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Vie des entreprises

Non-diplômés s’abstenir

Vie des entreprises | Zoom | publié le : 01.02.2011 | Sarah Delattre

Des métiers qui se professionnalisent, d’autres qui deviennent plus techniques ou plus encadrés… Difficile de décrocher un job sans diplôme. Surtout en période de chômage massif.

Recherche manutentionnaire, bac souhaité ; recrute conducteurs de ligne, titulaires d’un titre professionnel en conduite d’installation de machines automatisées ; garage en quête d’un carrossier, bac professionnel exigé…

Des petites annonces de ce genre fleurissent sur les vitrines des agences de travail temporaire et de Pôle emploi. En période de chômage massif surtout, les exigences des employeurs montent d’un cran, sans nécessairement que les postes proposés le nécessitent. « Dans le secrétariat, pour faire de la simple saisie, il faut au minimum un BTS aujourd’hui », remarque Alaoui Moumini, conseiller Pôle emploi à la cité des métiers de Paris.

Selon l’Insee, dans un secteur comme la transformation de la viande, le pourcentage d’ouvriers ayant un niveau inférieur au CAP-BEP a baissé de 43,5 % au milieu des années 90 à 36,2 % dans la période 2006-2008. Quant à l’industrie automobile, elle n’employait plus, durant cette même période, que 13,3 % d’ouvriers non qualifiés contre 18 % au milieu des années 90.

Certes, le niveau de formation initiale a fortement progressé. Plus de 40 % des jeunes sont diplômés de l’enseignement supérieur, alors qu’ils n’étaient que 15 % à la fin des années 70. Reste que la disparition d’emplois non qualifiés dans le BTP, l’industrie, les services rend d’autant plus difficile l’insertion professionnelle des quelque 123 000 jeunes qui quittent l’école sans diplôme. D’ailleurs, selon l’Insee, en 2009, la moitié des jeunes sortis sans diplôme du système éducatif durant les quatre années précédentes était au chômage.

Entre impératifs de professionnalisation, contraintes réglementaires et complexité croissante des métiers, les conditions d’entrée se durcissent, y compris pour des tâches d’exécution.

Une professionnalisation, gage d’un service de qualité. L’une et l’autre incarnent deux générations d’aide à domicile. À 57 ans, Danielle Cervelle, employée à l’Association d’aide aux personnes à domicile de Nantes depuis neuf ans, puise dans son expérience pour travailler auprès des personnes âgées. « J’ai d’abord élevé mes quatre enfants, puis je me suis investie dans la vie associative avant d’être responsable d’une boutique de gestion. Quand ma belle-mère est tombée malade, je l’ai gardée à mon domicile pendant quelques mois. Cet événement m’a donné envie de m’orienter vers l’aide aux personnes âgées. J’ai appris le métier sur le tas, en suivant régulièrement des formations d’aide à la toilette ou d’aide à l’alimentation, par exemple. »

Sandrine Gourdon, employée par la même association, s’est quant à elle reconvertie à 35 ans, après avoir décroché son diplôme d’État d’auxiliaire de vie sociale (DEAVS) et suivi cinq cents heures d’enseignement théorique et cinq cent soixante heures de pratique, dispensées en formation continue. « Avant, j’étais agent d’entretien dans une clinique. À l’issue de mon congé parental, après la naissance de mon deuxième enfant, je n’ai pas eu envie de retourner dans le nettoyage. Mais je ne voulais pas m’occuper de personnes fragiles sans un minimum de connaissances », explique-t-elle. Sous l’aiguillon de la loi de cohésion sociale de 2005 qui a voulu doper les créations d’emplois dans cette filière, le secteur des services à la personne (qui couvre l’aide aux personnes fragiles, le soutien scolaire, le ménage à domicile, les petits travaux, etc.) a cherché, à grand renfort de diplômes, à professionnaliser ses bataillons d’aides-ménagères. Une terminologie tombée en désuétude au profit de celle d’auxiliaire de vie. Tout un symbole qui participe aussi de la construction d’une identité professionnelle.

Selon une étude du Cereq publiée en mai 2010, « depuis une trentaine d’années, le développement de l’aide à la personne est allé de pair avec la multiplication du nombre de diplômés dans ces professions. La professionnalisation qui en découle serait en effet le gage de l’émergence de services de qualité ». S’est ensuivi un déluge de titres. Dans un rapport remis en septembre 2009 au Premier ministre, le président de la Commission nationale de la certification professionnelle, George Asseraf, fervent partisan d’une simplification de l’offre dans le champ des services aux personnes fragiles, en recense pas moins de 19, de niveau V, qui diplôment entre 90 000 et 100 000 personnes par an. Le BEP Carrières sanitaires et sociales fait figure de filière d’excellence, suivi du CAP Petite enfance, du certificat de qualification professionnelle (CQP) Assistant de vie ou du DEAVS. Et la profession étudie la possibilité de créer un bac pro spécialisé. « La branche réfléchit à de nouveaux métiers qui impliquent de poursuivre le processus de professionnalisation, indique Guy Loudière, directeur de formation au sein de la Fédération du service aux particuliers. Nos clients sont demandeurs de prestations de qualité. Encore faut-il qu’ils soient prêts à en payer le prix. » Car la détention d’un diplôme peut se traduire par un écart de salaire de 30 %.

En quelques années, le pourcentage d’employées non qualifiées est tombé de 80 % à 60 % environ. Reste que les belles intentions se heurtent aux moyens des collectivités territoriales. « Le secteur est obligé de revoir ses ambitions à la baisse en termes de professionnalisation car les départements, qui sont les principaux financeurs, nous demandent de contrôler nos prix de revient », observe Annie Morel, chargée de communication à l’association du service à domicile ADMR.

“Maintenant, la grande distribution va exiger un bac pro pour mettre les produits en rayon !”

Une réglementation plus contraignante. Impossible aujourd’hui de financer ses études en étant simple veilleur de nuit ou de jouer les gros bras, ne serait-ce que le temps d’un concert, sans avoir attesté de ses aptitudes professionnelles au moyen d’un CQP de branche ou d’une certification inscrite au registre national, qui en compte pas moins d’une trentaine. Car le renforcement de la législation, depuis 2003 notamment, durcit les conditions d’exercice des activités privées de sécurité liées à la surveillance et au gardiennage, au transport de fonds et à la protection physique des personnes.

En réponse, la branche s’est dotée de trois CQP spécialisés (Agent de prévention et de sécurité, Agent de sécurité cynophile, Agent de sécurité aéroportuaire). Le principal d’entre eux, celui d’Agent de prévention et de sécurité, qui porte notamment sur la déontologie, le cadre légal et la gestion des conflits, devrait comporter deux modules supplémentaires (événementiel, palpation de sécurité) d’ici à juin. « Avant, la sécurité privée, où des savoir-être suffisaient, représentait un gisement d’emplois pour nos publics. Mais aujourd’hui, les employeurs exigent souvent en plus du CQP obligatoire une formation incendie. Les nouvelles procédures d’autorisation préfectorale, plus longues et fastidieuses, découragent les bonnes volontés », observe Samir Hariche, directeur de la mission locale à Bondy.

Depuis 2010, les conditions de délivrance de la carte professionnelle sont plus draconiennes. « Aujourd’hui, pour obtenir sa carte professionnelle auprès des autorités préfectorales, le candidat doit avoir reçu une formation préalable, indique Philippe Maquin, président de l’Union nationale des acteurs de formation en sécurité. L’État, qui confie au privé ses missions régaliennes, a durci les obligations en matière de moralité et de professionnalisme. »

Une technicité accrue dans nombre d’activités. Autre obstacle à l’embauche pour les non-qualifiés, le recours aux technologies s’est accru dans la mécanique auto avec l’électronique embarquée, dans la comptabilité, la gestion et le secrétariat avec l’utilisation d’une vaste panoplie de logiciels, et même le commerce et la vente. Ce qui hypothèque l’insertion professionnelle des titulaires de CAP et de BEP. « Les sortants de niveau bac et BTS des spécialités comptabilité-gestion, secrétariat-bureautique, commerce-vente ou moteurs-mécanique auto s’insèrent à court terme dans un nombre limité de métiers. […] Les possibilités d’insertion sont de moins en moins nombreuses pour les jeunes de niveau inférieur », analyse l’Observatoire régional de l’emploi et de la formation d’Ile-de-France. « Maintenant, la grande distribution va exiger un bac professionnel pour mettre les produits en rayon ! » raille Samir Hariche.

Dans le bâtiment, les PME sont confrontées à des évolutions techniques qui exigent un personnel plus qualifié. Les « maisons vertes », notamment, imposent l’usage de nouveaux matériaux et demandent des compétences différentes. Un électricien devra se former au photovoltaïque, un maçon à des techniques de pose modernes…

Réglementation et normes de sécurité pèsent également. « Le cahier des charges à respecter pour la réalisation d’ouvrages, par exemple, nous demande de préciser notre méthodologie, le matériel utilisé, le profil de nos salariés, observe Éric Bernaud, président de la SAS Bernaud Bâtiment, entreprise familiale spécialisée dans le gros œuvre qui emploie une centaine de salariés à Valence. Les contraintes de productivité se sont traduites par une mécanisation des tâches à faible valeur ajoutée et font progressivement disparaître les plus faibles niveaux de qualification. Aujourd’hui, sur un chantier, il n’y a plus qu’un manœuvre. Et encore faut-il qu’il sache nettoyer le chantier selon les normes HQE ! » Une exigence qui ne plaide pas en faveur des moins qualifiés.

Horizon bouché

Sans grande surprise, dans leur rapport prospectif sur les métiers en 2015, la Dares et le Conseil d’analyse stratégique prédisent un horizon bouché pour les jeunes sans qualification. La tertiarisation de l’économie va se traduire par une polarisation des qualifications, les familles professionnelles qui créeront le plus d’emplois étant celles de cadres et celles d’employés peu qualifiés, dans les services aux particuliers, la santé et l’action sociale, la logistique et le commerce. Malgré les efforts de professionnalisation de certains métiers, de nombreux postes d’assistants maternels, d’aides à domicile, d’agents d’entretien, de gardiens d’immeuble, etc., resteront accessibles aux employés, en majorité des femmes, peu qualifiés.

Dans l’industrie, la plupart des départs en fin de carrière d’ouvriers non qualifiés ne seront pas remplacés et les débouchés traditionnels des hommes peu diplômés continueront à se réduire. Les emplois d’exécution exigeant force physique et capacité de résistance dans le travail des métaux ou les ateliers de mécanique seront de moins en moins nombreux. Parmi les principaux métiers traditionnellement dévolus aux jeunes hommes peu diplômés, ceux qui continueront à offrir des opportunités d’emploi sont la manutention, la sécurité des biens et, dans une moindre mesure, les postes de manœuvre sur les chantiers. De ce fait, le risque de chômage chez les jeunes hommes de faible niveau de formation restera vraisemblablement très élevé.

Auteur

  • Sarah Delattre