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Enquête

L'INTERMINABLE CURE D'AMAIGRISSEMENT DU GROUPE BULL

Enquête | publié le : 01.05.2000 | Sandrine Foulon

Les services généraux, puis la restauration collective, le réseau téléphonique, la maintenance… Branche après branche, le petit arbre symbole du constructeur informatique se dénude de son feuillage. Mais, sous la pression de ses syndicats, Bull veille à ce que des garanties soient données aux salariés transférés.

Chez Bull, on sait faire des soustractions. En 1989, le constructeur informatique français comptait 47 000 salariés dans le monde, dont 19 000 en France. Dix ans après, ses effectifs se sont réduits à 18 000 personnes, dont 8 500 en France. À l'instar de tous les autres grands constructeurs, IBM, Siemens, Hewlett-Packard ou Compaq, qui s'éloignent de la fabrication pour s'orienter vers les services, Bull a recruté l'année dernière en France 1 800 salariés. Mais dans l'intervalle, 3 800 personnes ont quitté l'entreprise. Certes, les licenciements économiques, les démissions et les départs en retraite non renouvelés comptent beaucoup dans la balance. Mais les vagues d'externalisations ont également fait maigrir les effectifs. Tel un jardinier méticuleux, l'entreprise s'est appliquée depuis cinq ans à tailler une à une les branches de sa gigantesque organisation. Des coups de sécateur qui ont fini par entamer sérieusement le feuillage et ne laisser que le tronc.

Fini de changer les ampoules

« Dès 1994, nous avons mené une réflexion sur le facilities management (services généraux, nettoyage, accueil…), explique François Fernex, directeur des services centraux de l'établissement de Bull à Louveciennes, dans les Yvelines. Nous avons souhaité externaliser tout ce qui était possible. Changer une ampoule ne fait vraiment pas partie de notre core business. En outre, chez nous, un technicien des services généraux n'a pas beaucoup de perspective de carrière. Autant qu'il intègre un prestataire dont c'est le métier. » Bull fait ainsi partie des premiers groupes en France à s'être séparés de ses services généraux. Près de 80 personnes chargées du nettoyage, du gardiennage ou encore de la plomberie, dépendant de quatre sites de la région parisienne, ont été concernées par cette première phase en 1994. La stratégie de Bull est alors accueillie par des mouvements de grève. « Nous avons négocié. Les salariés ont obtenu des garanties et une prime de préjudice, se souvient Pierre François, délégué central CFDT chez Bull. Mais la pilule a eu du mal à passer. Chez nous, il y a tout un historique. Les salariés savent qu'à partir de 50-55 ans des mesures d'âge peuvent s'appliquer. Un transfert signifie pour eux la perte de tous ces acquis. » Transférés chez Dalkia, émanation de Vivendi et gros opérateur spécialisé dans les services généraux, les ex-Bull – au nombre de 34 sur les 80 de départ – sont toujours employés par le même opérateur. Mais ils auraient pu passer sous la houlette d'Elyo, voire d'un autre prestataire. « Pour la région parisienne, nous avons réussi à réduire nos coûts de 20 %. À Grenoble, où nous pratiquons la même opération, nous nous sommes entendus sur une baisse de 15 %, souligne François Fernex. Chaque transfert doit être une opération gagnant-gagnant. On veille à ce que les salariés gardent le même niveau de salaire et qu'ils ne soient pas lésés par un changement de convention collective. Lors du dernier appel d'offres, Sodexho figurait parmi les compétiteurs. Connu pour la restauration collective, c'est aussi un gros opérateur de services généraux. Mais il dépend de la convention de la restauration collective. Or nous ne voulions pas que les ex-Bull passent sous ce statut. » Après les services généraux, l'entreprise informatique poursuit sur sa lancée.

En 1995, la restauration collective, également sur la sellette, est rattrapée in extremis par le CE qui en assure désormais la gestion, via un prestataire. « Les salariés de Bull conservent des garanties sur cinq ans, explique Pierre François. Ils bénéficient encore des avantages du CE. Ce qui pose un problème à l'égard des nouveaux embauchés du prestataire qui, eux, n'y ont pas droit. » L'année suivante, c'est le réseau téléphonique qui est à son tour confié à un opérateur extérieur. Sous la pression des syndicats, une première négociation avec Global One, filiale commune de France Télécom et de Deutsche Telekom, échoue. La viabilité de ce prestataire est mise en doute. Mais ce n'est que partie remise. En 1997, une centaine de spécialistes des réseaux télécoms passent sous la houlette d'Expertel FM, une autre filiale de France Télécom. Scénario identique : mouvements sociaux, négociations. À chaque fois, les syndicats, qui commencent à connaître l'article L. 122-12 sur le bout du doigt, obtiennent des assurances pour les salariés. « C'est sans doute le meilleur exemple de transfert, concède la CFDT. Si l'entreprise d'accueil capote dans les cinq ans, la centaine de salariés concernés par le transfert possède son ticket de retour pour Bull. Les employés ont pu apprécier une prime de préjudice pour le transfert, comprise entre 20 000 et 100 000 francs. » Une bonne opération pour ces salariés, dont certains ont déjà évolué au sein de l'entreprise.

Cette opération achevée, nouvelle vague d'externalisations pour une trentaine de salariés chargés de la maintenance des automates bancaires, transférés dans une filiale du Crédit lyonnais. Il y a tout juste un an, l'annonce du départ de 220 salariés de la maintenance des micro-ordinateurs vers Tasq, une société de 450 salariés spécialisée dans ce domaine, déclenche un conflit violent. Douze jours de grève, manifestation devant le siège de Louveciennes, affrontement entre les vigiles et les futurs externalisés. L'arrivée de la police stoppe net les échauffourées. Un salarié doit même être transporté à l'hôpital. Contestant la légitimité du L. 122-12, invoquant le délit de marchandage, les syndicats portent l'action en justice. Et perdent devant le TGI de Versailles, puis en appel. L'affaire est aujourd'hui portée devant la Cour de cassation.

Une prime de transfert de 50 000 francs

« Le problème majeur, explique un syndicaliste de Tasq, porte sur les contrats commerciaux. Dans son projet de partenariat, Bull garde les contrats, mais sous-traite l'activité. Le coût d'un technicien de dépannage revient à Bull à plus de 2 200 francs par jour, en incluant le salaire chargé, les frais de véhicule, la gestion des pièces détachées. Chez Tasq, il s'élève à 1 400 francs par jour. Bull, qui assure 100 000 interventions par an à Tasq, facture ainsi le dépannage 1 800 francs au client et, par un jeu d'écritures, reverse entre 70 et 80 % du chiffre d'affaires à Tasq pour ne conserver que la différence. Ce n'est plus du transfert de personnel et d'activité mais quasiment du délit de marchandage. Tasq met à disposition du personnel pour réaliser des contrats Bull. »

Transférés chez Tasq en septembre dernier, les salariés (dont 16 représentants du personnel) ont empoché au passage une prime de 50 000 francs. Ils ont renoncé à poursuivre une action en justice. Toujours grâce à l'article L. 122-12, les techniciens conservent le même salaire, la même ancienneté et, quoi qu'il arrive, la même convention. Celle de la métallurgie. « Nous avons été bien accueillis. L'entreprise semble se préoccuper de nos progressions de carrière et de nos formations. Mais nous redoutons l'annualisation du temps de travail et l'accord 35 heures signé chez Tasq qui introduit une plus grande flexibilité, comme la banalisation du travail un samedi sur deux », poursuit le syndicaliste qui est passé avec ses collègues d'une entreprise de 6 000 salariés à une grosse PME de 600 personnes avec un taux de syndicalisation très faible.

Un code de bonne conduite

Après les techniciens de maintenance micro, Bull a poursuivi son régime avec le transfert d'une trentaine de spécialistes de réseau dans une société de câblage. Auparavant, l'activité d'infogérance de Bull était passée sous le giron d'Intégris, une filiale à 100 % du groupe (voir l'encadré ci-contre). Les salariés attendent la prochaine étape. La maintenance des gros systèmes ? Les services administratifs, comme la gestion de la paie ? Avec l'expérience, les syndicats ont appris à batailler pour introduire des clauses sociales lors d'une opération d'externalisation. Pour la direction, il s'agit d'accepter un code de bonne conduite. Pendant les transferts, mais également lors des appels d'offres. Après, par peur du délit de marchandage, l'entreprise ne peut plus s'immiscer dans le fonctionnement interne de l'entreprise partenaire. La phase « amont » détermine l'enjeu social. Et, souvent, les salariés sont laissés de côté. « Dans le cahier des charges des donneurs d'ordres figurent le nombre de mètres carrés à nettoyer, la quantité d'heures consacrées à cette tâche, des indications sur la toxicité des produits de lessive, mais rien sur l'effectif qui sera affecté à la mission », relève Gilles Desbordes, de la Fédération des services de la CFDT.

Dans les contrats passés par Bull, la seule clause sociale inscrite noir sur blanc, précise que les salariés du prestataire doivent être en règle avec le droit du travail français. Une mesure destinée à dédouaner l'entreprise au cas où ce dernier ferait appel à des travailleurs illégaux. Plus généralement, les syndicats regrettent que les enjeux sociaux ne sont pas suffisamment pris en compte. Notamment dans l'électronique-informatique, la branche qui recourt le plus à l'externalisation et à la sous-traitance. Selon un rapport du Centre d'intervention sociale et économique, de nouvelles réorganisations sont à attendre dans la maintenance des grands systèmes. Un secteur encore rentable chez Bull. Mais dont la sortie parachèverait la mue du constructeur informatique en SSII.

L'arroseur arrosé

Il y a cinq ans, Bull décide de filialiser son activité d'infogérance. Intégris (640 salariés) assure ainsi l'exploitation, la maintenance, la réparation du système informatique d'une trentaine de clients – dont Bull, qui représente près des deux tiers de son chiffre d'affaires. Puis, fin 1998, la maison mère fait machine arrière et souhaite réintégrer la filiale au sein du groupe. Opposition des syndicats qui intentent une action en justice. « Ce revirement s'est produit uniquement pour des raisons fiscales, souligne Gilles Dailcroix, délégué syndical CFDT sur le site de Trélazé (Maine-et-Loire). La direction souhaitait transférer le personnel au sein de Bull et maintenir les contrats chez Intégris, qui serait devenu une sorte de coquille vide. » En 1999, Bull a perdu en référé. « Nous ne sommes pas contre une fusion-absorption, poursuit le syndicaliste. Mais avec un transfert complet : les salariés plus le chiffre d'affaires. » Cette réintégration ne serait d'ailleurs pas pour déplaire à certains salariés. En 1997, 79 % du personnel a suivi une formation. En 1999, le ratio est tombé à 58 %. Les progressions de carrière ne sont pas évidentes chez Intégris et les cadences plus soutenues que chez Bull. En novembre, les salariés se sont mis en grève contre l'application des 35 heures sur leur site. Ils craignaient de voir les astreintes et le travail du dimanche se banaliser.

Auteur

  • Sandrine Foulon