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Vie des entreprises

Conséquences pratiques de la RTT sur les contrats de travail

Vie des entreprises | CHRONIQUE JURIDIQUE | publié le : 01.05.2000 | Jean-Jacques Duflos

Deux dispositions de la loi Aubry II précisent les effets de la réduction du temps de travail sur les contrats individuels des salariés. La vigilance s'impose. Car la « sécurisation » juridique apportée aux employeurs signataires d'un accord collectif de passage aux 35 heures est d'une portée limitée.

L'article 30 de la loi Aubry II, non modifiée sur ce point par le Conseil constitutionnel, comporte deux séries de dispositions visant à préciser les effets de la réduction du temps de travail sur les contrats des salariés.

A. – L'article L. 212-3 nouveau du Code du travail

Tout d'abord, un nouvel article L. 212-3 est inséré dans le Code du travail précisant que « la seule diminution du nombre d'heures stipulé au contrat de travail, en application d'un accord de réduction de la durée du travail, ne constitue pas une modification du contrat de travail ».

1° Plusieurs conditions sont posées.

Première condition : « La seule diminution du nombre d'heures stipulé au contrat de travail […]. »

La réduction de la durée du travail doit être le seul changement dans la situation du salarié. Si la réduction s'accompagne d'autres changements, le salarié pourrait être en droit d'exciper d'une modification de son contrat de travail. Il en ira évidemment ainsi en cas de réduction de la durée du travail accompagnée d'une réduction, même proportionnelle, de la rémunération, en cas de modification des fonctions attribuées, ou encore de changement du lieu de travail.

La question se pose des modifications pouvant être considérées comme marginales par l'employeur mais importantes par les salariés. Trois exemples :

• En cas de réduction de la durée du travail accompagnée d'un maintien du salaire par le biais d'une indemnité différentielle et non revalorisable : dans cette situation, les salariés ne seraient pas fondés à considérer qu'il y a modification puisque, à l'instant t, la rémunération n'est pas modifiée. La réduction de l'assiette des augmentations futures ne constitue pas, de notre point de vue, une modification du contrat de travail dès lors que les salariés n'ont aucune certitude quant au montant de ces augmentations futures.

• En cas de réduction de la durée du travail accompagnée d'un régime de modulation : dans cette situation, les salariés seraient fondés à considérer qu'il y a modification du contrat de travail, s'agissant d'une modification de la répartition des horaires entraînant des sujétions particulières allant au-delà du pouvoir d'organisation de l'employeur. Alors même que la modulation procède d'un accord collectif, il est à préconiser de faire signer un avenant au contrat de travail des salariés entrant dans le champ d'application de la modulation afin d'éviter d'éventuelles contestations ultérieures.

• En cas de réduction de la durée du travail accompagnée d'un élargissement des amplitudes quotidiennes ou hebdomadaires (travail du samedi, par exemple) : la situation est, à notre avis, identique à celle ci-dessus si les nouveaux horaires emportent des contraintes nouvelles importantes pour les salariés (Cass. soc., 10 mai 1999, n° 96-45.652 P, SA Saison dorée c/Latoui et autres). Il en résulte que la « seule diminution du nombre d'heures stipulé au contrat de travail » visée par l'article 30-I de la loi Aubry II sera celle qui résultera soit d'une réduction quotidienne, soit d'une réduction hebdomadaire, soit d'une réduction par l'octroi de jours de repos.

Deuxième condition posée par l'article L. 212-3 nouveau : « […] en application d'un accord de réduction de la durée du travail […]. » La deuxième condition posée par le texte est que la réduction doit procéder d'un accord collectif.

A contrario, la réduction de la durée du travail mise en œuvre unilatéralement serait susceptible d'être considérée comme une modification du contrat de travail.

Cette disposition, qui s'inscrit dans la logique de la loi Aubry ayant pour but de favoriser la négociation d'accords, vise, à notre avis, une situation théorique. On conçoit en effet assez mal qu'un salarié, dans une entreprise non couverte par un accord collectif, puisse se prévaloir de la seule diminution de son nombre d'heures de travail (sans aucune autre modification, ni de rémunération ni d'heures de travail à des moments inhabituels) pour demander à ce qu'il soit considéré que son contrat de travail a été modifié et solliciter ainsi son licenciement. Mais le cas de salariés souhaitant, pour des raisons diverses, être licenciés, par exemple pour obtenir un licenciement avantageux, peut être rencontré.

2° Plusieurs conséquences découlent de ce dernier texte.

Première conséquence : la généralité du texte peut laisser supposer que cet article s'applique à tous les salariés, à temps complet comme à temps partiel. Certains auteurs ont adopté cette interprétation. À notre avis, cet article ne saurait s'appliquer aux salariés à temps partiel considérant que ceux-ci bénéficient d'un horaire et d'une répartition de cet horaire contractuellement prévus.

Deuxième conséquence : la généralité du texte peut également laisser supposer que cet article s'applique à l'ensemble des salariés, de droit commun ou protégés. Selon nous, eu égard à la protection exorbitante du droit commun dont profitent en toutes circonstances les salariés protégés, un tel changement (seule diminution du nombre d'heures stipulé au contrat de travail, en application d'un accord de réduction de la durée du travail) ne peut être imposé aux salariés protégés et doit donc faire l'objet d'une proposition individuelle par voie d'avenant. Le risque de délit d'entrave est couru en cas de diminution directement appliquée à ces salariés.

Troisième conséquence : excepté pour les salariés protégés et également, à notre avis, pour les salariés à temps partiel, la seule diminution du nombre d'heures stipulé au contrat de travail, en application d'un accord de réduction de la durée du travail, peut donc être imposée à l'ensemble des autres salariés. Aucun avenant au contrat de travail, dans cette stricte situation, n'est donc à établir. Le refus éventuel des salariés serait de nature à constituer un acte d'indiscipline pouvant conduire jusqu'au licenciement, après suivi d'une procédure régulière. Pour ce qui est des actes individuels, il s'agirait alors de la juxtaposition de procédures disciplinaires individuelles et non d'un licenciement collectif.

B. – L'article L. 30-II de la loi

Ensuite, l'article 30-II de la loi Aubry II indique que « lorsqu'un ou plusieurs salariés refusent une modification de leur contrat de travail en application d'un accord de réduction de la durée du travail, leur licenciement est un licenciement individuel ne reposant pas sur un motif économique et est soumis aux dispositions des articles L. 122-14 à L. 122-17 du Code du travail ».

1° Plusieurs conditions sont également posées.

Première condition : « Lorsqu'un ou plusieurs salariés refusent une modification de leur contrat de travail […]. » Cette phrase indique que la ou les modifications accompagnant la réduction de la durée du travail doivent être préalablement proposées. À défaut, l'entreprise court le risque que des salariés, après plusieurs années, revendiquent leur licenciement, l'employeur n'étant pas fondé à se prévaloir d'une acceptation implicite.

Deuxième condition : « […] en application d'un accord de réduction de la durée du travail […]. » On retrouve ici la condition d'existence d'un accord collectif. A contrario, ne rentrent pas dans le champ d'application de cet article les modifications accompagnant une réduction de la durée du travail ne résultant pas d'un accord.

2° Plusieurs conséquences découlent également de ce second texte.

Première conséquence : les modifications accompagnant une réduction de la durée du travail ne résultant pas d'un accord collectif, en cas de refus des salariés, seront susceptibles d'entraîner un ou plusieurs licenciements dont la légitimité devra être recherchée dans le bien-fondé des modifications proposées (et non dans le refus des salariés) et qui seront soumis à la procédure des licenciements pour motif économique avec, si plus de 10 salariés sont concernés dans une entreprise de plus de 50, mise en œuvre d'un plan social.

Deuxième conséquence : les modifications accompagnant une réduction de la durée du travail résultant d'un accord collectif, en cas de refus des salariés, seront susceptibles d'entraîner un ou plusieurs licenciements individuels que la loi indique comme « ne reposant pas sur un motif économique ». Selon les débats parlementaires, il ne s'agirait ni de licenciements pour motif économique ni de licenciements pour cause personnelle, mais de licenciements à caractère sui generis, expression, à notre avis, de circonstance permettant d'éluder les conséquences et renvoyant à la pratique le soin de les tirer. En revanche, ce qui est certain est que le texte définitif de la loi ne prévoit plus que de tels licenciements sont réputés reposer sur une cause réelle et sérieuse. Il appartiendra donc au juge saisi d'apprécier la légitimité du licenciement.

La question qui se pose alors est celle de la charge de la preuve.

Ne s'agissant pas d'un licenciement pour cause personnelle et en raison de la quasi-automaticité prévue par le texte de l'article 30-II, devant le juge prud'homal, dans une telle situation, la charge de la preuve incombera selon nous au salarié. Toutefois, il est bien clair que l'employeur devra avoir préalablement notifié le licenciement par lettre recommandée motivée. La motivation, à notre sens, devra, comme dans les hypothèses ci-dessus envisagées, aller au-delà du refus exprimé par les salariés et remonter à la « cause première » de la réduction de la durée du travail et des modifications qui l'accompagnent comme constituant une contrepartie indispensable à la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise.

Troisième conséquence : même en cas de refus multiples, la procédure à respecter sera la procédure des licenciements individuels (entretien préalable, notification par lettre recommandée avec accusé de réception motivée). Ne s'agissant pas de licenciements pour motif économique, les salariés ne sauraient prétendre obtenir le bénéfice de conventions de conversion ou de conventions de préretraite FNE.

Ainsi, la portée de la clause dite de « sécurisation » juridique prévue par la loi Aubry II est, somme toute, limitée. Même une réduction de la durée du travail opérée par voie d'accord collectif requiert, dans certains cas, la signature d'avenants. La mise en œuvre de la loi Aubry II conduit donc à être particulièrement vigilant.

Une relecture et une mise à jour de l'ensemble des contrats de travail ou lettres d'engagement s'avèrent indispensables. La réduction de la durée du travail peut constituer, d'ailleurs, une opportunité pour les entreprises de formaliser dans un recueil social l'ensemble des contrats ou lettres de façon normalisée afin de se créer, en interne, le maximum de sécurité juridique.

Auteur

  • Jean-Jacques Duflos