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Idées

La prise en compte de la pénibilité va-t-elle relancer les mesures d’âge ?

Idées | Débat | publié le : 01.01.2011 |

Alors que la loi repoussant à 62 ans l’âge légal de départ à la retraite vient tout juste d’être adoptée, Renault a proposé un départ anticipé à 3 000 salariés âgés de 58 ans ou plus ayant effectué quinze années de travail posté ou présentant une incapacité permanente d’au moins 10 %.

Bernard Gazier Professeur de sciences économiques à l’université Paris I.

Fin 2010, juste après l’adoption contestée de la réforme faisant passer de 60 à 62 ans l’âge légal de départ à la retraite, la négociation ouverte par Renault afin de réactiver un dispositif de préretraites apparaît d’abord comme un joli pied de nez au gouvernement. Organiser 3 000 départs à 58 ans va en effet à rebours des objectifs explicites de la loi, mais aussi de la sagesse commune (résignée) en faveur de l’allongement des périodes de cotisation. La justification avancée est la pénibilité, qui est, de fait, la seule considération prise en compte par le gouvernement pour autoriser, au cas par cas, des exceptions à la loi. L’État a d’ores et déjà fait savoir qu’il n’y aurait pas de financement public.

Les préretraites exclusivement financées par les firmes existent depuis longtemps. On pourra dénoncer la collusion entre une société multinationale capable de mobiliser des ressources considérables et saisissant l’occasion de se débarrasser, même au prix fort, de travailleurs peu formés et peu adaptables et les syndicats, trop heureux de prendre une revanche, fût-elle locale et symbolique, sur l’inflexibilité gouvernementale. Ce serait toutefois une analyse insuffisante. Avoir recours à des mesures d’âge sans le moindre financement public, dans le contexte où la priorité urgente est de valoriser le travail des seniors, n’est pas seulement ironique, c’est montrer qu’un vieux contrat social, pourtant à bout de souffle, n’a pas été renouvelé. Le contrat consiste, pour des salariés peu qualifiés bénéficiant de très fortes garanties d’emploi, à échanger de la flexibilisation en interne et de l’intensification du travail contre le raccourcissement de la carrière. Celle-ci devient, notamment pour les moins qualifiés, une astreinte, voire une épreuve, un service militaire en quelque sorte, dont on attend la « quille ». C’est ainsi que la France a une productivité horaire du travail parmi les plus élevées du monde… et aussi les conditions de travail parmi les plus dures d’Europe.

Il ne suffira pas de quelques embauches compensatrices pour se désintoxiquer. C’est une logique de peau de chagrin, qui restera de surcroît limitée à quelques grandes entreprises. Sortir de ce cercle vicieux suppose d’investir massivement dans la formation des moins qualifiés et des travailleurs au-delà de 45 ans, d’améliorer fortement les conditions de travail et d’élaborer un autre contrat social. On en est loin.

PASCALE LEVET Directrice technique et scientifique de l’Anact. JACK BERNON Responsable du département santé et travail de l’Anact.

La pénibilité coïncide depuis des décennies avec des départs anticipés dans le cadre de mesures d’âge. La question posée par l’accord de GPEC de Renault qui prévoit un volet pénibilité ouvrant droit à une dispense d’activité n’est pas celle d’un plan pénibilité. On peut donc se demander ce qu’est un plan pénibilité et quel est l’intérêt pour les partenaires sociaux à conclure un accord. La loi du 9 novembre 2010 n’est pas une loi sur la pénibilité, mais une réforme en vue de favoriser l’allongement de la vie professionnelle. Cependant retenons de ce texte l’intérêt d’envisager une politique ambitieuse de prévention technique et organisationnelle de la pénibilité. Travailler, c’est être soumis à de multiples contraintes. Les facteurs d’exposition aux risques ont des intensités variables, interagissent entre eux et sont susceptibles de provoquer des atteintes à la santé. L’analyse préalable doit se focaliser sur les processus à l’œuvre pour identifier les exigences qui peuvent mettre en difficulté les personnes. Selon l’âge et l’état de santé général, celles-ci ne réagissent pas de manière identique aux sollicitations.

L’action de prévention est sous-tendue par cette connaissance fine des processus. L’entreprise doit être capable de se doter de lunettes grossissantes pour en identifier les contours. L’invisibilité des conditions de travail de certaines populations (les femmes, par exemple) évite de se poser des questions sur la détérioration précoce de la santé. La prévention va devoir revisiter ses méthodes au profit d’une investigation sur les traces laissées par le travail. La question des parcours, dès lors qu’elle ne se résume pas à un passage coûteux de postes pénibles à des postes doux pour envisager le maintien dans l’emploi et qu’elle peut s’appuyer sur une connaissance des mécanismes d’usure, devient un cadre de réflexion essentiel. C’est une opportunité pour combiner des approches organisationnelles de la prévention avec celles qu’autorisent des parcours repensés. L’éligibilité à la formation qualifiante ou à des dispositifs de transition sont des pistes pour articuler GPEC et prévention de la pénibilité sans que cela se résume à des départs précoces. La signature d’accords peut impulser des projets de prévention qui, s’ils prennent en compte les expositions aux risques, sont une source de progrès pour la protection du capital immatériel qu’est la santé, tant du point de vue des individus que de celui des entreprises.

SYLVAIN NIEL Directeur associé du cabinet Fidal.

L’âge de la retraite va progressivement augmenter de quatre mois par an pour atteindre 62 ans en 2018, à moins que le personnel ne soit exposé à des facteurs de pénibilité qui lui permettraient de partir dès 60 ans, avec l’assurance d’une retraite à taux plein. Pour prévenir la pénibilité, les entreprises sont contraintes de prévoir un plan d’action négocié, sous peine de devoir verser, dès le 1er janvier 2012, une pénalité égale à 1 % des rémunérations des salariés concernés. Les syndicats, lors de cette négociation sur la pénibilité, ne vont-ils pas en profiter pour exiger des préretraites maison ? Le plan de prévention présenté par l’employeur, si on peut souhaiter qu’il diminue les travaux pénibles, ne peut effacer l’usure actuelle des collaborateurs âgés. C’est au titre des « abîmés d’aujourd’hui » que les syndicats, n’en doutons pas, vont exiger demain des « préretraites maison » pour compléter le dispositif légal de départ anticipé à 60 ans. Par ce moyen, ils comptent bien conclure dans l’entreprise une mesure qui, en son temps, a empêché la signature de l’accord interprofessionnel de juillet 2008 sur la pénibilité. Face à cette pression syndicale, coûteuse pour l’entreprise, les dirigeants vont réagir et tenter d’affirmer qu’aucun de leurs collaborateurs n’est exposé à un risque de pénibilité ou que l’effectif concerné est inférieur à celui dénombré par les syndicats.

Toutefois, en esquivant la revendication syndicale, ils risquent de tomber sous le coût des contrôleurs de l’Urssaf. Car c’est vraisemblablement l’Urssaf qui va avoir la charge de vérifier si l’effectif décompté par le dirigeant englobe l’ensemble des salariés exposés à un facteur de pénibilité. Aussi l’employeur risque d’essayer de limiter les « préretraites maison » à un effectif minimal. Mais l’Urssaf peut, alors que le plan est bouclé, estimer qu’il est insuffisant et appliquer la pénalité de 1 % sur un nombre de salariés plus important.

Dès lors, les collaborateurs désignés par l’administration comme occupant un emploi pénible pourront exiger le bénéfice d’une préretraite que l’employeur n’avait réservé qu’à quelques-uns. La loi du 9 novembre 2010 n’est donc pas sans risques financiers pour l’entreprise. Les DRH doivent anticiper cette concertation en établissant sans plus tarder un état des lieux rigoureux et juridiquement incontestable de la pénibilité. Dans ce cadre, la préretraite en tant que moyen de prévention apparaît plus comme un piège qu’une solution à conseiller à l’entreprise.