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Enquête

LES SYNDICATS FONT DE LA RESISTANCE

Enquête | publié le : 01.05.2000 | Valérie Devillechabrolle, Sandrine Foulon

Confrontés à des opérations d'externalisation de plus en plus fréquentes, les syndicats ont le choix entre plusieurs ripostes. Barder le transfert du personnel de clauses sociales. Établir des passerelles avec les sous-traitants. Voire, en désespoir de cause, dégainer l'arme du contentieux.

À Vergèze, fief de Perrier-Vittel, les célèbres petites bouteilles vertes ne sont pas les seules en effervescence. La filiale du groupe Nestlé attend avec impatience un arrêt de la Cour de cassation qui devrait tomber de façon imminente. S'il donne raison au comité d'entreprise, il pourrait renforcer les pouvoirs de celui-ci dans les mouvements d'externalisation de salariés. Un arrêt décisif, donc, qui constituerait la première tentative de régulation des transferts de personnel. À l'origine de cette jurisprudence tant attendue, un plan de modernisation d'un des sites d'embouteillage de Perrier, dans le Gard : en juillet 1997, la direction de Vergèze soumet au comité d'entreprise un projet de transfert de l'activité de fabrication, de tri et de réparation de palettes auprès de la société La Palette rouge. Émoi du CE et des syndicats qui contestent le recours à l'article L. 122-12 du Code du travail dans ce cas précis. Selon eux, cet article ne peut s'appliquer car il ne s'agit pas du transfert d'une activité économique autonome, mais bien de l'externalisation d'un atelier dépendant directement des services centraux. En outre, aucun personnel spécifique n'est utilisé par Perrier pour cette activité. Il relève du service du personnel de l'établissement. Les élus du CE obtiennent d'abord gain de cause en référé, puis devant la cour d'appel de Nîmes. Mais la direction se pourvoit en cassation.

« Le fait qu'un comité d'entreprise conteste le L. 122-12, réputé protecteur pour les salariés, m'a étonné, indique Joël Colbeaux, avocat du cabinet Grand, Auzas & Associés, spécialiste des contentieux liés à l'externalisation. Cet article du Code du travail évite en effet les licenciements secs en cas de transfert. Mais, en réalité, les CE ont trouvé un moyen de lutter contre les débordements : externalisations à tort et à travers, éparpillement et émiettement des groupes en filiales… De véritables nébuleuses où l'on ne sait plus qui emploie qui. Aujourd'hui, ils réagissent contre les plans sociaux déguisés. Et posent la question de la réalité économique de ces opérations. »

Une autre parade syndicale consiste à barder l'opération de toutes les clauses sociales possibles afin de garantir la qualité des conditions de travail des personnels externalisés. Aguerris par les multiples transferts, les comités d'entreprise ont changé de stratégie. « Pendant longtemps, les syndicats refusaient de négocier les conditions du transfert. Pour eux, c'était déjà une façon de l'accepter, analyse Mireille Battut, du cabinet d'expertise comptable Secafi-Alpha. Or c'est une erreur. Au moment du transfert, il y a au contraire une fenêtre pour établir un léger rapport de force en faveur de ceux qui partent et obtenir une compensation et, dans le meilleur des cas, le maintien des garanties pendant une période donnée. »

Une expertise économique du prestataire

Les syndicats de Thomson Optronic ont ainsi réussi à introduire des clauses sociales dans l'opération de transfert décidée par leur direction. Depuis le mois dernier, la moitié du personnel de l'atelier mécanique, soit 40 salariés, a rejoint Exameca, un sous-traitant spécialisé dans la mécanique de précision. « Pour la première fois, l'entité essaimée n'est pas un canard boiteux, souligne Corentin Le Corre, secrétaire du CCE de Thomson Optronic et délégué syndical CFDT. Les investissements n'ont pas été interrompus, les bécanes sont neuves… Dans sa stratégie, le groupe a seulement décidé de ne plus faire de mécanique de précision. » Il est par ailleurs entré, à hauteur de 30 %, dans le capital de la nouvelle structure, Exameca Précision. Le reste étant réparti entre Exameca (60 %) et les salariés (10 %). Les syndicats se sont largement mobilisés, en demandant une expertise économique sur le prestataire. Ils ont même fait le voyage jusqu'à Pau, siège d'Exameca, pour prendre la température et vérifier les conditions de travail. Une prime de préjudice de 90 000 francs a été négociée et versée en trois fois aux salariés. « Évidemment, nous avions également exigé une clause de retour pour les salariés en cas de défaillance économique du sous-traitant, poursuit Corentin Le Corre. Mais la direction a mis la prime dans la balance, en proposant dans ce cas de la diviser par deux. Du coup, cette hypothèse a été écartée. L'incitation financière est un moteur efficace. Déjà, avant même le transfert, la politique salariale du groupe était ciblée. Les salariés susceptibles de partir ont bénéficié d'une augmentation plus forte que ceux qui restaient. »

Des syndicats en réseau

Autre arme utilisée par les syndicats : l'organisation de passerelles, sur un site, entre l'entreprise donneuse d'ordres et les sociétés sous-traitantes. Les salariés transférés sont incités à créer des cellules syndicales. Les échanges entre militants syndicaux des donneurs d'ordres et des sous-traitants se multiplient. À « Smartville », en Moselle, sur le grand parc industriel qui réunit MCC Smart (le fabricant de la petite voiture urbaine) et une quinzaine de ses sous-traitants – appelés « partenaires » par l'assembleur –, les syndicats se passent le mot au moindre problème. « Le site a connu un certain nombre de mouvements sociaux. Et les directions ne veulent plus de déballage sur la place publique. Elles savent aussi que les débrayages ont un effet boule de neige. Un conflit chez Surthema ou chez Magna Châssis gagne vite MCC Smart, VDO ou encore Dynamite Nobel France (DNF). Du coup, nous jouons cette carte pour faire entendre nos revendications », explique Patrice Wilhelm, délégué CGT de MCC Smart. L'année dernière, pour atteindre les 100 000 véhicules produits, l'un des prestataires, DNF, a dû recruter 40 personnes supplémentaires. « La société s'est ensuite retrouvée en sureffectif et projetait de licencier. Les syndicats s'en sont mêlés, les directions se sont rencontrées et, finalement, une partie des salariés de DNF ont été reclassés chez nous », poursuit Patrice Wilhelm.

L'hygiène et la sécurité chez les sous-traitants sont également examinées à la loupe par les syndicats des donneurs d'ordres. C'est le cas pour Sollac, à Montataire (Oise). « Nous sommes intervenus auprès de la direction pour assurer aux opérateurs extérieurs des conditions d'hygiène minimales, explique Henri-Pierre Dudebout, délégué CFDT, élu du CHSCT. Fin 1999, la température de leur vestiaire ne dépassait pas les 4° C. Sollac leur a fourni des radiateurs. Idem pour les douches. Nous avons fait venir l'Inspection du travail. Les opérateurs devaient traverser une cour pour aller se doucher. L'hiver, c'est plutôt spartiate. » À Montataire, un CHSCT de site a vu le jour. « Désormais, le critère des accidents du travail entre en ligne de compte dans le choix d'un sous-traitant, explique Bernard Rousselet, secrétaire général de la Fédération générale des mines et de la métallurgie (FGMM). Mais il faut également pousser les salariés prestataires à s'organiser par eux-mêmes. Dans la centrale nucléaire de Gravelines, on observe une réelle expansion des organisations syndicales chez les sous-traitants. »

Les CHSCT de site sont une première étape. Pascal Nonnat, secrétaire général de la CGT Métaux, plaide en faveur de la création de comités d'industrie, équivalent de CE de site, « pour échanger sur les statuts et définir des standards sociaux minimaux ». Chez MCC Smart, une commission paritaire de site a également vu le jour afin d'améliorer la circulation de l'information entre les différents prestataires. Cela étant, les partenaires sociaux connaissent les limites de la solidarité. À Cléon, en Normandie, un simple grillage sépare l'usine de Renault de sa fonderie, vendue à un prestataire italien, Teksid. « Les syndicats de Cléon ont beau être attentifs au maintien d'évolutions comparables pour les deux entités, les occasions de se dissocier, comme les négociations salariales qui ne coïncident pas nécessairement, sont légion », ajoute Pascal Nonnat.

Faire vivre une section syndicale chez les sous-traitants n'est pas une mince affaire. « Les délégués syndicaux sont en butte à une répression permanente, affirme Jean-François Kieffer, délégué syndical de PSA. Nous avons déjà dû nous battre pour obtenir la réintégration de camarades licenciés. Les directions des sous-traitants n'apprécient pas la contestation. Quand un conflit est survenu chez Delphi-Packard sur les salaires, la direction a fait faire les faisceaux au Portugal. » En réaction, la CGT de PSA a développé un système de parrainage. Des militants de Sochaux vont au contact des salariés des sous-traitants.

Dernière carte à abattre pour inciter les entreprises à se préoccuper des enjeux sociaux : la peur du gendarme. « Nous avons dressé un PV à une entreprise de transport pour délit de marchandage, explique un inspecteur du travail, de l'Association de défense et de promotion de l'inspection du travail. Elle mettait à disposition d'une entreprise industrielle du personnel pour préparer les commandes et charger les camions. Payés au smic, ces salariés étaient exclus du CE du donneur d'ordres. Ils étaient en outre rémunérés en fonction des heures effectuées, donc en dehors de toute mensualisation. Cette situation perdurait depuis un an. »

Pourtant, les contentieux demeurent peu nombreux. Les armadas de juristes d'entreprise ont appris à déjouer les pièges. Avocats et inspecteurs du travail constatent en tout cas une moralisation de certains secteurs, notamment dans le marchandisage. « Les contrats commerciaux entre distributeurs et producteurs portent essentiellement sur la location de surfaces dans les magasins, souligne Marie-Laure Morin, professeur de droit et chercheuse au CNRS. Le recours à des marchandiseurs pour remplir les têtes de gondole n'est qu'une annexe au contrat de vente. Pis, la charge de la main-d'œuvre devient un enjeu du contrat entre distributeurs et producteurs. Dès lors, qui prend en charge le coût d'un licenciement ? »

Le BHV condamné solidairement

De plus en plus sévère, la jurisprudence fait émerger la notion de coresponsabilité entre donneurs d'ordres et prestataires. La Cour de cassation a ainsi condamné le BHV au même titre qu'un prestataire pour le limogeage d'une démonstratrice. « Afin de clarifier ces situations socialement floues et comportant des dérives importantes, comme le travail en régie, il serait nécessaire de prévoir un droit de la mise à disposition, poursuit Marie-Laure Morin. Une façon de reconnaître la coresponsabilité de l'utilisateur de cette main-d'œuvre en matière de conditions de travail, de promotion et, surtout, d'égalité de traitement. L'enjeu réside moins dans la requalification de l'employeur que dans cette égalité à faire valoir entre différents salariés. » Si l'introduction d'une clause sociale dans le contenu des contrats commerciaux relève encore de l'utopie, l'une des solutions préconisées serait de relancer la négociation collective entre partenaires sociaux d'un bassin d'emploi afin d'harmoniser des statuts minimaux. Un premier pas pour éviter de laisser au seul rapport de force économique la régulation du social. Encore faut-il que les salariés des sous-traitants ne soient pas précaires…

Chartes de bonne conduite patronale

« Si l'externalisation est si mal perçue aujourd'hui, c'est parce que ses aspects sociaux n'ont pas été traités avec suffisamment de soin. » Ce n'est pas un syndicaliste qui le dit, mais un groupe de travail du Medef, auteur l'an dernier d'un « Guide pratique de l'externalisation » conçu pour apporter des réponses pratiques aux entreprises intéressées. Dernier des sept points essentiels abordés, le volet social y fait l'objet de certaines préconisations, en matière de transparence notamment, de nature à susciter l'adhésion des personnels concernés au moment du transfert…

Si minces soient-elles, ces recommandations traduisent une certaine prise de conscience des donneurs d'ordres quant à la dégradation des conditions de travail des salariés de leurs sous-traitants. En matière de sécurité et de prévention des accidents du travail, notamment, un domaine où la coresponsabilité des donneurs d'ordres et des prestataires est d'ores et déjà légalement et financièrement reconnue. À Usinor, par exemple, la direction a pour la première fois en 1998 posé en principe fondamental le « refus d'une sécurité à plusieurs vitesses à l'égard des intérimaires et des personnels des entreprises extérieures ». Mais les moyens d'y parvenir ne dépassent pas le stade de la « recommandation » et de la ratification d'une charte de bonne conduite, par les entreprises de travail temporaire notamment, visant à assurer aux intérimaires des formations renforcées à la sécurité. Plus volontaristes, les entreprises pétrolières imposent à leurs sous-traitants des procédures de « certification sécurité ». Enfin, certaines entreprises essaient, à l'instar d'EDF, d'aider leurs sous-traitants à améliorer leurs relations sociales grâce, là encore, à la signature de chartes de bonne conduite. Pour Bernard Rousselet, secrétaire à la FGMM-CFDT, ces efforts restent bien timorés : « En se limitant à des cahiers des charges par entreprise et non pas au niveau de la branche, les entreprises veulent continuer à faire jouer le marché. »… Au détriment du social.

Auteur

  • Valérie Devillechabrolle, Sandrine Foulon