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Repères

Il faut sortir des sentiers battus

Repères | publié le : 01.05.2000 | Denis Boissard

Thuriféraires de la flexibilité à l'anglo-saxonne contre nostalgiques de l'emploi à vie. Un dialogue de sourds comme la France en raffole oppose, dans le cadre des négociations engagées sur la « refondation sociale », les partenaires sociaux sur la réforme des contrats de travail. Tandis que le patronat propose d'introduire un contrat de troisième type, qui s'affranchirait tout à la fois de la durée maximale de 18 mois des CDD et des règles du licenciement du CDI, les syndicats (hormis la CFDT) réclament un renchérissement du recours au CDD et à l'intérim. Les uns raisonnent comme s'il était acceptable d'imposer aux salariés une précarité toujours plus grande de leurs conditions d'emploi et de travail. Les autres comme s'il était réaliste de se cramponner à la citadelle du contrat à temps plein et à durée indéterminée, en occultant les besoins grandissants des entreprises en souplesse et en réactivité.

Le problème, c'est que ce débat a plusieurs trains de retard. Les formes particulières de travail ne cessent de se développer : en 1975, près des trois-quarts des actifs (72 %) travaillaient à durée indéterminée et à temps plein ; en 1998, seulement un peu plus de la moitié (56 %) bénéficiaient encore d'un tel statut. On peut, certes, espérer que le retour de la croissance et la forte reprise de l'emploi inverseront la tendance. Mais c'est sous-estimer les contraintes d'adaptation et de rapidité qui pèsent aujourd'hui sur les entreprises, du fait de la mondialisation et de l'essor du e-business. Taxer l'emploi atypique aurait pour seule conséquence de freiner la création d'emplois et le dynamisme de l'activité. À l'inverse, comme l'observe l'économiste américain Robert Reich, le sentiment d'insécurité généré par une trop grande flexibilité de l'emploi est économiquement contre-productif. Ne serait-ce que parce que la précarisation du travail compromet l'entretien des compétences, démotive les intéressés et finit donc par nuire à la compétitivité du système.

L'enjeu est donc de concilier flexibilité pour les entreprises et sécurité pour les salariés. Il s'agit de faire en sorte que la main-d'œuvre soit mobile, tout en lui garantissant des revenus suffisamment stables, une couverture sociale durable, un accès réel à la formation, voire même des perspectives d'évolution professionnelle. Le Medef a certes, très partiellement, intégré cette préoccupation en précisant que ses nouveaux contrats pourraient comporter des engagements spécifiques en matière de formation, d'indemnisation du chômage et de reclassement. Mais c'est un peu court. Et surtout l'organisation patronale ne propose rien en cas de recours aux formes plus précaires d'emploi que sont le CDD ou l'intérim.

La pauvreté de la réflexion patronale et syndicale surprend. Car, depuis quelques années, de nombreux travaux se sont efforcés de bâtir une alternative au modèle de la carrière professionnelle linéaire, à l'avenir réservée à une minorité d'actifs, en cherchant comment garantir la stabilité d'un statut professionnel par delà la discontinuité et la diversité des emplois. Les plus aboutis – les rapports Boissonnat (au Plan) et Suppiot (pour la Commission européenne) – préconisent une véritable refonte du droit du travail, pour faciliter les allers-retours entre travail salarié, activité d'entrepreneur individuel, période de recyclage en formation, congé de longue durée pour convenance personnelle… de façon à concilier les aspirations des individus à l'autonomie et au temps choisi, avec les attentes de flexibilité et de mobilité des entreprises. Le rapport Boissonnat suggère ainsi d'instituer un « contrat d'activité ». Conclu entre l'individu et un collectif associant un réseau d'entreprises à des acteurs publics, ce contrat pluriannuel – cinq ans minimum – consisterait à bâtir pour l'intéressé un parcours professionnel alternant périodes de formation, travail en entreprise, activité indépendante ou associative, congé pour raison familiale. Avec des garanties en termes de revenu, de couverture sociale et de statut. Le rapport Suppiot propose, quant à lui, de reconnaître à chaque personne active un « état professionnel », auquel seraient attachés des « droits de tirage sociaux », à l'instar des mécanismes existants de crédit d'heures syndical, de congé formation, ou de compte épargne-temps. Ces droits de créance d'un nouveau type seraient transférables d'une entreprise à l'autre, utilisables dans le cadre de l'exécution du contrat de travail ou en dehors, et pourraient être cofinancés par les entreprises, la Sécurité sociale, les organismes paritaires et l'État.

Il y a là largement de quoi alimenter les négociations entre patronat et syndicats. Plutôt que de ressortir des placards le bon vieux contrat de chantier relooké en contrat de mission, ou de s'arc-bouter sur le modèle dominant des Trente glorieuses, les partenaires sociaux feraient bien de s'en inspirer. A moins que, derrière la refondation annoncée, ne se cache une simple opération de ravaudage.

Auteur

  • Denis Boissard