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Une loi attaquée mais confortée

Dossier | publié le : 01.02.2011 | Grégory Danel, Sarah Delattre, Sabine Germain

Depuis l’entrée en vigueur de la loi du 20 août 2008, qui modifie en profondeur les conditions de la représentativité syndicale, le contentieux grossit. Sans, pour autant, mettre cette loi en péril. Ses opposants les plus farouches commencent à l’admettre.

En dix-huit mois, plus de 50 arrêts ont été rendus par la Cour de cassation : « C’est considérable, et même hors du commun en un laps de temps aussi court », admet Laurence Pécaut-Rivolier, magistrate à la chambre sociale*. Mais cela ne met clairement pas la loi du 20 août 2008 en danger. « Au contraire, c’est une façon d’installer ce texte qui bouleverse le socle de la représentativité syndicale. » Car, à ses yeux, « cette loi généraliste méritait d’être clarifiée sur quelques points ». Discours diamétralement opposé du côté de Force ouvrière, qui n’a jamais caché son opposition à cette loi « destinée à recomposer le paysage syndical autour de deux organisations, la CGT et la CFDT, estime René Valladon, secrétaire confédéral. Je doute de la capacité du gouvernement à présenter, comme prévu, un bilan objectif de la mise en œuvre de cette loi en 2013, à l’issue de la période transitoire. C’est une usine à gaz qui ne peut pas fonctionner : tous les résultats d’élection sont sujets à caution ».

Réclamation auprès du BIT. FO entend bien le prouver en multipliant les voies de recours, allant, comme elle l’a déjà fait avec succès en 2007 pour laminer le contrat nouvelles embauches, jusqu’à saisir le Bureau international du travail. En décembre 2009, FO a déposé une réclamation – une procédure prévue à l’article 24 de la constitution de l’Organisation internationale du travail – portant principalement sur quatre dispositions de la loi : l’obligation de passer par la procédure électorale pour désigner un délégué syndical (qui serait contraire au droit des syndicats de désigner librement leurs représentants); l’obligation de changer de représentant de section syndicale s’il a obtenu moins de 10 % des suffrages ; l’instauration d’un seuil d’audience minimal (30 %) pour valider un accord (qui irait contre la liberté de négocier); le traitement de faveur accordé aux syndicats représentatifs chez les cadres. « Le BIT ne se prononcera pas avant le printemps », prévoit René Valladon. Mais, aux yeux de Laurence Pécaut-Rivolier, « cette requête a fait long feu. Tous ses arguments ont déjà été démontés par le Conseil constitutionnel ». Les « sages » ont en effet validé cette loi le 7 août 2008. Mais ils ont aussi répondu, le 5 octobre 2010, à la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par FO par l’intermédiaire de la Cour de cassation : ils ont jugé qu’en fixant à 10 % le seuil de l’audience à atteindre pour qu’un syndicat soit reconnu représentatif, le législateur « n’a pas méconnu la liberté syndicale ni le préambule de la Constitution de 1946 ».

La guérilla juridique engagée par FO et, dans une moindre mesure, la CFTC s’inscrit naturellement dans une logique de défense de leurs intérêts : faute de passer la barre des 10 % (du moins dans le privé pour FO), les deux centrales ne bénéficieront plus de la « présomption irréfragable de représentativité » instaurée par un arrêté de 1966. Cet arrêté a figé le paysage syndical autour de cinq organisations (CFDT, CFTC, CFE-CGC, CGT et FO), fermant la porte de la négociation aux nouveaux venus que sont notamment l’Unsa et Solidaires. Beau joueur, Thierry Renard voit dans la stratégie de FO un peu plus qu’une défense de ses intérêts bien compris : pour l’ex-responsable juridique de l’Union syndicale Solidaires (qui, à ce titre, a régulièrement ferraillé pour faire reconnaître la représentativité de cette organisation), aujourd’hui avocat, FO défend aussi une position philosophique. « On a trop peu réfléchi aux implications de cette révolution législative, estime-t-il. Or nous sommes passés d’une conception essentialiste (un syndicat engage tous les salariés quand il signe un accord) à une logique de mesure d’audience des syndicats. C’est un choix philosophique qui aurait mérité d’être réellement discuté. » Mais le débat parlementaire a été escamoté par l’introduction d’un titre II relatif au temps de travail : il a davantage porté sur la remise en cause des 35 heures que sur la représentativité syndicale. De plus, « cette loi, adoptée et ficelée dans l’urgence, est particulièrement mal rédigée, poursuit Thierry Renard. Ce qui explique largement l’avalanche jurisprudentielle à laquelle nous assistons aujourd’hui ».

Zones de flou. On peut difficilement reprocher aux syndicats de profiter du flou de la loi pour contester les élections professionnelles qui ne leur ont pas été favorables… Néanmoins, au fil des mois, la jurisprudence clarifie les zones de flou. À commencer par la question de la période transitoire. L’arrêt de la Cour de cassation du 10 mars 2010 (syndicat SUD Aérien contre ISS Abilis France) confirme que la représentativité « doit être appréciée au niveau de l’établissement à la date de la publication de la loi, soit le 21 août 2008 ». Autrement dit : pendant une période transitoire couvrant le cycle électoral légal de quatre ans, la présomption de représentativité d’un syndicat affilié à l’une des cinq confédérations ne peut être contestée.

Autre arrêt marquant : celui du 22 septembre 2010 (SNPS CGT contre CMA CGM). Il précise, selon les termes de Laurence Pécaut-Rivolier, que « les mandats des représentants syndicaux sont désormais à durée déterminée ». Ils prennent donc fin « lors du renouvellement des institutions représentatives dans l’entreprise ». Citons également l’arrêt de principe du 8 juillet 2009 (Solidaires contre Vigimark Surveillance), qui confirme des décisions bien antérieures à la loi de 2008 (certaines remontant à 1995): les unions de syndicats ont les mêmes prérogatives que les syndicats qui les composent. Enfin, on ne peut passer sous silence l’arrêt du 8 juillet 2009 (Veolia Transport contre le représentant de la section syndicale créée par la Fédération autonome des transports FAT Unsa): pour être représentatif, un syndicat doit, certes, respecter les valeurs républicaines. Mais il n’a pas à en apporter la preuve : c’est à l’employeur qu’il appartient de prouver le contraire.

Une précision s’impose quant à la rapidité avec laquelle la Cour de cassation s’est prononcée : le contentieux électoral relève du tribunal d’instance, avec un juge unique et aucune possibilité d’appel. En cas de contestation, l’affaire monte donc directement en cassation. « Pour couper court à l’engorgement contentieux, la Cour s’est empressée de clarifier les points les plus sensibles », commente MeThierry Renard. Elle n’a toutefois, à ses yeux, pas encore résolu la question du périmètre de désignation (l’établissement, l’entreprise ou l’union économique et sociale) du délégué syndical et du représentant de section, « un enjeu central dans la bataille de la représentativité ». Pour Michel Doneddu, secrétaire confédéral à la CGT, « la Cour de cassation a commis une erreur en prévoyant, dans les très grandes entreprises, une représentativité descendante, de l’union économique et sociale vers les établissements ». « Cela vient en contradiction avec l’esprit de la loi, visant à rapprocher les élus du terrain et à conforter leur légitimité », confirme Thierry Renard.

Quoi qu’il en soit, la loi du 20 août 2008 n’est plus vraiment contestée. Ce qui n’empêche évidemment pas les syndicats ayant frôlé la barre des 10 % lors des élections professionnelles d’en contester les résultats. « La jurisprudence ne fait que la préciser et ajuster cette loi sans la remettre en cause », estime Marcel Grignard, secrétaire national à la CFDT. « Je ne vois pas comment on pourrait revenir en arrière au milieu du gué, considère Bernard Valette, secrétaire national CFE-CGC. Invalider les élections nous placerait dans une situation kafkaïenne. Je n’ai jamais été favorable à cette loi ni à la position commune qui l’a précédée [texte signé le 10 avril 2008 par le Medef, la CGPME, la CGT et la CFDT]: cette façon de plaquer des mécanismes de démocratie politique sur la démocratie sociale me semble illusoire. » Mais, pour lui, le débat n’est plus là : « Le vrai problème du syndicalisme, c’est le manque d’adhérents. Tant qu’il vaudra mieux avoir sa carrière derrière soi pour s’engager, toute tentative de légitimer le syndicalisme n’aura aucun sens. »

À la CGT, on regarde également ailleurs : du côté des très petites entreprises, grandes oubliées du dialogue social. « C’est la principale lacune de la loi du 20 août 2008, estime Michel Doneddu. Il faudra bien finir par trouver des modalités pour représenter ces salariés. » Vu l’opposition farouche du Medef et, plus encore, de la CGPME, cela risque de prendre encore du temps…

S.G.

* Coauteure, avec Marie-Laure Morin et Yves Struillou, du Guide des élections professionnelles et des désignations de représentants syndicaux dans l’entreprise. Loi du 20 août 2008, éditions Dalloz, octobre 2009.

Auteur

  • Grégory Danel, Sarah Delattre, Sabine Germain

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