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Débat

Comment doit évoluer la fonction RH dans une économie mondialisée ?

Débat | publié le : 01.05.2000 |

Dans la tourmente actuelle – mondialisation, révolution technologique, accélération des fusions, pression accrue de l'actionnaire… –, la capacité d'adaptation des hommes devient un enjeu concurrentiel majeur pour les entreprises. Quelles conséquences pour le rôle des DRH ? Sur ce thème, qui sera au cœur du VIIIe Congrès mondial des ressources humaines (du 28 au 31 mai, à Paris), la réponse de deux experts et d'un praticien.

« Le DRH devra apprendre à gérer la volatilité et la diversité des compétences. »

FRANK BOURNOIS

Professeur agrégé des universités et directeur du Ciffop (DESS de gestion des ressources humaines de l'université Paris-Panthéon-Assas).

Les changements majeurs pour la fonction ressources humaines peuvent se traduire par trois mots clés : harmonisation, volatilité et diversité. Contrairement à ce que j'aurais soutenu il y a dix ans, la fonction RH, dans ses principaux outils et ses pratiques, va entrer dans une phase d'harmonisation qui se poursuivra à travers le processus d'américanisation du management.

À l'échelle mondiale, c'est la question de la contractualisation-appréciation de la performance individuelle et semi-collective qui constituera l'architecture de base des dispositifs RH. Les phénomènes de standardisation des outils de gestion seront accompagnés par les nouvelles technologies permettant de faire le point en direct sur les performances réalisées à l'échelle de la planète. Pour ce qui est des hommes, les jeunes diplômés feront de plus en plus le tour des filiales comme les compagnons faisaient le Tour de France.

La réduction de l'espace et du temps va, ensuite, modifier la contribution de la GRH. Dans une concurrence mondiale, la GRH devra prendre en compte une durée de validité de l'information de plus en plus courte et une rapidité de transmission de plus en plus rapide. Ceci a, entre autres, comme conséquence, la volatilité des compétences, prêtes à passer au service d'autres organisations, le raccourcissement de l'ancienneté des salariés au sein d'une même organisation et le besoin d'apprentissage permanent partagé par les entreprises et les salariés.

Nous sommes entrés dans l'ère du quick is beautiful plus que du small ou big is beautiful du siècle dernier. Ceci conduit à une augmentation des différences de gestion entre grandes et petites entreprises. Mais le critère de puissance de l'entreprise ne restera pas le nombre de salariés ou la hauteur des immobilisations. Les capacités de changement des hommes seront mises à l'épreuve. Ce qui différenciera l'entreprise performante, c'est une gestion par l'accélération plus que par la vitesse. D'où l'importance stratégique de l'anticipation des changements qui permet de conserver l'avance du recul. Les cadres des RH seront de plus en plus des « mailleurs » de la transversalité au sein de l'organisation. Nous nous dirigeons vers un DRH formé à la fois aux sciences sociales et aux sciences de gestion des entreprises dans le cadre d'une coopération des acteurs fondée sur le management par exception.

Enfin, nous allons assister à une segmentation croissante des populations à gérer (par domaines d'activité stratégique, par métiers, par zones géographiques, par natures du contrat de travail), pour les modes de recrutement, de formation, de carrière ou de rétribution. Le phénomène de volatilité explique le raccourcissement des échelles de raisonnement concernant les individus (carrières courtes et rajeunissement des dirigeants) sauf, peut-être, pour les hauts potentiels où des pratiques de fidélisation se développeront au-delà de l'anecdotique distribution de stock-options et de retention bonus. On entrevoit aussi les limites d'une gestion de la diversité tous azimuts : une perte de l'équité de traitement entre certains salariés, une disparition des repères identitaires de l'entreprise et une nécessité de repenser les relations sociales dans l'entreprise.

« La fonction RH devra contribuer à la reconstruction d'une vision globale de l'entreprise. »

BERNARD GALAMBAUD

Professeur à l'ESCP-EAP, directeur du mastère spécialisé en management des hommes et des organisations, directeur scientifique d'Entreprise et Personnel.

En s'adaptant à la mondialisation, les entreprises ont mis en cause le modèle de référence sur lequel elles vivaient peu ou prou. Ce modèle est celui d'une communauté humaine relativement fermée. Un salarié n'y entre pas facilement, mais, une fois entré, en ressort bien rarement. Le contrat de travail à durée indéterminée devient, de fait, un contrat à vie. Au sein de cette communauté au lien social largement psychoaffectif se développent sentiment d'appartenance, identité sociale et implication.

Mais la mondialisation a sur l'entreprise un effet d'ouverture qui va conduire notamment à un développement de l'individualisation, d'abord des rémunérations, puis des qualifications et, enfin, du devenir professionnel. Cette individualisation entraîne un changement dans l'ordre des responsabilités.

Quand un salarié est géré au sein de son entreprise, son destin est largement l'affaire de la main visible de son gestionnaire. Mais lorsque cette main visible se dérobe et que la main invisible du marché du travail prend sa place, alors la responsabilité se partage.

Il en est toujours ainsi sur le marché. Ce mouvement d'individualisation est accompagné d'une survalorisation du contrat individuel et d'une dévalorisation de la régulation collective.

Ce qui est en cause, c'est en fait la nature de l'entreprise. En s'ouvrant, reste-t-elle une part de société ou devient-elle un simple système de production de valeurs ? Ce qui fait la société, c'est que demeurent, pour partie au moins, des liens prescrits. La société ne peut être faite que de seuls liens librement consentis. La mondialisation est accompagnée d'une poussée libérale radicale. Or nous savons bien que le libéralisme radical désocialise l'économie. Il fait éclater la réalité : l'économique d'un côté et le social de l'autre. Bref, c'est l'abandon de l'ambition majeure de la gestion des ressources humaines, ambition qui est justement de réussir l'intégration socio-économique.

Le comportement des salariés est largement mimétique. Le salarié fidèle, le cadre légitimiste sont des produits de l'entreprise communautaire. Une entreprise, plus ouverte, produira des salariés adoptant d'autres comportements.

Certains salariés en situation de domination sur le marché du travail développeront des stratégies individuelles alors que d'autres, dominés, développeront des sentiments d'impuissance et, de temps à autre, des pulsions de révolte. Tout cela constituera les nouveaux défis de la fonction ressources humaines. Face à eux, elle devra plus fortement que par le passé affirmer la responsabilité sociale de l'entreprise alors que plus d'un manager voit dans cette exigence une limitation à son pouvoir de gestion. Elle devra aussi combattre les forces centrifuges que les nouvelles organisations favorisent. Elle devra enfin contribuer de façon majeure à la reconstruction d'une vision globale de l'entreprise, de son fonctionnement et de ses enjeux.

« Le DRH verra sa fonction prendre une dimension stratégique supplémentaire. »

BERNARD NIGLIO

Président de l'Association nationale des directeurs et cadres de la fonction personnel (ANDCP).

De plus en plus, la dimension internationale de la fonction RH va s'accroître sous la double influence de la globalisation des marchés et de la mobilité des salariés, en particulier des experts.

Comment attirer et retenir ces derniers, surtout si le marché de l'emploi continue à s'améliorer, et alors que la tentation sera de plus en plus grande d'émigrer vers des pays aux conditions de travail et aux rémunérations attractives ? Il appartiendra au DRH de concevoir des packages globaux attractifs et d'anticiper les flux. Il devra également constituer des équipes plurinationales efficaces et manager les différences culturelles tant pour l'intégration des salariés que pour l'acceptation de l'entreprise par le pays d'accueil. Les nouvelles technologies, quant à elles, vont transformer la fonction à deux titres. Tout d'abord, la communication avec les salariés sera à la fois facilitée et accélérée, mais elle sera aussi sans doute moins personnalisée. Il faudra également tenir compte du fait qu'un message diffusé dans le monde entier n'est pas reçu de la même façon par un Américain, un Asiatique ou un Européen. Ensuite, l'utilisation des nouvelles technologies en interne par les salariés et les organisations syndicales devra être conforme aux règles légales ou internes. C'est encore un autre défi pour le DRH, qui devra légiférer dans la plus grande transparence. Bien d'autres challenges attendent encore le DRH. On peut citer, entre autres, la mise en place ou le développement de l'actionnariat salarié. Il s'agit là d'une double opportunité puisque cet actionnariat peut améliorer le dialogue social et permettre d'initier des systèmes de rémunération globale. Dans ce domaine, tout ou presque est à inventer, des systèmes de rémunération non monétaire ou différée – à ce sujet, la gestion des retraites sera une préoccupation grandissante – au concept de reconnaissance globale, un instrument non négligeable de motivation.

En effet, le chef d'entreprise demandera de plus en plus à son DRH de motiver les salariés pour contribuer davantage encore à la performance économique de l'entreprise. Motiver, mais également anticiper et innover. On le sollicitera davantage comme « boîte à outils » et « boîte à idées ». À lui de savoir faire émerger les initiatives des uns et des autres dans un vrai climat de confiance.

Mission impossible ? Le DRH doit s'attendre que sa fonction prenne une dimension stratégique supplémentaire, à la fois au travers de tous les aspects évoqués, mais aussi dans les changements d'organisation des entreprises, gestion des 35 heures y compris. Bien sûr, il restera toujours un acteur clé dans ses missions plus traditionnelles, mais il devra aussi savoir gérer d'autres problèmes vécus au quotidien, comme le harcèlement moral, le harcèlement sexuel ou les discriminations à l'embauche… Alors, le DRH de demain sera-t-il un stratège, comme des études prospectives le laissent entendre ?

La réponse est majoritairement positive, mais il reste encore un long chemin à parcourir. Entre les aspirations des DRH et les réalisations des entreprises, il y a dans certains cas une distance et dans d'autres un vrai fossé qu'il nous appartient de combler. Au plus vite.