logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Enquête

EXTERNALISÉS, OUTSOURCÉS… LES PERDANTS DE L'ENTREPRISE LIGHT

Enquête | publié le : 01.05.2000 | Valérie Devillechabrolle, Sandrine Foulon

Réduction de coûts oblige, les entreprises s'efforcent de maigrir. Services généraux, production, logistique… la sous-traitance et l'externalisation de pans entiers d'activité gagnent du terrain. Le plus souvent aux dépens des salariés transférés, qui voient avantages sociaux, rémunération et perspectives de carrière rétrécir comme peau de chagrin.

En apparence, rien n'a changé : les 570 salariés de cette usine du nord de la France continuent, comme avant, de fabriquer des centraux téléphoniques pour le groupe suédois Ericsson. Sauf que, par un coup de baguette magique, tout le personnel est passé en mars dernier sous la bannière de Solectron, un prestataire de services d'origine californienne. Un poids lourd totalement inconnu du grand public qui compte 43 000 salariés dans le monde et s'est taillé une solide réputation dans le rachat d'usines électroniques. Une aubaine pour les sociétés d'informatique et de télécommunications soucieuses d'externaliser leur production. Mais une opération lourde de conséquences pour les salariés transférés d'Ericsson à Solectron, qui plongent dans l'inconnu. Même si la convention collective est maintenue pendant quinze mois – grâce au L. 122-12, article du Code du travail désormais bien connu des personnels ballottés – et si Ericsson garantit le maintien des avantages pendant trois ans, un rapide coup d'œil sur les conditions de travail de leurs homologues de Solectron suffit à assombrir l'horizon des anciens salariés d'Ericsson. « Nous ne craignons pas les licenciements mais plutôt les conséquences, à terme, sur les salaires », avance Bertrand, un ouvrier de l'usine. Car, à Solectron, pas de treizième mois ni de prime d'équipe. Le travail de nuit ne donne lieu qu'à un bonus de 25 %, contre 50 % à Ericsson… Bertrand, qui travaille de nuit, a fait ses comptes : « Sur un salaire de 11 000 francs, le manque à gagner peut être évalué à 2 000 francs. »

À quelques centaines de kilomètres de là, dans une tour de la Défense, Thierry Muller, associé d'Arthur Andersen, met la dernière main à un autre projet d'externalisation. Le cabinet est en passe de reprendre toute l'activité comptable d'un groupe multinational français, soit 60 salariés. « Nous avons créé avec le donneur d'ordres une filiale commune avec un statut mixte cumulant les avantages des deux sociétés, explique Thierry Muller. Les salariés vont conserver leurs dispositifs d'épargne salariale et d'achat d'actions gratuites d'origine. Arthur Andersen consacre 10 % de sa masse salariale à la formation. Les salariés transférés s'intègrent naturellement dans les cycles de formation de nos personnels. » Un transfert qui s'annonce en douceur. Les salariés devraient être chouchoutés. Le montage a obtenu l'avis favorable de la moitié des comités d'établissement consultés.

Haro sur les coûts

Lancée dans les pays anglo-saxons, la course à l'externalisation et à la sous-traitance touche allégrement la France. La tendance est à l'entreprise light. Le leitmotiv : « recentrage sur le cœur de métier ». Un noyau dur dont on ne connaît plus vraiment les limites. Chez Salomon, par exemple, l'activité phare de l'entreprise haut-savoyarde n'est plus la fabrication des célèbres skis. « La production est désormais sous-traitée à 80 %, explique son DRH, Jacques Descamps. Tout comme la distribution de nos produits, au risque de voir nos distributeurs devenir des concurrents. Aujourd'hui, notre cœur de métier n'est plus la technique mais la maîtrise des concepts et l'approche des pratiques du sport. À nous d'avoir du flair et d'anticiper les marchés. »

Mais la première cause de cette fièvre externalisatrice est tout simplement la réduction des coûts. « Une entreprise qui externalise son service de paie ou de gestion d'informations financières réalise une économie de 15 à 25 % », explique Alain Rolland, administrateur d'Externance, filiale d'Ernst & Young spécialisée dans la reprise d'équipes externalisées dans les fonctions administratives et financières. Un argument massue. Résultat, 58 % des entreprises externalisent pour réduire leurs frais généraux, tandis que 47 % y voient une bonne façon d'acheter des compétences plus pointues, selon une enquête Arthur Andersen-Sofres diffusée lors du salon Externaliser 99. Le mouvement est encore loin d'avoir atteint son apogée en France. Alors que la majorité des grandes entreprises interrogées pratiquent déjà l'externalisation, 39 % d'entre elles envisagent de se séparer d'autres fonctions. Mais la marge est importante. Seulement un quart des entreprises françaises externalisent des fonctions jugées non stratégiques, estime la SSII EDS, contre plus des trois quarts des britanniques, plus des deux tiers des allemandes ou même un tiers des espagnoles.

Dehors, les salariés non stratégiques !

Pas de faux-fuyant : en s'allégeant ainsi, les employeurs se débarrassent de la gestion de salariés considérés comme non stratégiques. Pour Frédéric Tiberghien, P-DG de VediorBis, numéro trois du travail temporaire en France, c'est à cette aune qu'il faut analyser l'explosion de l'intérim au cours des dernières années : « Cette forme d'externalisation des ressources humaines permet aux DRH des grands groupes de se consacrer aux aspects stratégiques de leur mission. En contrepartie, ces grands groupes vont de plus en plus sous-traiter, à la carte, tout ou partie de la gestion de leur personnel à de véritables spécialistes. » À l'instar des entreprises de travail temporaire, bien entendu. Une solution qui offre, selon lui, de nombreux avantages : « Nous assurons la flexibilité de la force de travail en replaçant sans drame social les salariés en excédent chez un autre employeur, ajoute Frédéric Tiberghien. Mais nous nous chargeons aussi de maintenir l'employabilité des salariés par des actions de formation et par l'offre de parcours professionnels diversifiés. » Et le président de VediorBis de pronostiquer que si les trois leaders du travail temporaire, Adecco, Manpower et VediorBis, comptaient parmi les dix premiers employeurs français à la fin des années 90, il n'est pas exclu qu'ils se hissent aux trois premières places dans vingt ans, « voire avant ».

Internet condamne les services achat

L'externalisation est également un excellent moyen de s'affranchir d'un plan social en bonne et due forme. Un tiers des visiteurs médicaux dépendent ainsi d'un prestataire et non d'un groupe pharmaceutique. Motif ? Aucun grand laboratoire pharmaceutique ne souhaite endosser l'image négative d'un plan social. Le DRH d'un grand groupe industriel qui vient de finaliser une opération d'externalisation de ses entrepôts n'en est pas encore revenu : « Dans leurs propositions, certains repreneurs sont allés jusqu'à nous facturer le coût du plan social à venir. C'est une façon de se faire rémunérer pour le sale boulot qu'ils font à notre place. Ça fait partie du deal. » Car l'article L. 122-12 du Code du travail qui garantit pendant quinze mois salaires et avantages antérieurs en échange du transfert a aussi ses limites. « Dans l'année qui suit le transfert, on constate des problèmes au niveau des personnels, tels que la multiplication des licenciements des anciens pour faute », remarque un inspecteur du travail, adhérent de l'Association de défense et de promotion de l'inspection du travail (Adpit), créée dans le Nord.

A contrario, prestataires de services et autres sous-traitants peuvent se frotter les mains. Car l'externalisation touche désormais l'ensemble des fonctions de l'entreprise. Les sociétés ont commencé par se séparer de leurs services généraux (nettoyage, sécurité, accueil, restauration collective…), de leur flotte automobile, puis de la gestion de leur parc informatique et du réseau de télécommunications. L'infogérance continue d'ailleurs sa percée. Selon les experts d'IBM Global Services, 90 % des entreprises auront délégué tout ou partie de leur informatique à une société prestataire à l'horizon 2001 ! Le cabinet d'études IDC table sur un marché européen de l'infogérance de quelque 195 milliards de francs sur cette même période. Une déferlante qui touche aussi la production et la maintenance industrielle – avec un mouvement de concentration des opérateurs –, la logistique, mais encore les services administratifs, comptables, financiers, juridiques… Sans oublier les ressources humaines. Le recrutement, la formation, la paie ou encore la gestion de l'épargne salariale peuvent être gérés par des entreprises spécialisées.

Dernier pan de l'entreprise à céder aux sirènes de l'outsourcing : les services achat des grandes entreprises. Portés par la vague Internet, ces services sont filialisés le plus souvent en partenariat avec l'un des grands éditeurs de logiciels spécialisés sur le Net et transformés en hubs, plates-formes d'achat en ligne et autres carrefours d'affaires. Pour les PSA, Valeo, Danone et autres Carrefour qui ont ces derniers mois ouvert le bal des portails d'achat en France, l'intérêt est multiple. La simplification des procédures leur fait tout d'abord espérer de substantielles économies sur leurs coûts administratifs, « de l'ordre de 20 à 40 % », table Carrefour, qui vient d'ouvrir Global Net Xchange (GNX), une plate-forme d'achat en ligne commune avec l'américain Sears, l'allemand Metro AG et le britannique Sainsbury PLC, avec la collaboration de la SSII Oracle, également actionnaire de GNX. Autre avantage attendu du développement du B to B (entendez business to business) : l'enrichissement des tâches des acheteurs dont une partie ont vocation à être transférés dans ces nouvelles filiales. « Nos acheteurs ne vont plus perdre leur temps dans les paperasseries mais se consacrer à la surveillance de la qualité, multiplier les visites chez les fournisseurs… », se félicite Carrefour.

Mais ces plates-formes vont surtout permettre de réduire les coûts, grâce à des négociations plus serrées avec les fournisseurs. « GNX va complètement bouleverser nos échanges d'information, explique, enthousiaste, le porte-parole du groupe de distribution. Cela ne remet pas en cause nos relations avec certains fournisseurs. Un confiturier coréen ne risque pas nécessairement de concurrencer le petit producteur français avec qui nous travaillons depuis dix ans. Pas de crainte non plus pour la distribution de télés. Quatre fournisseurs se partagent le marché. Nous sommes présents dans 26 pays. On fera toujours appel à l'un d'entre eux. En revanche, la différence s'établira sur la rapidité de réaction. Pour des opérations promotionnelles de type “un produit, un jour”, c'est le fournisseur qui proposera à un instant t un prix canon qui remportera le marché. » Libre à ce dernier de jongler avec ses stocks, de rogner sur ses marges et, le cas échéant, de mettre ses équipes sous pression. Mais, à l'heure actuelle, personne ne mesure encore parfaitement les conséquences sociales du recours aux nouvelles technologies dans les services de vente et d'achat. « Nous ne sommes qu'au début du processus, souligne Bernard Rousselet, secrétaire général de la FGMM à la CFDT. La révolution informatique va induire des distorsions énormes dans la sous-traitance, imposant aux prestataires une flexibilité à outrance. »

Les informaticiens s'en tirent mieux

Conditions de travail, maintien des avantages sociaux, formation, progression de carrière… Le sort des salariés dépend désormais du rapport de force entre le donneur d'ordres et le prestataire, de la relation pérenne qu'ils parviennent à construire et du niveau de valeur ajoutée dégagé par les personnels externalisés. Certains s'en sortent. Tout va pour le mieux à Electronic Data System (EDS), une SSII dont 80 % des effectifs (sur un total de 2 700 en France) proviennent de transferts. « Nous offrons à tous les salariés externalisés un parcours de formation et d'intégration personnalisé afin de les réorienter vers nos projets techniques, explique Christine Teulières, la DRH. Des pupitreurs sur gros systèmes voués à disparaître sont ainsi transformés en techniciens de maintenance téléphonique. L'entreprise investit 7 % de la masse salariale en formation et enregistre un taux de turnover très faible. 95 % des personnels transférés réussissent leur passage. » EDS est obligé de tenir compte d'une grande diversité de salaires. « Les personnels que nous intégrons avec des niveaux de salaire plus élevés que ceux du marché voient leur revenu plafonner. En même temps, cela rend les discussions salariales très adultes. » L'externalisation sonne le glas du travail ronronnant. Même dans les entreprises à haute valeur ajoutée qui offrent des perspectives aux personnels accueillis, les prestataires en veulent pour leur argent. À salaire égal, voire supérieur, le salarié doit se montrer plus compétitif. « La charge de travail et la réactivité d'un comptable multiclient ne sont pas les mêmes que celles d'un comptable monoculturel, installé dans un rythme routinier », reconnaît Alain Rolland, du cabinet Externance.

20 % de pouvoir d'achat en moins

Malheureusement, l'arbre des SSII cache la forêt des sous-traitants, dont les salariés ont un sort beaucoup moins enviable. Martine Le Boulaire, consultante d'Entreprise et Personnel, auteur, avec Pierre Leclaire, d'une enquête sur la gestion des ressources humaines des entreprises en réseau, observe un fossé de plus en plus large entre une « surclasse » de salariés privilégiés qui ont réussi à capter la quasi-totalité des avantages et des augmentations de revenu, et une « sous-classe » d'employés peu ou moyennement qualifiés, substituables et disponibles en abondance. « Ces derniers ne bénéficient plus de garantie d'emploi, de formation, voire de promotion. » Lors des mouvements d'externalisation et autres phénomènes de sous-traitance, les premiers remparts à céder sont bien souvent les avantages sociaux. « L'externalisation des activités banalisées permet aux grandes entreprises de s'affranchir définitivement de toutes les contraintes liées au maintien d'un personnel peu qualifié dont elles n'ont pas besoin en permanence et dont les droits sont garantis par une convention parfois très forte », souligne Emmanuel Hetru, auteur, en collaboration avec Jean-Luc Bizeur, de l'Office de recherches sociales européennes (Orseu), d'un rapport sur « les conséquences sociales de l'externalisation et de la sous-traitance ».

Conséquence immédiate, les avantages conventionnels des salariés externalisés se réduisent comme peau de chagrin. Quand ceux-ci bénéficient encore d'une convention collective. Le secteur de la logistique, qui emploie 1 million de salariés, n'en possède par exemple pas. Pas même une annexe à la convention des transports. « Ce métier exige pourtant de nouvelles compétences, déplore Edouard Zenou, à la CFDT Logistique. Aujourd'hui, ce sont les logisticiens qui, par exemple, assurent le montage des meubles en kit chez les clients ou encore l'installation et la maintenance des photocopieurs. Pour autant, nous n'avons aucune reconnaissance de nos compétences, encore moins de nos astreintes, du travail de nuit, de week-end ou pendant les jours fériés. La législation du travail sur les heures supplémentaires et les repos compensateurs n'est pas appliquée. Quand ils viennent de la métallurgie, de la chimie, de la pharmacie, les logisticiens perdent au passage 20 % de leur pouvoir d'achat. » Chez GTM-Herlicq, gros sous-traitant de maintenance industrielle, filiale du groupe Lyonnaise des eaux-Dumez, les revendications sont identiques : « Nous sommes affiliés à la convention des travaux publics même si, en réalité, nous faisons beaucoup de métallurgie. Résultat, les salaires des opérateurs tournent autour de 7 000 francs, contre 10 000 francs dans la métallurgie. Et nous n'avons pas de prime », constate Tahar Bahache, délégué syndical CGT.

Plus d'accidents chez les sous-traitants

Le recours à la sous-traitance a également des incidences sur les conditions de travail. « Le budget nettoyage est l'un des plus faciles à réduire, note Didier Bonte, agent de propreté chez Anet Services et secrétaire adjoint du syndicat Commerces et Services CFDT de Lille. Il y a encore quinze ans, pour assurer la rentabilité de l'entreprise de nettoyage, le coût de revient de la main-d'œuvre ne pouvait descendre en dessous de 95 francs l'heure. Aujourd'hui, des entreprises acceptent des marchés à 78 francs l'heure alors que le salaire, chargé, d'un ouvrier est de 68 à 70 francs l'heure. Du coup, au lieu de traiter 300 m2 de surface en une heure, il nous arrive d'en aspirer, désinfecter, dépoussiérer le double ! » Les impératifs des donneurs d'ordres se ressentent aussi fortement chez Polinorsud, une entreprise d'Indre-et-Loire spécialisée dans l'élimination des déchets nucléaires. « La productivité augmente énormément, notamment depuis qu'EDF a ordonné une nouvelle diminution des coûts de maintenance, estime Patrick Jodeau, chef d'équipe. Là où nous devrions être quatre pour réaliser le travail, nous ne sommes plus que deux. » Et, en période de pointe, le recours à l'intérim est de rigueur. Cette pression sur les sous-traitants est source d'accidents du travail. À Usinor, Jean-Marie Paul-Dauphin, responsable de la sécurité, constate un taux d'accidents du travail trois fois supérieur chez les sous-traitants à celui de l'entreprise pour les opérations de maintenance industrielle traditionnelle. « Alors qu'ils ne représentent que 20 % des effectifs de l'entreprise, les sous-traitants affichent un nombre de décès comparable au nôtre. » Delphi-Packard, équipementier spécialisé dans le câblage automobile, installé dans la nouvelle zone industrielle qui réunit tous les sous-traitants de Peugeot Sochaux, baptisée Technoland, présente une véritable épidémie de troubles musculo-squelettiques (TMS). « Chez Peugeot, nous voyons apparaître ce type de maladie chez les ouvrières de 40 ans ayant quinze à vingt ans d'ancienneté, remarque Jean-François Kieffer, secrétaire général de l'Union locale CGT du pays de Montbéliard. À Delphi-Packard, les TMS touchent des filles de 25 ans qui ne sont dans l'entreprise que depuis trois ans. »

Des clauses sociales bien fragiles

Pas la peine d'escompter de bons déroulements de carrière chez les sous-traitants, excepté pour les plus qualifiés, et encore dans les entreprises à haute valeur ajoutée. Armelle Gorgeu et René Mathieu, chercheurs au Centre d'études sur l'emploi (CEE), ne constatent guère de progrès social chez les équipementiers automobiles. « Ils détournent de plus en plus les conventions collectives en matière de gestion des compétences et de grilles de classifications. Les constructeurs essaient de faire progresser leurs salariés. Les équipementiers, pourtant souvent plus exigeants quant aux niveaux de qualification à l'embauche, ne prennent pas en compte l'expérience, ne favorisent pas la mobilité entre les sites. À croire que les directions misent sur le renouvellement d'une main-d'œuvre jeune. » Chez Delphi-Packard, on compte 150 à 180 CDI sur 250 postes, estime Jean-François Kieffer. « Le reste tourne en CDD. Une fois les salariés usés, on en prend d'autres. »

Sous la pression des cost killers et des appels d'offres qui s'accélèrent, les clauses sociales s'effacent au profit des considérations commerciales. « La concurrence entre prestataires sur les appels d'offres va se traduire par une accélération des ventes et des rachats d'usines clés en main et personnel compris, entre fournisseurs, au gré des marchés perdus ou gagnés, pronostique Pascal Addari, de Secafi-Alpha, un cabinet d'expertise comptable au service des CE. Ces transactions seront simplifiées du fait que bon nombre de ces usines sont sous le statut de société anonyme simplifiée. »

Il n'y aura pas toujours des garanties, à l'image de l'annexe 7 de la convention collective de la propreté, qui prévoit la reprise des salariés par une nouvelle société lorsque leur entreprise d'origine perd le marché. Un dispositif qui comporte lui-même des failles. « Le salarié repris est assuré de conserver le même nombre d'heures mais pas forcément sur le même site, explique Didier Bonte, qui, en seize ans de propreté, a connu neuf changements d'employeur. Difficile, dans ces conditions, pour un personnel à 80 % à temps partiel d'accéder à une formation et de pouvoir évoluer. » La machine à externaliser s'est emballée. Les partenaires sociaux ont du pain sur la planche.

Précarité à tous les étages

Avec la généralisation de l'externalisation et de la sous-traitance, difficile de remonter jusqu'à l'employeur. D'autant que les statuts des salariés deviennent multiformes. Des agents du nettoyage ou du marchandisage qui possèdent jusqu'à cinq employeurs aux faux free lances qui se développent dans la logistique et dont la dépendance économique à l'égard d'un transporteur est patente en passant par les CDD, intérimaires, voire les travailleurs non déclarés, la palette est large.

Plus la pression sur les coûts est forte, plus elle génère de la sous-traitance en cascade et de la précarité. « Quand les grosses entreprises externalisent leur logistique, elles paient un droit d'entrée aux repreneurs en leur fournissant une prestation surévaluée pendant trois, voire cinq ans maximum, explique Edouard Zenou, de la CFDT Logistique. Ensuite, les contrats commerciaux sont renégociés tous les ans. Cela force les entreprises de logistique à trouver des astuces pour ne pas avoir à gérer les personnels en fin de contrats commerciaux. La solution ? L'intérim, qui représente jusqu'à 60 % des effectifs. On a en outre découvert des transformations de CDI en d'illégaux contrats de chantier. » Autre dérive, la sous-traitance en cascade : en janvier dernier, les salariés de GTM-Herlicq ont fait grève pour en dénoncer l'abus.

Glossaire

Externalisation, « outsourcing » : « L'externalisation est une opération par laquelle une entreprise (le donneur d'ordres) confie à une autre entreprise (le preneur d'ordres) le soin de réaliser pour elle et selon un cahier des charges préétabli tout ou partie d'un service qui n'est pas destiné à ses propres clients. » Selon le rapport de l'Office de recherches sociales européennes (Orseu), la prestation est dissociée de l'activité principale du donneur d'ordres. La maintenance du parc informatique, la restauration collective, la paie, le recrutement ou encore la logistique peuvent être des activités externalisées.

Sous-traitance : activité selon laquelle la prestation commandée par un donneur d'ordres à une société tierce se retrouve partiellement ou totalement dans le service ou le produit que le donneur d'ordres livre à ses clients. Exemple de sous-traitance : un équipementier automobile qui fournit des sièges au constructeur.

Travail en régie : personnel détaché par un prestataire pour effectuer une mission au sein de l'entreprise. Des interventions non limitées dans le temps. Certains ingénieurs peuvent ainsi rester plus de quinze ans chez l'entreprise d'accueil tout en restant salariés du prestataire.

Infogérance : maintenance et gestion d'un service informatique par une société extérieure.

Auteur

  • Valérie Devillechabrolle, Sandrine Foulon