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Politique sociale

Fiat sème la zizanie dans les syndicats italiens

Politique sociale | publié le : 01.02.2011 | Philippe Guérard

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Fiat sème la zizanie dans les syndicats italiens

Crédit photo Philippe Guérard

Le patron de Fiat veut mettre au pas les ouvriers de ses sites italiens. Il a réussi le tour de force de faire accepter sa réorganisation par tous les syndicats sauf un. Résultat : une CGIL isolée et divisée.

En prenant les rênes de la Confédération générale italienne du travail (CGIL), début novembre, Susanna Camusso savait que sa tâche serait ardue.Lavoilà servie, et plus tôt que prévu, la première entreprise du pays, Fiat, lui donnant vraiment du fil à retordre depuis trois mois. Non seulement à l’échelle nationale, où le divorce est consommé avec les autres confédérations syndicales, mais également au sein même de la CGIL, où la fédération de la métallurgie (Fiom) mène une fronde sans précédent.

Il faut dire que le constructeur automobile contrôlé par la famille Agnelli est en train de réussir à passer en force pour imposer de nouvelles règles d’organisation du travail dans ses usines. Son patron, Sergio Marchionne, reproche aux ouvriers italiens leur manque de productivité : chacun d’entre eux fabrique à peine 30 véhicules par an alors qu’au Brésil un ouvrier maison est capable d’en fabriquer 80 et en Pologne environ 100.

Pour combler le « retard », il a ainsi décidé de réduire la durée des repos, d’annuler parfois la pause-déjeuner, d’augmenter les contingents d’heures supplémentaires et de sanctionner l’absentéisme. « On ne tient pas compte de la pénibilité du travail, c’est le retour aux années 50 », dénonce Susanna Camusso. En échange, l’entreprise s’engage à augmenter les salaires à due proportion du travail fourni, soit plus de 250 euros par mois. Officiellement, un salarié qui touche actuellement 23 500 euros brut par an pourrait gagner demain jusqu’à 28 200 euros. Le constructeur a surtout promis d’investir la somme colossale de 20 milliards d’euros sur cinq ans pour moderniser les chaînes et relancer l’activité. Bref, un grand bouleversement, mené au nom de la compétition internationale, alors qu’approche à grands pas la fusion avec l’américain Chrysler. Ce faisant, Sergio Marchionne a trouvé la méthode pour isoler la CGIL, première organisation représentative des salariés du groupe.

Référendum des salariés. Comme au printemps dernier dans l’usine de Pomigliano D’Arco, près de Naples (5 200 salariés), puis cet automne sur le site de Mirafiori, à Turin (5 800 salariés), les syndicats se voient soumettre un projet d’accord par la direction. Des négociations s’ouvrent. À l’exclusion de la Fiom, toutes les organisations signent le texte. Un référendum est ensuite organisé auprès des salariés, pour validation. À Naples, les intéressés ont dit oui à 63 % le 22 juin. À Turin, le oui a gagné le 14 janvier, avec 54 % des voix. Fiat met alors sur pied une société locale, propre à l’usine, afin de réembaucher les personnels sous de nouveaux contrats. Et le tour est joué, en dérogation totale avec la convention collective de la métallurgie. « Marchionne est autoritaire et antidémocratique », enrage Susanna Camusso.

Il faut dire que ceux qui ont voté non au référendum et qui refusent de passer sous les fourches caudines du nouveau contrat se voient menacés de licenciement. Quant au syndicat non signataire, il n’a plus le droit à aucun représentant dans l’usine. Estimant inconcevable de ne plus avoir voix au chapitre chez Fiat, Susanna Camusso a donc proposé à la Fiom une signature « technique » des accords qui permette, au moins, de continuer à avoir des délégués. Mais la Fiom a maintenu sa position jusqu’au-boutiste, organisant le 28 janvier une grève générale dans toutes les entreprises de la métallurgie. « Signer le texte de Fiat, c’est comme si les habitants de Turin acceptaient de sortir de l’Italie au moment même où on célèbre le 150e anniversaire de l’unité du pays », estime son leader, Maurizio Landini. Du coup, Susanna Camusso accuse la Fiom d’avoir échoué à faire plier Fiat et lui reproche de ne pas avoir empêché l’organisation des référendums. « Il va falloir en parler entre nous ; je pense qu’un syndicat ne peut se contenter de s’opposer s’il souhaite représenter les salariés. Quand on essuie une défaite, il faut identifier les erreurs qui ont pu être commises. »

Une manière de régler ses comptes avec la métallurgie. C’est à la Fiom que Susanna Camusso a commencé sa carrière syndicale en 1977. D’abord à Milan, puis à Rome, comme secrétaire nationale. Mais, au bout de vingt ans, elle a été écartée, ses troupes la jugeant trop « molle ». Aujourd’hui, elle a beau être revenue par la grande porte, le bras de fer continue, au point que certains évoquent une prochaine « scission ».

La patronne de la CGIL accuse sa fédération de la métallurgie d’avoir échoué à faire plier Fiat

À la botte du patronat. Des ennemis, la CGIL en a aussi à l’extérieur. En clair, les deux confédérations d’obédience chrétienne qui consentent à composer avec Fiat – la Confédération italienne des syndicats de travailleurs (CISL) de Raffaele Bonanni et l’Union italienne du travail (UIL) de Luigi Angeletti – ainsi que les syndicats ayant accepté les propositions récentes de Sergio Marchionne, l’Union générale du travail (UGL) de Giovanni Centrella, les autonomes de la métallurgie (Fismic) et jusqu’aux comités de base (Cobas), ces organisations créées à la fin des années 80 par rébellion contre le système confédéral. « Je crois qu’ils sous-estiment tous l’impact de ce qui se passe chez Fiat, glisse Susanna Camusso, ils sont à la botte du patronat et je voudrais bien qu’ils m’expliquent ce qu’ils pensent de ces accords qui prévoient l’exclusion d’un syndicat. » Réponse de son adversaire numéro un, Raffaele Bonanni : « Les travailleurs ont besoin de représentants qui acceptent de relever les grands défis de l’avenir. Le bien commun s’obtient en écoutant chacun, tout le monde doit participer à la construction des accords. »

Moins diplomate, Bruno Vitali, secrétaire national de la fédération de la métallurgie de la CISL, n’en finit pas de pester contre le refus persistant de la Fiom de reconnaître la validité des référendums mais s’avoue désabusé : « Il est inutile de s’écharper sur les règles de la démocratie et il vaut mieux ne plus prêter le flanc à des polémiques stériles. » Même sentiment à l’UGL. Aux yeux du secrétaire national, Giovanni Centrella, « les promesses de Marchionne en termes d’investissement se font attendre, c’est bien pour cela qu’à Naples comme à Turin on aurait mieux fait de tous rester autour de la table et de négocier pour assurer un avenir, non pas à une seule usine, mais à tout le groupe en Italie ». Une allusion à l’usine de Termini Imerese, près de Palerme (1 300 salariés), qui fermera définitivement à la fin de l’année. Et à celles de Melfi (5 200 salariés) et Cassino (4 300 salariés), dont les perspectives sont plutôt floues. « Le manque de responsabilité de la Fiom est en train de donner à Fiat un alibi dangereux pour quitter l’Italie, une éventualité qui serait un malheur pour des milliers de salariés et pour l’économie du pays », acquiesce le responsable du syndicat UGL de la métallurgie, Antonio D’Anolfo.

Particulièrement pessimiste, l’économiste et sociologue Francesco Garibaldo, proche de la CGIL, ne voit pas d’issue. « À cause de la gravité de la crise qu’on vient de connaître, il me semble qu’on touche le fond, les salariés n’ont plus les moyens de s’opposer à quoi que ce soit. » D’après lui, « le monde de l’entreprise nourrit de plus en plus d’inégalités, il est de moins en moins démocratique, et restreint chaque jour davantage l’espace de discussion pouvant ouvrir à des choix alternatifs ».

Les trois principaux syndicats italiens

Créée en 1906, la CGIL est la plus ancienne confédération de salariés d’Italie. Elle revendique la première place dans le pays, avec 6 millions d’adhérents. En novembre 2010, Susanna Camusso (55 ans), nouvelle secrétaire générale, a succédé à Guglielmo Epifani.

La principale concurrente de la CGIL, la CISL, a vu le jour en 1950. Elle est le fruit de l’éclatement de la CGIL après la guerre et affiche 4,5 millions d’inscrits. Son secrétaire général, Raffaele Bonanni (61 ans), est en poste depuis avril 2006. Vient enfin l’UIL, issue elle aussi de la CGIL en 1950, qui compte 2,2 millions d’adhérents et dont le leader est Luigi Angeletti (61 ans), depuis juin 2000.

Auteur

  • Philippe Guérard