avec des partenaires chinois pour commercialiser la zone, rebaptisée « Châteauroux business district ». Elle organise, aussi, à l’hôtel Le Meurice, une grande conférence de presse. Clou de la manifestation, une immense maquette représentant les futures installations. Une présentation à la chinoise, grandiloquente mais fumeuse, à l’image de cet énorme bâtiment rouge censé abriter le conseil général. « Louis Pinton, le président de l’assemblée départementale, n’était même pas au courant. Vous auriez vu sa tête, devant la maquette ! » s’amuse un élu. Pour l’heure, le projet n’est pas encore sorti des cartons. Aucun investisseur chinois n’a signé la moindre promesse d’implantation dans le Châteauroux business district, une vaste plaine de terres agricoles. « Rien n’est acquis, mais les signaux sont au vert. C’est mon rôle d’élu de croire en ce projet et de le porter. Car, derrière, il y a des emplois », affirme le maire, qui s’est entretenu de l’opération, en octobre, avec Nicolas Sarkozy et son conseiller diplomatique, Jean-David Levitte. À l’hôtel de ville, personne ne veut douter de la faisabilité du projet. La preuve, l’équipe planche sur des liaisons par bateau depuis Le Havre et une desserte ferroviaire entre Châteauroux et… la Chine !

Cet emballement ne fait pas l’unanimité. « Annoncer, au niveau national, 4 000 emplois, ça peut donner des idées à d’autres. Les territoires français sont en concurrence, il y a d’autres zones franches ailleurs qu’à Châteauroux. Les annonces prématurées font capoter les projets », prévient la vice-présidente de région Marie-Madeleine Mialot. Plus sévère encore, Michel Sapin : « Ce projet souffre de deux dérives. Une surcommunication, d’abord, sur un projet qui n’a pas encore dépassé le stade du papier. Une absence, ensuite, de prise en compte de l’intérêt général. Pour un emploi éventuellement créé à Châteauroux, combien d’autres détruits ailleurs ? Face à la volonté expansionniste chinoise, il faut élaborer des stratégies régulées, réfléchies. Il n’est pas normal qu’il y ait un tel silence de la part des autorités gouvernementales », assène le député PS. L’Indre n’a pas encore vu l’ombre d’un Chinois que les dissensions se font déjà jour…

Auteur

  • Stéphane Béchaux