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Vie des entreprises

Sanctions et incitations en droit du travail

Vie des entreprises | Chronique juridique | publié le : 01.01.2011 | Jean-Emmanuel Ray

Comment réguler le social ? Si le menaçant droit pénal est omni présent en droit du travail, les sanctions sont rarissimes. Les dommages-intérêts sont parfois importants, mais permettent une gestion économique des risques juridiques. Et si le name and shame façon stress ou le 1 % égalité professionnelle se révélaient plus efficaces car plus dissuasifs ?

Placé sous le signe de l’ordre public de protection, le droit du travail français n’est pas avare de sanctions pénales, dont la conformité à l’article 8 de la CEDHC de 1789 (« la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires ») n’est pas toujours évidente. Caricature : si l’homicide involontaire à la suite d’un manquement simple à une obligation de sécurité est puni de trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende (art. 221-6), l’employeur « collectant des données à caractère personnel par un moyen frauduleux, déloyal ou illicite » risque cinq ans d’emprisonnement et 300 000 euros d’amende (art. 226-18). Mais notre législateur n’a le sentiment du devoir accompli que lorsque, à la fin du texte, figurent de solides peines de prison, avec un effet opposé : la pénalisation à outrance affaiblit en réalité la répression.

RÉALITÉ DES SANCTIONS PÉNALES

Soucieux d’efficacité au quotidien et ne voulant pas être confondus avec des radars automatiques, la plupart des inspecteurs du travail font légitimement une application négociée du Code du travail. Le P-V est, dans la plupart des cas, l’ultima ratio, lorsque tous les moyens de persuasion ont été utilisés. Car le but du droit du travail n’est pas la poursuite pénale, mais la sauvegarde de la dignité et de l’intégrité des salariés : les 5 834 décisions d’arrêt de travaux prises dans le BTP en 2008 ont été certainement plus efficaces que 5 834 P-V, dont les suites sont incertaines.

Selon les derniers chiffres publiés par le ministère du Travail, 845 165 observations-infractions ont été constatées en 2008 (66 % en matière de santé et de sécurité). 15 981 ont donné lieu à la rédaction d’un P-V et 20 773 à une mise en demeure. Transmis au parquet, un P-V sur cinq en moyenne est suivi de poursuites judiciaires et n’aboutit évidemment pas forcément à une condamnation. Quelle que soit la date du P-V, 1 726 décisions de justice ont été rendues en 2008 : 663 condamnations (dont 40 % pour travail illégal et 37 % en matière de santé et de sécurité), avec 133 peines de prison ferme ou avec sursis : donc pour l’essentiel des peines d’amendes.

Cette déperdition est facilement explicable : submergé par la délinquance ouverte, le procureur hésite à poursuivre un employeur n’ayant pas respecté une règle très technique relative à la durée du travail ou ayant commis un délit d’entrave au comité d’entreprise, si différents de sa délinquance habituelle. Ensuite, le tribunal de police ou les juges du tribunal correctionnel hésitent à soumettre à une très forte amende, et a fortiori à envoyer en prison, le responsable d’une entreprise pourvoyeuse d’emplois. Mais la menace pénale, avec désormais l’éventuelle et redoutée médiatisation et même parfois la traumatisante garde à vue allant de pair, reste très dissuasive pour le chef d’entreprise ou son délégataire : la compétence très générale de l’inspecteur du travail à la française incite à ne pas le braquer en faisant de légitimes mais bien inopportunes remarques.

Avec le Nouveau Code pénal entré en vigueur en 1994, lorsque l’infraction a été commise pour le compte de la personne morale par son organe ou son représentant, la « peine de mort » a été réintroduite pour elle, directement (dissolution judiciaire) ou indirectement pour les grandes entreprises (interdiction d’appel à l’épargne, de l’accès aux marchés publics…), le principe du quintuplement des amendes frappant au portefeuille s’avérant dissuasif. Et si, de jure, le cumul des responsabilités est la règle (« La responsabilité pénale des personnes morales n’exclut pas celle des personnes physiques auteurs ou complices des mêmes faits »), dans la pratique, les juges condamnant la personne morale, dans une vision panoramique encouragée par la chambre criminelle, oublient alors souvent la personne physique. Particulièrement en droit du travail, les dirigeants ne voient aucun inconvénient à cette évolution.

RÉGULER PAR LA NÉGOCIATION COLLECTIVE

Soucieuse d’éviter en amont les conflits collectifs sur les sujets les plus brûlants (salaires, temps de travail) et reprenant le duty to bargain de la loi américaine Taft-Hartley de 1947 avec ses unfair labor practices (en France, l’interdiction de prendre des mesures unilatérales pendant la négociation), la loi du 13 novembre 1982 a institué la négociation annuelle obligatoire : « Chaque année, l’employeur engage une négociation annuelle obligatoire portant sur les salaires effectifs, la durée effective et l’organisation du temps de travail. » Et cet article L . 2242-8 de créer ensuite le concept d’obligation facultative : « Cette négociation peut également porter sur la formation ou la réduction du temps de travail. » Au milieu des années 80, nos amis étrangers furent fort surpris, à la lecture des statistiques, de la passion négociatrice de ces Gaulois et pour lesquels, jusqu’à présent, « quand on est fort, on décide ; quand on est faible, on négocie ».

Depuis, le législateur a multiplié, en particulier au niveau de l’entreprise mais dans un grand désordre conceptuel (les problématiques prévoyance, intéressement et participation/salaires ou égalité professionnelle sont bien différentes) les obligations de négocier, associées, en cas d’inexécution, à un délit (négociation annuelle obligatoire : un an et amende de 3 750 euros), parfois non (GPEC, loi de 2005). Trente ans plus tard, le bilan de la NAO est incontestablement positif : du moins si l’on oublie les quelques hoquets sociaux annuels intervenant dans les semaines précédant son ouverture, surtout en période d’élections professionnelles couperets pour nombre de syndicats.

Certes, s’agit-il d’une simple obligation d’ouvrir et de mener les négociations et non de conclure : on se remémore le fameux « on ne peut forcer un âne à boire » de Jean Auroux. La chambre criminelle l’a confirmé dans l’arrêt Boursin du 4 octobre 1989 : alors que le juge du fond avait stigmatisé « l’attitude systématiquement opposante de la direction subordonnant toute discussion à la dénonciation préalable des accords antérieurs, ne permettant aucune discussion de fond et démontrant ainsi sa volonté de se soustraire à l’application loyale du texte », la chambre, soucieuse de l’interprétation stricte des textes pénaux (cf. le pédagogique exemple de G. H. Lichtenberg : « accusé de bigamie, il fut relaxé : il avait trois femmes »), rappelle que « le Code du travail ne réprime que les manquements de l’employeur aux obligations qui lui sont imposées et qui sont relatives à l’ouverture de la négociation annuelle […] ; son comportement au cours des réunions consacrées à cette négociation n’entre pas dans les prévisions de ces textes ».

Mais, contournant astucieusement cette limite de nature constitutionnelle, les gouvernements successifs ont institué de fortes incitations à négocier (remise en cause ou dénonciation d’un accord d’entreprise), voire carrément à conclure : ainsi des exonérations sociales liées aux 35 heures qui ont entraîné une flambée d’accords, permettant au ministre en charge de se réjouir de ce succès.

LE « 1 % SOCIAL » NÉGOCIABLE EST ARRIVÉ

La loi sur les retraites du 9 novembre dernier a repris la « méthode seniors » des « pénalités », dont on n’a pas fini de parler, même si l’idée remonte à la loi du 10 juillet 1987 en faveur des handicapés. Véritables peines privées, à l’instar des clauses « pénales », ces sanc­tions pécuniaires se développent dans le Code du travail mais aussi dans celui de la Sécurité sociale : un moyen certes marginal mais astucieux de lutte contre les déficits ?

L . 2242-5-1 nouveau : « Le montant de la pénalité est fixé au maximum à 1 % des rémunérations et gains […], en fonction des efforts constatés dans l’entreprise en matière d’égalité professionnelle […], ainsi que des motifs de sa défaillance quant au respect des obligations fixées au même premier alinéa. »

Voilà un exercice intéressant.

1. Au nom de l’intérêt général, l’État impose aux entreprises concernées une hiérarchie : si possibleaccordcollectif, sinon plan d’action ; une autre solution aurait, il est vrai, laissé l’employeur dans la main des syndicats, a fortiori avec les nouvelles règles de validité des accords.

2. Le montant de la pénalité est fixé « au maximum à 1 % », l’autorité administrative pouvant le moduler « en fonction des efforts constatés ». Contrairement à l’effet couperet de la cotisation handicapés, la sanction est donc ici modulable : on peut prévoir quelque solide négociation avec l’Urssaf, d’abord, puis l’administration du travail, ensuite. À supposer que les deux soient parfaitement d’accord, quels seront les facteurs pris en compte ? « Les efforts constatés » visent sans doute l’historique de l’entreprise en la matière ; mais les éventuels « motifs de la défaillance »?

3. Pour ces règles devant entrer en vigueur le 1er janvier 2012 et comme le remarquent Pierre-Yves Verkindt et Élisabeth Graujeman dans leur ouvrage à paraître le mois prochain (Gestion des seniors et régime des retraites après la réforme de novembre 2010, éditions Liaisons), c’est curieusement l’absence d’accord ou de plan d’action qui entraînera l’exigibilité de la pénalité, et non son inexécution.

DE NOUVELLES RÉGULATIONS

Pour une entreprise internationale médiatisée, quelle est la régulation la plus efficace ? Les droits du travail nationaux ou la note d’une agence reconnue de RSE la classant dans le peloton de queue par rapport à la concurrence ? On se souvient de l’émoi de nombre d’employeurs lorsque Xavier Darcos avait mis en ligne début 2010 son classement en matière de stress au travail. Si, effectivement, les critères laissaient parfois à désirer, ce name and shame à la française semble avoir eu des résultats beaucoup plus rapides qu’une loi avec de lourdes sanctions pénales.

Car, dans notre monde de la réputation, où clients mais aussi collaborateurs préfèrent contracter avec des entreprises attirantes car exemplaires et donc bien placées sur le marché de la vertu, un front uni DRH plus dircom se forme alors. Certains DRH en rude négociation avec leur directeur financier n’ont d’ailleurs pas été mécontents de ce coup de pouce gouvernemental à la fixation de leur budget.

FLASH
RSE et ISO

Notation sociale et autres normes de RSE deviennent pour les groupes mondiaux plus efficaces que notre hard law nationale habituelle : si la concurrence est mieux notée sur ce terrain sensible, c’est, dans notre monde en plein verdissement, le directeur financier toujours attentif aux remarques des investisseurs qui insiste pour avancer. Exemple emblématique, la recommandation de l’AMF du 2 décembre 2010 : « De plus en plus d’investisseurs utilisant directement ou indirectement la RSE dans leurs décisions d’investissement, ce mouvement doit s’accompagner d’un cadre général plus structuré. »

D’où l’intérêt de la norme ISO 26 000, aboutissement de cinq années de travail réunissant 99 États et publiée le 1er novembre 2010. Ses trois premiers axes sont pour une fois proches du droit du travail : gouvernance de l’organisation, y compris le respect de la loi, la transparence, la responsabilité de rendre compte et le dialogue avec les parties prenantes ; droits de l’homme ; conditions et relations de travail, y compris les relations avec les représentants du personnel. Elle n’a bien sûr rien d’obligatoire : mais dans la guerre économique mondiale, si le concurrent s’y met…

Auteur

  • Jean-Emmanuel Ray