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Une réforme attendue mais contestée

Dossier | publié le : 01.01.2011 | Sarah Delattre, Sabine Germain

Tout le monde est d’accord sur un point : il est urgent de réformer la médecine du travail. Mais le projet actuel provoque une levée de boucliers de tous les syndicats salariés, qui contestent la remise en cause de l’indépendance des services de santé au travail.

Bis repetita. La proposition de loi relative à l’organisation de la médecine du travail, présentée le 10 novembre dernier par les sénateurs centristes, reprend quasi mot pour mot les amendements glissés, au chapitre « pénibilité », dans le texte de réforme des retraites adopté le 27 octobre. Et retoqués, le 9 novembre, par le Conseil constitutionnel. Les sages ne s’en sont pas laissé conter. Ils ont bien validé la réforme des retraite, mais en censurant son volet « médecine du travail », qualifié de « cavalier législatif », sans lien avec le projet de loi initial.

Un caillou dans la chaussure. Dans son exposé des motifs, la proposition de loi souligne la nécessité de réformer une médecine du travail « dont les missions ont été fixées par la loi du 11 octobre 1946 » et insiste sur « les contraintes liées à la démographie médicale ». De fait, les trois quarts des 5 589 médecins du travail en activité (en équivalent temps plein) ont plus de 50 ans. « Le problème, c’est que cette question, pourtant cruciale, n’est absolument pas traitée », estime François Cochet, responsable des activités santé au travail du cabinet de conseil et d’expertise Secafi (Groupe Alpha). Bernard Salengro, médecin du travail et secrétaire national de la CFE-CGC, va encore plus loin : « On voudrait organiser une pénurie de médecins du travail qu’on ne s’y prendrait pas autrement ! Comment gérer le papy-boom alors qu’on ne forme qu’une cinquantaine de diplômés par an et que les barrières à l’entrée de la profession sont de plus en plus élevées : un médecin libéral doit, quelle que soit son expérience, refaire quatre ans d’études pour décrocher un diplôme d’études spécialisées. » Le syndicaliste est pourtant convaincu que la question démographique pourrait être réglée facilement : « Il suffirait d’inciter tous les médecins travaillant à temps partiel à passer à temps plein. Le problème, c’est que les employeurs ont tendance à considérer les médecins du travail, qui parlent de santé, d’éthique et de prévention, comme autant de cailloux dans leur chaussure. Ils préfèrent leur voir se substituer des infirmiers ou des techniciens. »

La pluridisciplinarité est en effet l’un des axes majeurs du projet de réforme. Ce que, sur le fond, personne ne conteste. « L’action des services de santé au travail doit être fondée sur le principe de la pluridisciplinarité et de la prévention primaire en milieu de travail », estime-t-on à l’Unsa. « Il est bon de réaffirmer le principe de la pluridisciplinarité dans l’analyse de situations de plus en plus complexes », ajoute Jean-François Naton, conseiller confédéral chargé du travail, de la santé et de la protection sociale à la CGT.

À condition que cette pluridisciplinarité ne soit pas le moyen de remplacer les médecins du travail par des infirmiers ou des techniciens, « dont l’autorité morale et la culture du secret professionnel n’ont évidemment pas le même poids auprès d’un employeur », estime François Cochet. Pascal Marichalar, sociologue et auteur de la Médecine du travail sans les médecins ? Une action patronale de longue haleine (1971-2010*), y voit le fruit d’une véritable stratégie : « Sous couvert d’une approche pluridisciplinaire généralement perçue comme une avancée du système français de prévention, les organisations patronales ont milité depuis une trentaine d’années pour la réduction de l’autonomie et des effectifs des médecins du travail. »

Les syndicats de salariés en sont convaincus,cetteréformeviseavanttoutà permettre aux employeurs d’avoir autorité sur « leur » service de santé au travail, dont ils assurent le financement. « Les organisations patronales ont toujours défendu l’option libérale du droit du contrat (je finance, donc je décide), observe Olivier Obrecht, médecin de santé publique et membre de la chaire Santé de Sciences po. Ce projet de réforme montre qu’elles ont su se faire entendre. Difficile de savoir si elles en sont satisfaites : nos demandes d’entretien au Medef et à la CGPME sont restées sans réponse. Elles ont également décliné ma proposition de rédiger une tribune libre dans le rapport sur les maladies chroniques et le travail, acceptée par tous les autres partenaires sociaux. »

De fait, il n’est pas difficile de voir la patte des organisations patronales dans le texte du projet de réforme, qui reprend les principales dispositions du protocole d’accord national interprofessionnel du 11 septembre 2009, que tous les syndicats de salariés ont refusé de ratifier. À commencer par la périodicité des visites médicales obligatoires, qui passerait de vingt-quatre mois à trente-six mois pour les salariés non exposés à des risques spécifiques. Très critiquée à l’époque, cette disposition semble aujourd’hui – nécessité faisant loi – mieux acceptée : « Après tout, mieux vaut que les médecins du travail se libèrent en partie de cette activité chronophage pour consacrer davantage de temps à la prévention et à la participation à de grandes enquêtes nationales telles que l’enquête Sumer** », estime Dominique Lanoë, directeur du cabinet de conseil et d’expertise Isast.

Confier les clés du poulailler au renard. Pas moyen,enrevanche,de convaincre les syndicats de salariés du bien-fondé de la nouvelle gouvernance des services interprofessionnels de santé au travail proposée par le projet de réforme. L’article 3 prévoit qu’ils sont « administrés paritairement par un conseil composé, à parts égales, de représentants des employeurs, parmi lesquels est élu le président du conseil, qui a une voix prépondérante en cas de partage des voix, et des représentants des salariés, parmi lesquels est élu le vice-président du conseil ». « Un pseudo-paritarisme qui donne en réalité le pouvoir aux employeurs », tempête Jean-François Naton. Ajoutant qu’« il serait peut-être temps de dire aux Medef territoriaux que les services de santé au travail ne sont pas leur propriété ».

Les organisations de malades ne sont pas en reste : « Donner le contrôle de la médecine du travail aux employeurs, c’est confier les clés du poulailler au renard », estime la Fédération nationale des accidentés du travail et handicapés. « On demande aux salariés de remettre leur santé entre les mains de leur patron, commente l’Association nationale de défense des victimes de l’amiante. C’est comme si le gouvernement n’avait tiré aucune leçon de l’affaire de l’amiante : il s’apprête à supprimer l’un des contre-pouvoirs qui pouvaient, dans l’entreprise, faire valoir des arguments médicaux et de santé publique pour éviter l’altération de la santé des salariés du fait de mauvaises conditions de travail. »

Puisque le débat sur la réforme de la médecine du travail aura bel et bien lieu, les organisations de salariés sont bien décidées à faire entendre leur voix. Compte tenu du calendrier parlementaire, la réforme ne sera probablement pas adoptée avant le printemps 2011. « Ce qui devrait nous laisser le temps de faire du lobbying auprès des parlementaires, se félicite Bernard Salengro. Nous avons déjà demandé et obtenu que l’indépendance des équipes pluridisciplinaires soit assurée. »

Sera-t-il possible d’aller encore plus loin dans la réorganisation des services de santé au travail ? Dominique Lanoë l’espère : « Dans les grandes entreprises, les services de santé au travail ont soit une vision globale, soit une vision purement locale. Il faudrait les croiser avec une vision plus orientée métier. » L’expert cite un exemple à l’appui de sa proposition : « Dans une grande entreprise, nous avons été missionnés pour réorganiser le système de gestion et de rémunération des astreintes concernant seulement quelques centaines de personnes. Les médecins du travail locaux n’ont pas pris le temps de se pencher sur la question : elle était trop marginale par rapport à la population qu’ils étaient chargés de suivre. »

La mise en place de filières métiers n’est pas, non plus, évoquée dans le projet de réforme. « Il faut dire que les ambitions de la réforme en matière de prévention restent modestes, observe Olivier Obrecht. La branche accidents du travail et maladies professionnelles progresse de 4 % par an depuis quinze ans. On voit bien que ce n’est pas tenable. Il est temps de changer de paradigme et de passer d’une logique assurantielle de couverture des risques (on indemnise un risque dès lors qu’il est survenu) à une logique de prévention. » Un changement de culture qui aura sans doute du mal à s’imposer d’ici au printemps… S.G.

* Article publié dans la revue Politix, 2010/3 (n° 91).

** Enquête Sumer (« Surveillance médicale des risques ») copilotée par la Dares et la Direction générale du travail pour suivre l’exposition professionnelle des salariés.

Vocations en baisse

La médecine du travail est en danger. D’ici à cinq ans, si rien n’est fait pour aider les professionnels de la santé au travail à anticiper les départs à la retraite des praticiens, ce dispositif unique au monde pourrait s’éteindre. » Christian Dellacherie, membre du Conseil économique, social et environnemental, Paul Frimat, professeur de médecine du travail à l’université de Lille II, et Gilles Lerclercq, médecin-conseil de l’ACMS, coauteurs d’un rapport sur la santé au travail remis en avril dernier à trois ministres (Travail, Santé, Enseignement supérieur), tirent le signal d’alarme. Boudée par les carabins, la discipline est malade. « Elle est depuis longtemps jugée peu attractive et, aujourd’hui, les étudiants en médecine s’interrogent sur son avenir. Les médecins du travail, qui pâtissent d’une image sociale peu flatteuse, désespèrent d’un métier dont ils connaissent pourtant les atouts et mesurent les potentialités. Beaucoup, enfin, se sentent atteints dans leur conscience professionnelle de ne pas pouvoir consacrer le temps qui leur paraît nécessaire aux salariés qui en ont le plus besoin », écrivent les experts. Les étudiants, qui n’y consacrent qu’une dizaine d’heures dans les six premières années, choisissent souvent cette discipline faute de mieux, à l’issue des épreuves de classement. Résultat, en 2009, sur 105 postes offerts en médecine du travail, seuls 63 ont été pourvus. Le métier a pourtant de quoi séduire.

Pas de gardes de nuit ni de week-end, des horaires relativement fixes, davantage conciliables avec une vie de famille… 70 % des médecins du travail sont des femmes qui ont choisi d’exercer à temps partiel.

Les conditions d’exercice et de rémunération sont plus avantageuses dans les services autonomes que dans les services interentreprises. Les médecins ont souvent l’impression d’y faire des visites à la chaîne et examinent plus du double de salariés. S.D.

Auteur

  • Sarah Delattre, Sabine Germain