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Vie des entreprises

Le harcèlement moral sous l'œil des juges

Vie des entreprises | ACTUALITÉ JURISPRUDENTIELLE | publié le : 01.05.2000 | Jean-Emmanuel RAY

Selon la fondation de Dublin, 9 % des salariés européens seraient victimes de harcèlement moral. La jurisprudence sanctionne ces pratiques. Mais l'évolution du droit de la preuve en matière de discrimination ne doit pas nous entraîner vers une dérive à l'américaine.

Depuis la parution de l'ouvrage de Marie-France Hirigoyen en 1998, la presse se fait chaque jour l'écho de pratiques de harcèlement moral. Le parti communiste a récemment déposé une proposition de loi « sur le harcèlement moral au travail » ; mais sa définition incertaine (« dégradation délibérée des conditions de travail ») risque de poser problème, voire de provoquer quelques harcèlements judiciaires. Dans son état actuel, la jurisprudence permet déjà de sanctionner ces comportements, d'autant plus intolérables qu'ils visent rarement les salariés les plus en vue.

1° Des pratiques déjà sanctionnées par le droit du travail

« L'employeur est directement engagé par les agissements d'un cadre titulaire d'une délégation de pouvoir et assurant sa représentation à l'égard du personnel placé sous ses ordres. Ce cadre avait jeté le discrédit sur la salariée qui était sa subordonnée, l'affectant personnellement et portant atteinte à son image, à sa fonction et à son autorité. » L'arrêt rendu par la Cour de cassation le 15 mars 2000 montre que la chambre sociale prête déjà attention à ces comportements pervers et ne permet pas à l'employeur de rester inerte face aux dérives de l'un de ses subordonnés.

Il en va de même s'agissant de salariés peu à peu privés de leurs fonctions les plus valorisantes, sans qu'à aucun moment ils ne puissent invoquer une véritable modification de leur contrat. Lorsqu'ils partent, voire donnent officiellement leur démission – c'est évidemment le but de cette opération grignotage –, les juges n'hésitent pas à requalifier la rupture en licenciement, forcément prononcé sans procédure ni lettre de notification motivée : présomption irréfragable de défaut de cause réelle et sérieuse (six mois minimum de salaires et remboursement des allocations chômage). Licenciement irrégulier et non fondé, mais également abusif en raison de sa mise en œuvre vexatoire (dommages-intérêts fonction du préjudice matériel et moral subi, se cumulant avec les précédents).

A fortiori lorsqu'une attachée commerciale se voit affectée à un poste d'assistante commerciale pour finir au standard quelques mois après : à l'employeur indiquant qu'elle n'avait pas émis de protestations malgré ces deux rétrogradations successives, la Cour répondait le 2 février 2000 que « la seule poursuite du travail ne vaut pas acceptation ». Si l'on tient compte des lourdes sanctions pénales existantes pour réprimer harcèlement sexuel et autres discriminations illégales (race, religion, militantisme syndical), il n'apparaît guère souhaitable d'ajouter encore une autre loi aux multiples textes existants.

2° Éviter une dérive à l'américaine

Si l'immense succès de l'ouvrage de Marie-France Hirigoyen montre que ce problème préoccupe nombre de citoyens, il convient cependant de ne pas entrer dans une logique à l'américaine où la judiciarisation finit par polluer toute la vie sociale. Or l'évolution récente du droit de la preuve en matière de discrimination, et particulièrement la directive communautaire du 15 décembre 1997 qui doit être transposée au 1er janvier 2001, peut le faire craindre. Car on ne touche pas impunément au droit de la preuve, fût-ce avec les meilleures intentions du monde.

En droit du travail, la vieille règle de bon sens probatio actori incumbit a déjà subi de forts assauts. En matière de sanction disciplinaire, de licenciement ou de discrimination salariale (C. trav., art. L. 140-8), le doute du juge profite au salarié demandeur. Ce premier domino, ici justifié en raison des difficultés probatoires particulières du salarié subordonné, ne doit pas entraîner le second : attribuer la charge de la preuve au défendeur. Ce qui permettrait à n'importe quel fou de contentieux ou simple paranoïaque d'assigner n'importe qui en lui demandant de faire ce que les juristes appellent la « preuve impossible » : prouver un fait négatif, bref qu'il n'a rien fait.

Dans son arrêt du 28 mars 2000 confirmant celui du 23 novembre 1999 (discrimination hommes/femmes), la chambre sociale s'est refusée à sauter le pas : « Il appartient au salarié syndicaliste qui se prétend lésé par une mesure discriminatoire de soumettre au juge les éléments de fait, susceptibles de caractériser une atteinte au principe d'égalité de traitement. Il incombe à l'employeur […] d'établir que la disparité de situation constatée est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination fondée sur l'appartenance à un syndicat. » La preuve de la discrimination n'incombant pas au salarié, au juge de former sa conviction.

Les principes juridiques ne sont pas divisibles : on ne peut pas pleurnicher sur la faiblesse actuelle de la présomption d'innocence en droit pénal et multiplier dans le même temps les présomptions de faute en droit du travail.

FLASH

• Harcèlement : oui, mais lequel ?

La cour d'appel de Bourges avait accepté le licenciement pour faute grave d'une salariée « s'étant crue autorisée, au mépris de l'obligation de loyauté qui s'impose à tout salarié envers son employeur, à écrire à l'inspecteur du travail pour se plaindre d'un harcèlement sexuel qu'elle a été bien en peine de prouver ».

La chambre sociale casse le 8 février 2000 : « La salariée soutenant que la véritable cause de son licenciement était la création d'une section syndicale », il appartenait à la cour d'appel de rechercher la cause véritable du licenciement.

• L'attitude très compréhensive de la chambre sociale

Dans l'affaire jugée le 1er février 2000, la Cour de cassation écarte la lettre de démission remise par un barman dépressif à son employeur venu la chercher à son domicile. Dans celle jugée le 5 octobre 1999, elle avait écarté la volonté sérieuse et sans équivoque de démissionner d'une salariée ayant donné sa démission à l'issue d'une entrevue orageuse avec son directeur.

Auteur

  • Jean-Emmanuel RAY