logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Vie des entreprises

A Wolfsburg, l'emploi ne se cantonne plus à Volkswagen

Vie des entreprises | REPORTAGE | publié le : 01.05.2000 | Sabine Syfuss-Arnaud

Malgré la présence du mastodonte Volkswagen et de ses 50 000 salariés, Wolfsburg frisait 18 % de chômeurs. Jusqu'à ce que la ville de Basse-Saxe et le constructeur décident d'appliquer un remède de choc, à base d'activités high-tech, de services et de flexibilité. Une révolution culturelle pour ce vieux fief industriel.

Pour son soixantième anniversaire, Wolfsburg s'est offert une impressionnante cure de rajeunissement. C'est bien simple, où que l'on se tourne, on n'aperçoit que des grues dans le ciel de cette ville de Basse-Saxe, située dans le nord de l'Allemagne. Le fief de Volkswagen – car c'est là que le régime hitlérien a lancé la construction de la célèbre « voiture du peuple » en 1938 – vit dans le bruit, la poussière et la boue. Partout on creuse, on bétonne, on rénove. Des tours de verre, des hôtels, des restaurants, des centres commerciaux sortent de terre. « Il faut dire que pendant des décennies nous nous étions endormis », reconnaît Olga, une vieille habitante de cette ville de 125 000 habitants, située à 12 kilomètres seulement de l'ex-RDA.

Plus qu'assoupie, une ville sur le déclin : c'était le constat bien plus pessimiste dressé par le cabinet McKinsey, appelé il y a deux ans au chevet de Wolfsburg par le constructeur allemand, soucieux d'exercer sa « responsabilité sociale », comme l'explique Dirk Coers, directeur des relations sociales de Volkswagen. Il faut dire que Wolfsburg a vécu et grandi au rythme de Volkswagen. « Depuis le début, nous sommes unis par une communauté de destin », résume Rolf Schnellecke, le maire de la ville. De fait, cet immense complexe industriel de 8 kilomètres carrés, le plus grand du monde, reconnaissable entre mille avec ses quatre immenses cheminées brunes, emploie plus de 50 000 personnes. Pratiquement la moitié vivent à Wolfsburg même, séparée de l'usine par les eaux grises du Mittellandkanal.

« Longtemps l'entreprise a pu absorber toute la main-d'œuvre locale, y compris celle venue des régions de l'Est après la chute du Mur », indique Dirk Coers. Mais, en 1992, concurrencé par des constructeurs qui délocalisent, VW commence à dégraisser massivement : préretraites et départs volontaires se multiplient. 20 000 postes disparaissent en trois ans. Il y en aurait eu 7 000 à 8 000 de plus si à ce moment-là l'entreprise n'avait pas mis en place la semaine des quatre jours (voir encadré p. 64).

10 000 emplois nouveaux en 2003

Wolfsburg s'enfonce alors dans la crise. Le taux de chômage frise les 18 % fin 1996 (11,9 % au niveau national), contre 7,9 % en 1992. La ville compte alors plus de 12 000 sans-emploi. La moitié n'ont aucune qualification. Chef du projet et directeur associé de McKinsey, Peter Kraljic se rappelle son diagnostic d'alors : « Une position dominante de Volkswagen qui couvre 60 % de l'emploi de la ville ; un faible pourcentage du tertiaire, les services représentant 22 % des emplois, contre 50 % en moyenne en Allemagne ; une quantité insuffisante de PME et de nouvelles entreprises ; un nombre d'emplois chez les équipementiers inférieur de 75 % à celui enregistré dans d'autres centres automobiles, comme Stuttgart ou Munich ; une ville où l'offre de produits, de services et d'immobilier de haute qualité est insuffisante, ce qui empêche d'exploiter le pouvoir d'achat de ses habitants, qui vont dépenser ailleurs. » Bigre !

Pour résorber le chômage, le cabinet suggère de favoriser la création d'emplois de haut niveau. « La création de deux ou trois emplois qualifiés entraîne celle d'un emploi non qualifié », calcule alors Peter Kraljic, qui fixe pour la ville de Wolfsburg l'objectif de 10 000 emplois nouveaux d'ici à 2003. Le cabinet propose un modèle de développement qui a fait ses preuves dans la Silicon Valley ou encore à Poitiers, avec le Futuroscope : celui des pôles de croissance. La recette : attirer des compétences complémentaires en favorisant l'esprit d'entreprise. D'un côté, le constructeur automobile souhaite mettre un terme à la dépendance de la ville à l'égard de l'entreprise. De l'autre, la municipalité veut sortir de la crise. « Je ne cessais de répéter que l'on ne pouvait être le premier constructeur d'Europe et laisser la misère croître à sa porte », souligne le maire.

VW propose alors à la ville de lancer un grand projet, baptisé AutoVision et confié à une société d'économie mixte, Wolfsburg AG, ou WogAG, comme la surnomme la presse locale. Dirigée à parité par des représentants de la commune (toutes tendances politiques confondues) et de Volkswagen (direction et syndicat, le puissant IG Metall lui apportant son soutien total), elle est dotée d'un budget de 65 millions de francs et d'une soixantaine de collaborateurs. Pour le long terme, Wog AG envisage la construction, après 2010, d'une université de l'automobile, « unique en Allemagne », souligne le maire de Wolfsburg. À plus court terme, Wolfsburg AG met trois projets sur les rails.

Première cible visée : les créateurs d'entreprise. Innovations Campus leur est destiné. Pour attirer des projets dans le secteur des hautes technologies liées à la voiture et à la mobilité, un concours doté de prix allant jusqu'à quelques centaines de milliers de francs a été lancé l'année dernière à l'échelle nationale. Les idées venues de toute l'Allemagne ont été sélectionnées par une centaine de parrains appartenant à Volkswagen ou à des cabinets de consultants.

Pour les lauréats qui ont décidé de s'installer à Wolfsburg, les primes ont été augmentées. Résultat, une vingtaine de jeunes PME ont déjà élu domicile sur l'InnovationsCampus : un cabinet d'ingénierie, des spécialistes de l'informatique, d'Internet ou des télécoms… Exemple, Toolware, start-up créée par Axel Urbanski (un ingénieur natif de Wolfsburg), qui développe des solutions pour lire jusqu'à 200 CD-ROM en même temps sur un même réseau intranet. Un second concours national a été lancé en 2000, l'objectif étant de faire venir chaque année une vingtaine de start-up.

Le troisième étage de la fusée

Autre gisement d'emplois exploré par Wolfsburg AG, celui des équipementiers. Un parc d'activités, le SE-Zentrum, Zentrum für Simultaneous Engineering, est en chantier à l'ouest de la ville, sur la Heinrich-Nordhoff Strasse. Dans les deux barres rectangulaires de quatre étages qui seront achevées d'ici à l'été vont cohabiter des sous-traitants, liés par contrats de durée variable à Volkswagen, et des équipes de développeurs du constructeur automobile. Au cours du second semestre une autre tranche de bâtiments sera livrée. En 2002, le parc abritera les équipementiers, les jeunes entreprises de l'InnovationsCampus et les services de Wolfsburg AG, jusqu'ici disséminés dans toute la ville. Sans compter des salles de restaurant, des parkings et des services en tout genre. Pour attirer la main-d'œuvre bon marché dans la ville de Basse-Saxe, une agence de placement, la Personal Service Agentur (PSA), a été lancée dès le démarrage du projet. Elle s'adresse en priorité aux chômeurs et travaille en étroite collaboration avec l'Arbeitsamt, l'agence allemande pour l'emploi, avec laquelle elle organise des formations. Toutefois, son plus gros client reste Volkswagen, notamment lors des congés d'été.

Mais la fusée de Wolfsburg comporte un troisième étage. AutoVision travaille activement sur un projet de parc de loisirs, ErlebnisWelt (« le monde de l'événement »), qui devrait ouvrir entre 2005 et 2010, avec une cinquantaine d'attractions. Selon Wog AG, 1 à 2 millions de personnes visiteraient chaque année l'ErlebnisWelt, ce qui devrait générer 2 000 à 2 500 emplois de services. La première animation de cet immense chantier touristique est presque terminée : il s'agit de l'Autostadt, « la ville de l'automobile », conçue pour retenir à Wolfsburg les nombreux clients de Volkswagen qui viennent chercher leur voiture directement à l'usine. Deux immenses tours de verre dominent déjà le Mittellandkanal. Elles stockeront les voitures commandées. Un multiplexe, un hôtel et un restaurant de luxe permettront d'occuper l'acheteur une journée ou plus, au-delà de la traditionnelle visite de l'usine.

Le chômage en chute libre

Chez le constructeur allemand, le moral est au beau fixe : « AutoVision a plus que rempli ses objectifs », se réjouit Dirk Coers. En deux ans et demi, le taux de chômage local est descendu à 11,8 %, un chiffre encore un peu supérieur à la moyenne nationale. Fin février, le bassin d'emploi ne comptait plus que 7 170 chômeurs. L'amélioration de la conjoncture en Allemagne n'y est pas étrangère. Mais il reste que, entre la fin 1998 et le 1er mars 2000, 1 767 emplois, dont 903 permanents, ont été créés. « Une majorité vient des services et a profité d'abord aux habitants de Wolfsburg, mais aussi à ceux des villes voisines, voire des anciens Länder de l'Est », commente Wolfgang Poerschke, responsable de l'Arbeitsamt. La cinquantaine de sous-traitants arrivés dans le cadre du programme AutoVision ont recruté 560 personnes. Par exemple, Aeroquip, un groupe américain spécialisé dans la climatisation, passé de 80 à plus de 200 collaborateurs. Les start-up ont créé 200 emplois. Axel Urbanski, de Toclware, a embauché sept personnes à plein temps et quelques étudiants à mi-temps, attirés par les perspectives de croissance et les stock-options. Son business plan prévoit 60 salariés en 2003.

Quant à l'agence PSA, elle a collecté 1 000 postes de travail, la plupart temporaires. « Nous essayons de coller à la demande en puisant en priorité dans les fichiers de l'agence pour l'emploi et en organisant des formations », explique Stefanie Ulrich, l'une de ses responsables. Une quinzaine de peintres automobiles ont suivi une spécialisation à la laque pour répondre aux besoins d'un fournisseur américain. Plusieurs dizaines de chômeurs ont pris des cours de gastronomie et d'accueil, avec un stage dans un hôtel Ritz, aux États-Unis, pour certains. « Avec AutoVision, Wolfsburg aura changé à 70 % dans les dix ans », prophétise Klaus Dierkes, ancien directeur de la caisse maladie de VW et membre du directoire de Wolfsburg AG. Le pari est de transformer en profondeur le tissu économique et la main-d'œuvre. « Aujourd'hui, ce qui compte, c'est surtout la qualité du service rendu. Wolfsburg doit intégrer les règles de l'hospitalité, ce qui implique un changement total de mentalité dans une ville qui ne connaît pas le tourisme. Les gens vont devoir s'habituer à travailler le soir, parfois le dimanche, en fonction des besoins de la clientèle », renchérit Werner Widuckel, l'un des dirigeants du syndicat IG Metall de Volkswagen.

Tant pis pour la boue et le bruit !

Membre du conseil de surveillance de VW et de celui de Wolfsburg AG, ce dernier vient de négocier un accord salarial inédit couvrant les travailleurs à temps partiel : en échange de garanties (trente jours de congés payés par an, des bonus divers, la semaine de 35 heures à partir de 2002…), les salariés concernés recevront un salaire inférieur de 20 % environ à ceux en vigueur chez Volkswagen. « Pour certains marchés, une flexibilité importante est nécessaire. Jusqu'au début des années 90, nous refusions d'aborder la question. Depuis, nous avons changé d'avis. Mieux vaut accompagner ce type d'évolution », poursuit Werner Widuckel.

La nouveauté, pour Wolfsburg, est que l'objectif n'est plus seulement un emploi bien payé chez VW. « Avant, c'était “Volkswagen ou rien”. Depuis peu, les gens ont pris conscience qu'il y a d'autres choses intéressantes », note Wolfgang Poerschke, de l'Arbeitsamt. Des emplois d'un autre type, des touristes, une ville qui change de vocation. Cette révolution culturelle n'est pas sans inquiéter une frange de la population, les commerçants par exemple. Usant de diplomatie et de pédagogie, Wolfsburg AG multiplie les réunions d'information et publie un journal tiré à 70 000 exemplaires. « Plus nos projets seront parlants, moins les gens seront inquiets », affirme l'un des responsables. Pour le maire Rolf Schnelleke, le bilan est déjà largement positif. « Wolfsburg est passée de la dépression à l'effervescence. » Et tant pis pour la boue, la poussière et le bruit !

Volkswagen, laboratoire social

Depuis six ans, chaque fois que VW innove, tous les regards se tournent vers Wolfsburg, son siège de Basse-Saxe. Touchée de plein fouet par la crise en 1993-1994, l'entreprise a pris le taureau par les cornes en proposant des solutions inventives, sous l'impulsion de son P-DG, Ferdinand Piëch, mais surtout du DRH, Peter Hartz, et du syndicat, IG Metall, qui sait faire preuve de pragmatisme quand il s'agit de sauver des emplois. Particularité à prendre en compte : le Land de Basse-Saxe est actionnaire à 20 % de l'entreprise. Pas question, donc, de détruire le tissu social. Revue de détail des recettes maison.

– En 1994, VW innove en instaurant la semaine de travail de quatre jours ou de 28,8 heures. 150 modèles d'organisation du temps ont été élaborés. Les salariés ont accepté des baisses de salaire quasi proportionnelles à la baisse de la durée du travail et une très grande flexibilité dans leur emploi du temps. Le temps de travail est annualisé en fonction de l'activité de l'entreprise et les heures supplémentaires sont payées à partir de la 36e heure. Depuis, l'entreprise a renoué avec les gains et la moyenne horaire annuelle ne cesse d'augmenter.

– VW a également mis en place un compte épargne temps que le salarié peut se constituer sur le long terme. Il l'alimente autant qu'il le veut en heures supplémentaires, congés, primes, parts de rémunération. Le tout est placé et fructifie. Si le salarié quitte l'entreprise prématurément, il récupère sa mise. S'il attend la fin de sa carrière, il peut partir plus tôt à la retraite.

– En décembre dernier, VW présentait une nouvelle proposition : les « 5 000 x 5 000 ». Dès 2001, l'entreprise embauchera 5 000 nouveaux collaborateurs, dont 3 500 à Wolfsburg, qui seront payés 5 000 marks brut par mois (l'équivalent du salaire moyen chez VW) et qui ne seront plus rémunérés en fonction du temps passé mais pour la réalisation d'une mission déterminée. Mis en place à titre expérimental pour trois ans, ces contrats coïncideront avec le lancement d'un nouveau véhicule.

Auteur

  • Sabine Syfuss-Arnaud