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Les mutuelles soumises à la concurrence

Dossier | publié le : 01.05.2000 | F. C.

In extremis, la France a remis à la Commission de Bruxelles un texte de projet de loi qui mettra les mutuelles en conformité avec les directives assurances… de 1992. Cependant, le Parlement ne devrait pas être saisi avant 2001.

Le feuilleton aura duré près de dix ans. Juste avant de prendre la présidence tournante de l'Union européenne, le 1er juillet prochain, la France a manifesté la volonté de régler l'épineuse question des mutuelles. Elle a remis à la Commission le texte d'un projet de loi qui mettra le Code de la mutualité en conformité avec les directives assurances de 1992. Le calendrier parlementaire étant surchargé, députés et sénateurs n'examineront pas avant l'année prochaine des dispositions qui ne vont pas manquer de bouleverser le marché de la prévoyance.

Ces dix années ont commencé par un lobbying intense. Celui de René Teulade, qui était à l'époque président de la Fédération nationale de la mutualité française (FNMF). Il bataillait ferme dans les couloirs de Bruxelles pour que le mouvement mutualiste, composante de l'économie sociale au même titre que les associations et les coopératives, obtienne un statut spécifique en Europe : la fameuse « mutuelle européenne ». Mais rien n'y a fait. L'économie l'a définitivement emporté sur le social et, en 1993, l'affaire était pliée : entre le droit des assurances et celui de la Sécurité sociale, aucun espace n'a été ménagé. Dès l'année suivante, les institutions de prévoyance ont intégré les directives assurances dans le Code de la Sécurité sociale. Quant aux mutuelles, elles ont fait traîner les choses, laissant sans réponse une mise en demeure en 1996 et un avis motivé l'année suivante. De guerre lasse, la Commission de Bruxelles a saisi la Cour de justice des Communautés européennes en mai 1998. Le gouvernement français étant menacé d'astreinte, il a donc fallu céder, après plusieurs années de tergiversations.

Une vraie révolution

La réforme du Code de la mutualité va profondément modifier le paysage mutualiste. Pour se mettre en conformité avec le droit européen, les mutuelles vont devoir limiter leurs activités à des activités d'assurance. Les œuvres sociales qu'elles gèrent actuellement (322 centres d'optique, 257 centres de santé dentaire, 43 centres médicaux…) devront être filialisées, ce qui limitera les transferts de fonds entre les activités bénéficiaires et déficitaires. Ensuite, elles vont devoir respecter des règles de sécurité plus contraignantes et pourront se réassurer pour les risques aggravés hors du réseau mutualiste, auprès de sociétés de réassurance. Enfin, pour éviter les distorsions de concurrence, les règles fiscales seront harmonisées. Les mutuelles, tout comme les institutions de prévoyance, bénéficient de sérieux avantages fiscaux. Elles n'acquittent ni la taxe de 7 % sur les contrats santé imposée aux compagnies d'assurances, ni la taxe professionnelle, ni l'impôt sur les sociétés.

Du temps, pas si lointain, de Christian Sautter, Bercy envisageait d'instituer une taxe de 2,5 à 3,5 % sur les contrats santé qui aurait mis tous les opérateurs sur un même pied. Avec Laurent Fabius, le débat revient au point de départ. « Une fiscalité zéro ne me fait pas peur », affirme Daniel Le Scornet. Le président de la Fédération des mutuelles de France estime qu'une décision de cette sorte « ne manquerait pas de cohérence, alors que l'on parle de cagnotte sociale et fiscale et que la CMU manifeste la volonté de rendre plus facile l'accès aux complémentaires santé ». Pas sûr que le Trésor accepte de se priver de telles rentrées.

Des regroupements inévitables

L'entrée des mutuelles dans le droit commun ne présente pas que des aspects négatifs. « Certaines règles de fonctionnement datent du XIXe siècle », convient Jean-Pierre Davant, l'actuel président de la FNMF. Un dépoussiérage n'est donc pas superflu. Quant aux contraintes de solvabilité, elles ne posent guère de problème aux mutuelles, qu'elles soient grandes ou petites, car elles respectent déjà des règles rigoureuses de provisionnement de leurs engagements. Au surplus, l'ouverture sur la réassurance leur permettra de diversifier et de moderniser leur offre de produits et de services. Enfin, des solutions ont été trouvées afin de préserver l'esprit mutualiste auquel les adhérents sont attachés. Malgré tout, les mutuelles auront à résoudre la quadrature du cercle. Toute la question est de savoir comment elles pourront vivre dans un univers concurrentiel tout en conservant les caractéristiques de sociétés de personnes, qui ne permettent pas d'accéder aux marchés financiers pour accroître les fonds propres et investir.

La réforme en cours aura deux conséquences majeures. Elle va accélérer le mouvement de regroupement des mutuelles professionnelles, notamment des toutes petites mutuelles d'entreprise. Il faut savoir que sur 5 500 groupements mutualistes en 1995, un peu plus d'un millier finançaient 97 % des prestations et que le seuil de rentabilité est estimé par les professionnels du secteur à 100 000 adhérents. Autant dire que l'atomisation ne peut plus durer. Déjà bousculées par l'entrée en vigueur de la CMU, les petites mutuelles ne devront leur salut qu'à des stratégies de groupe avec d'autres mutuelles ou des institutions de prévoyance. Ensuite, l'exigence de professionnalisation à laquelle toutes sont confrontées pour survivre face à des opérateurs puissants ne peut que pousser à une banalisation du secteur. À un détail près, souligne André Albert, directeur général de Prévoyance Ré : « Le réseau de proximité des mutuelles », qui constitue, selon lui, un « formidable atout ». Concilier le maintien de ces solidarités avec un niveau de performance au moins équivalent à celui d'autres opérateurs n'est pas le moindre défi qui se pose au monde mutualiste.

Auteur

  • F. C.