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Politique sociale

L’insertion, secteur fragile

Politique sociale | publié le : 01.02.2011 | Anne Fairise

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Contrats aidés CAE dans le secteur non marchand

Crédit photo Anne Fairise

Alors que, dans une logique de performance, l’État leur en demande plus, les structures d’insertion par l’activité économique ne voient pas avancer la réforme de leur financement. Rendue plus urgente par la crise.

De la haute voltige ! »Anne Seyller, directrice de l’association Libre Objet, se souviendra longtemps de ce dernier trimestre 2010 qui lui a valu sueurs froides et nuits blanches. Alors que se profilait le « coup de feu » du marché de Noël de Strasbourg, la plus haute période d’activité procurant 60 % du chiffre d’affaires de son atelier d’insertion, celui-ci ne fonctionnait plus… qu’aux deux tiers de son effectif. Malgré les engagements pris dans la convention annuelle avec les services de l’État. Rue Thiergarten, seules 12 personnes en contrat d’insertion – jeunes en difficulté, chômeurs de longue durée et bénéficiaires du RSA – reproduisaient en petites séries des créations d’artistes, sous l’œil de l’encadrant technique, contre 18 habituellement. « Un effectif insuffisant pour assurer la production et la vente sur le marché cinq semaines durant », calcule Anne Seyller, qui a tremblé pour la survie de Libre Objet.

La faute à… la pénurie de contrats aidés ! L’État avait pourtant pris en compte l’enracinement de la crise en 2010, budgétant sur le plan national 400 000 contrats d’accompagnement dans l’emploi (CAE) pour le secteur non marchand, soit 74 % de plus qu’en 2009 ! Mais il a mal géré l’enveloppe, sans sécuriser le volume nécessaire aux chantiers d’insertion accueillant les plus éloignés de l’emploi. Dès octobre, les Direccte, qui pilotent en région les politiques des ministères de l’Économie et du Travail, gelaient l’attribution des CAE. Donnant un coup d’arrêt aux recrutements et aux renouvellements de contrat des salariés en parcours d’insertion, obligeant les structures à reporter la réalisation de chantiers, à mettre des permanents au chômage technique en raison de la décroissance des équipes…

Un stop-and-go ingérable pour les employeurs. De quoi « remettre en cause l’équilibre économique, déjà fragile, des chantiers et miner l’offre d’insertion », déplore Sandrine Bianchi, déléguée régionale de l’Ursiae, qui, en Alsace, regroupe toutes les structures d’insertion par l’activité économique (Siae), ces employeurs sociaux mal connus ayant un pied dans le secteur non marchand et un autre dans le privé (voir définition page 27). Les chiffres se passent de commentaires. Fin novembre, 550 postes étaient vacants dans les chantiers d’insertion d’Alsace, où le ras-le-bol a conduit 2 000 personnes dans la rue le 30 novembre à Strasbourg. Du jamais-vu ! En Bretagne, 800 postes faisaient défaut, selon le réseau Chantier école. La région Poitou-Charentes en comptabilisait 350…

En 2007, le Conseil national de l’insertion par l’activité économique pointait l’instabilité et la complexité du financement, préjudiciables au secteur

Directives préfectorales. Il y a bien eu quelques rallonges in extremis : avant le remaniement ministériel de novembre 2010, l’ex-secrétaire d’État à l’Emploi Laurent Wauquiez s’était engagé auprès des réseaux d’insertion à ce que la priorité soit donnée à la reconduction de contrats aidés dans les chantiers d’insertion, à hauteur de 10000, jusqu’à la fin 2010. Mais, dans certaines régions, les directives préfectorales ont apporté d’amères surprises, qu’elles entérinent une baisse de la prise en charge habituelle des contrats (à 105 % du smic brut) ou du volume horaire des contrats aidés à vingt heures. « Cela pose des problèmes pour intégrer la formation au temps de travail. Sans compter que les salariés en insertion, en deçà de vingt-six heures hebdomadaires, se retrouvent sous le seuil de pauvreté ! L’État en fait des travailleurs pauvres », vitupère Philippe Louveau, délégué national de Chantier école. « Nous n’avons jamais baigné dans les certitudes. Mais c’est de pire en pire. En Alsace, en 2010, nous avons eu quatre arrêtés préfectoraux révisant les critères d’entrée dans les contrats, puis le taux de prise en charge, puis le volume horaire… Il est difficile dans ces conditions de se concentrer sur les parcours des salariés en insertion ou sur le développement commercial, puisque nous faisons les deux en tant qu’entrepreneurs sociaux », reprend Anne Seyller, de Libre Objet, lassée de jouer en permanence les équilibristes.

L’année 2011 pire que 2010 ? Dans les chantiers d’insertion, c’est l’inquiétude qui prévalait en ces premiers jours de janvier. D’autant qu’après une année 2010 exceptionnelle pour le nombre de contrats aidés mobilisés dans le secteur non marchand, les restrictions budgétaires ont conduit l’État, en 2011, à diminuer leur nombre de 15 %, à 340000. Et, même si Laurent Wauquiez a promis que les chantiers d’insertion seraient épargnés par cette baisse, avec un volume reconduit de 65 000 CAE, leur « sanctuarisation » n’est pas acquise. C’est d’ailleurs l’une des « mesures d’urgence » revendiquées par tous les réseaux d’insertion, qui font front commun et ont demandé à rencontrer le nouveau ministre du Travail, Xavier Bertrand. « Nous réclamons la sanctuarisation de 65 000 contrats aidés, à vingt-six heures hebdomadaires a minima », précise Philippe Louveau. Un détail qui n’a rien d’anodin, les réseaux craignant « un désengagement de l’État qui ne dit pas son nom », comme en 2010. La circulaire du 20 décembre dernier, qui donne le la pour la programmation des contrats aidés en 2011, inquiète : si elle assure un taux spécifique de prise en charge des CAE accordés aux chantiers à hauteur de 105 % du smic brut, elle demande a contrario aux préfets de « respecter strictement une durée hebdomadaire moyenne de 21,9 heures […], ce qui signifie qu’une majorité de CAE doit être prise en charge sur la base d’une durée de vingt heures ». Sic.

Mais le malaise est plus profond pour les réseaux de l’insertion engagés par l’État dans un plan de modernisation à la suite du Grenelle de l’insertion de 2008. À commencer par la réforme des modalités de conventionnement. Oubliée, la logique administrative ; place au contractuel ! Depuis 2009, la signature de la convention annuelle entre l’État et les quelque 5 300 structures d’insertion exige qu’au préalable ait été mis en place un « dialogue de gestion », qu’aient été négociés des objectifs opérationnels (60 % de « sorties dynamiques ») et fixés des indicateurs permettant d’apprécier les résultats. « Cette réforme a été assortie d’exigences fortes des pouvoirs publics sur les projets d’insertion, la professionnalisation du personnel,l’évaluation des résultats sur la base des actions menées à l’issue du parcours. Alors que l’efficacité de l’insertion par l’économique ne se résume pas au simple retour à l’emploi mais se mesure aussi à la prise en charge plus globale des problèmes de logement, de santé, etc.! Les structures ont joué le jeu. Mais elles ne voient rien venir de concret quant à la réforme promise des financements qui doit sécuriser leurs modèles », déplore Sandrine Bianchi, de l’Ursiae d’Alsace.

Rien de concret… hormis une expérimentation très partielle et des groupes de travail sur les modèles économiques des structures de l’IAE, la gouvernance. Initiée par l’État désireux de mettre en place une « aide au poste modulable et encadrée » (l’aide au poste existant actuellement dans les entreprises d’insertion est forfaitaire et donc indépendante de l’évolution de l’activité), l’expérimentation, qui avait pour objectif de tester un outil d’analyse des coûts de l’insertion dans les différentes structures, reste inaboutie. Lancée début 2010 dans le Doubs, le Haut-Rhin, la Gironde et le Rhône, elle a simplement révélé la crise du secteur et son sous-financement chronique : 53 % des structures y ayant participé se sont révélées en déficit ! Une caractéristique connue de longue date. « La conduite des missions de l’IAE repose de plus en plus sur la capacité propre des structures à les assumer financièrement. Les structures sont de plus en plus cofinanceurs par le développement économique », commente Alain Ribager, directeur de l’Union régionale des structures d’insertion par l’activité économique de Poitou-Charentes.

Un financement instable et complexe. En 2007, déjà, dans un rapport qui a fait date – intitulé « Lever les obstacles aux promesses de l’IAE » –, le Conseil national de l’insertion par l’activité économique, alors présidé par Claude Alphandéry, avait listé et expliqué les difficultés du financement de l’IAE, hétérogène selon les structures (contrats aidés dans les chantiers d’insertion ou aide au poste dans les entreprises d’insertion). Un « financement dont l’instabilité et la complexité sont préjudiciables au développement du secteur », constatait-il, en rappelant les différents étages de l’édifice. Une dotation publique « dont le volume ne répond pas aux capacités d’activité des structures », un « financement des collectivités territoriales inégal suivant les territoires et le type de collectivité », des fonds communautaires en berne et, cerise sur le gâteau, « aucun mode de gouvernance partagée entre les différents niveaux de puissance publique concernée par la lutte contre les exclusions »: État, régions, départements, intercommunalités, communes…

Depuis lors, les réseaux d’insertion réclament toujours une revalorisation de l’aide au poste des entreprises d’insertion – qui n’a pas évolué depuis 2002, alors que le smic a été réévalué de 34 % dans la même période –, un déplafonnement du financement de l’accompagnement pour les associations intermédiaires, etc. Coût estimé : 100 millions d’euros, autour de 15 % du budget de l’État pour l’insertion. « Avant toute réforme globale, il faut d’abord sécuriser l’existant », plaide Florence Lecluse, du réseau Coorace, qui regroupe les associations intermédiaires. Il y a urgence pour l’Ursiae d’Alsace : « La crise de 2009 a révélé la fragilité du secteur. » « C’est une demande anachronique en pleine restructuration budgétaire, commente un haut fonctionnaire du ministère du Travail. De tous les outils de la politique de l’emploi, les Siae sont les seules à salarier leur public. Elles doivent faire la preuve de leur efficacité dans le placement si elles veulent continuer à être financées. » Chose certaine, en attendant d’obtenir un geste fort de l’État, les Siae risquent de s’opposer aux « contrats de performance ». Autre facette de la réforme de gestion voulue par l’État, qu’il souhaite mettre en place dès 2011. Autant de tensions dont l’offre d’insertion risque, au bout du compte, de pâtir. Un choix très politique à l’heure où le taux de chômage reste au plus haut, à 9,3 %.

Bertrand Martinot
Délégué général à l’emploi et à la formation professionnelle au ministère du Travail

Les contrats aidés pour les chantiers d’insertion seront-ils sanctuarisés en 2011 ?

Comme le précise la circulaire sur la programmation des contrats aidés en 2011, le nombre de recrutements en CAE dans les chantiers d’insertion « ne saurait être reconduit systématiquement à l’identique ». Leur prescription dépendra des objectifs fixés dans les conventions annuelles et sera corrélée aux résultats en matière d’insertion durable dans l’emploi. Cela n’empêche pas les services de l’État d’être attentifs aux chantiers d’insertion : fin 2010, le réabondement de l’enveloppe CAE visait les chantiers d’insertion, les écoles et les recrutements d’adjoints de sécurité. Par ailleurs, je confirme que les crédits ouverts en loi de finances permettent de financer un volume de CAE dans les ateliers et chantiers d’insertion similaire à l’enveloppe 2010.

Quelle réponse faites-vous aux réseaux réclamant des mesures financières d’urgence ?

Je leur rappelle qu’en dépit de la baisse de 5 % des crédits d’intervention de l’État en 2011, les crédits pour l’IAE (650 millions d’euros par an) ont été préservés. Pour garantir l’avenir, les spécificités du modèle économique des structures de l’IAE doivent être mieux qualifiées : quel est le coût réel de l’insertion ? qui le finance ? pour quels résultats mesurables ? Le Conseil national de l’insertion par l’activité économique s’en est saisi avec raison.

À quand la réforme du financement ?

Une réforme simple et efficace pour des milliers de Siae, dans un contexte où la recherche de performance est accrue pour des financements publics à maîtriser, est un vrai défi. Le contrat avec l’IAE doit en effet être revisité et conforté, et les acteurs ont demandé qu’on prenne le temps. Nous travaillons avec les réseaux à la mise en œuvre d’un contrat de performance en 2011. J’attends beaucoup de ces évolutions.

Propos recueillis par A.F.

Siae

Près de 5 300 structures d’insertion par l’activité économique, selon la Dares, ont embauché en 2006 en France environ 253 000 personnes en grande difficulté (+ 10 % par rapport à 2005), avec l’appui de 17 000 salariés encadrants (équivalent temps plein). Nées il y a trente ans face à la montée du chômage de masse, les Siae allient travail social et production économique. On distingue les Siae produisant des biens et des services marchands ou non : entreprise d’insertion, régie de quartier, chantier d’insertion ; et celles mettant à disposition du personnel dans le privé : entreprise de travail temporaire d’insertion, association intermédiaire, groupement d’employeurs.

Auteur

  • Anne Fairise