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Vie des entreprises

Le grand bazar du commerce en ligne

Vie des entreprises | Zoom | publié le : 01.12.2010 | Éric Béal

Il y a de tout dans l’e-commerce… Mais ce secteur en pleine croissance s’efforce de se structurer. Les plus gros normalisent leur GRH en essayant de garder un esprit start-up.

Noël approche à grands pas. Et, comme de plus en plus de parents, Agnès évite la foule des grands magasins et des hypermarchés pour faire ses emplettes. Avant même que le terme n’existe, cette mère de quatre enfants était une adepte de l’e-commerce. « Lorsque j’ai commencé, les spécialistes du jouet avaient un service sur le Minitel. Aujourd’hui, je trouve tous mes cadeaux sur des sites comme Bilboquet, Éveil & Jeux ou King-Jouet. » De l’autre côté de l’écran, c’est l’effervescence. Jouets, voyages, informatique, vêtements, livres ou spectacles : les 70 200 commerçants du Net recensés par la Fédération du e-commerce et de la vente à distance (Fevad) affûtent leur marketing à l’approche des fêtes de fin d’année.

Chez Bilboquet, les sept salariés ont un peu plus de travail que les années précédentes. Après deux années difficiles, ce « découvreur de jeux et de jouets » installé àVannes (Morbihan) se remet tant bien que mal de la crise. L’entreprise comptait 14 salariés en 2008. Une contre-performance surprenante dans un secteur qui a vu ses ventes progresser de 26 % par rapport à l’an dernier, selon la Fevad. « Nous avons fait l’erreur de fusionner notre site de jouets et celui spécialisé dans les cerfs-volants. Et puis la crise est passée par là », estime Delphine Schutz-Vilmen, cofondatrice de l’entreprise. Créé en 1988 et venu sur le Net en 1999, Bilboquet reste très éloigné de l’ambiance des start-up. « Tout le monde se tutoie, mais les salariés sont là depuis longtemps. Pour le reste, je gère l’entreprise comme n’importe quel autre dirigeant de PME », souligne la patronne. Pas de course au chiffre d’affaires ni de rémunération en actions hypothétiquement monnayables lors d’une introduction en Bourse. La prime de fin d’année ne sera de retour que si le chiffre d’affaires et la marge le permettent.

Un secteur émietté. Aux antipodes de cette micro-PME, Vente-privee cumule les clichés classiquement attachés aux entreprises de la nouvelle économie. Grâce à la croissance phénoménale de son chiffre d’affaires, le spécialiste en ligne des ventes événementielles et du déstockage de grandes marques est passé de 40 salariés en 2004 à 1200 fin 2009. Quelque 200 personnes devraient encore être recrutées cette année. La grève déclenchée dans un entrepôt en septembre vient à peine noircir le tableau d’une success story connue pour les fêtes qui marquent la fin d’une collection ou le lancement d’un projet. Accent sur le management de proximité, mise en avant de la spontanéité, telle est la « VP touch » ou « culture Vente-privee » en langage interne.

Entre ces deux extrêmes, toutes les configurations sont réunies dans le commerce en ligne. Les PME de moins de 10 salariés représentent 86 % des entreprises d’e-commerce, mais 5 % des sites totalisent près de 90 % des 80 000 emplois répertoriés par la Fevad. Le secteur est émietté entre plusieurs conventions collectives : la vente à distance, le commerce de gros, la distribution, la distribution de produits électroménagers, et même le Syntec. Si bien que ses contours sont encore mal définis. Une enquête de Benchmark Group estime que le volume d’affaires de l’e-commerce français s’élevait à 15,5 milliards d’euros en 2009, en croissance de 11 % par rapport à 2008. De son côté, la Fevad chiffre le commerce de produits et de services en ligne à environ 25 milliards d’euros pour la même année.

La diversité des conventions collectives dont dépendent les entreprises du secteur n’a d’égal que celle des organisations internes. Les pure players comme Pixmania (électronique grand public), Rue Du Commerce ou Price Minister (divers),qui ne comptent aucun magasin en dur et confient leur logistique à des sous-traitants, côtoient les faux nez de la grande distribution comme Cdiscount (groupe Casino), GrosBill et Chronodrive (groupe Auchan), Ooshop (Carrefour) ou encore le site de la Fnac qui s’appuient sur la force logistique de leur maison mère et leur réseau de magasins. « Aujourd’hui, chez Casino, l’essentiel des ventes de produits blancs passe par Cdiscount. L’activité logistique induite est sous-traitée à Easydis, la filiale spécialisée », précise Christian Gamarra, délégué syndical central CFDT du groupe. Lequel déplore l’absence de dialogue social commun avec l’activité d’e-commerce. Portés par de nouveaux marchés, des vendeurs de services comme Promovacances.com ou bien Voyages-sncf.com recrutent régulièrement, alors que les anciens de la vente à distance (VAD), tels La Redoute ou 3 Suisses, se reconvertissent au Net dans la douleur (voir encadré page suivante).

Référentiels métiers à unifier. Cette multiplicité des business models n’est pas près de disparaître, mais il est possible que la majorité des sites de commerce en ligne se retrouve un jour au Syndicat national social des entreprises de vente à distance (SNVAD), organisation patronale créée par extension de la convention nationale de la VPC en 2005. Tel Vente-privee, passé du commerce de gros en bonneterie à la VAD. À moins que les DRH des plus gros sites, rassemblés au sein du Club des DRH du Net, ne prennent l’initiative de proposer le texte d’une nouvelle convention collective du commerce sur le Net. « L’idée trotte dans la tête de certains d’entre nous, indique Ingrid Tisserand, DRH de Pixmania. Mais le temps manque et nous travaillons d’abord à unifier les référentiels métiers pour faciliter notre recrutement. » De son côté, le SNVAD met les bouchées doubles pour imposer sa patte. « Nous avons d’abord cherché à accompagner la mutation de la vente à distance vers le Net en négociant un accord sur la formation professionnelle. Puis nous avons adopté des textes sur la GPEC, l’égalité hommes-femmes, les seniors et la période d’essai. Et nous sommes en train de rénover notre grille de classification », indique Patrick Brunier, délégué général du SNVAD. Lequel annonce une probable négociation sur les conditions de travail en 2011.

L’enthousiasme de certains négociateurs syndicaux est nettement moins prononcé. « Le texte sur les seniors se contente de maintenir l’emploi, et celui sur l’égalité se résume à une déclaration d’intention », estime Francis Meganck, de la CFDT des Services. Quant à la négociation en cours sur la grille conventionnelle, toutes les organisations syndicales attendent de voir les propositions patronales sur les montants des rémunérations minimales avant de se prononcer. Pas d’enthousiasme non plus au sujet des conditions de travail de la majorité des salariés de l’e-commerce. « Trop de TPE profitent de la dispersion des salariés et de l’absence de représentants syndicaux pour imposer des horaires à rallonge, sans supplément de salaire, et le travail du dimanche », déplore Yücel Basarslan, de la Fédération CGT du commerce.

Avec des équipes d’à peine 30 ans de moyenne d’âge, certains sites subissent un turnover important

Pour les sites les plus importants, le temps de la gestion RH improvisée est cependant révolu. Tous les grands du secteur font des efforts pour normaliser la gestion de leur personnel et répondre aux obligations légales. Même Price Minister, dont le patron, Pierre Kosciusko-Morizet, a longtemps souhaité laisser le management intermédiaire responsable des équipes, a récemment recruté un DRH. Arrivée début 2007chez Vente-privee, Christine Lanoë, la DRH, cherche à professionnaliser la GRH et le dialogue social, tout en gardant le manager de proximité au centre du dispositif. L’accent est mis sur le fonctionnement des institutions représentatives du personnel et sur la formation des managers au dialogue social. « Nous avons eu besoin de nous structurer. Au-delà d’une centaine de salariés, les relations humaines et sociales qui sont naturelles au départ ne fonctionnent plus. » Les dernières élections professionnelles ont d’ailleurs consacré l’entrée de la CGT et de la CFDT, dont les représentants occupent la moitié des sièges au comité d’entreprise. L’arrivée de délégués syndicaux bouscule un peu les habitudes. « L’individualisation poussée des parcours, le côté méritocratie de la gestion RH des start-up, les rémunérations variables importantes et souvent différées entrent en contradiction avec la vision plus collective des syndicalistes », note Pierre Cannet, délégué général du Club des DRH du Net et fondateur du cabinet Blue Search.

Brick and mortar. Chez Pixmania, Ingrid Tisserand évoque la nécessité de fidéliser les salariés en améliorant les processus RH, la gestion de carrière et la mobilité interne entre les sites du groupe. « Nous sommes en train de passer du côté brick and mortar [entreprises classiques]. La transition se fait plus facilement depuis que nous recrutons des salariés provenant de la grande distribution », précise-t-elle. Une transition pas si évidente que cela. « Les principaux acteurs du Web sont conduits à mettre des IRP en place, mais ils doivent communiquer auprès de leurs managers pour faire comprendre cette mutation et permettre le bon fonctionnement de ces institutions », note Pierre Cannet.

La fidélisation des salariés est une autre préoccupation majeure des DRH du Net. Avec des équipes d’à peine 30 ans de moyenne d’âge, certains sites subissent un turnover important. Carlos Gomes, DRH du groupe Karavel, dont le site amiral est Promovacances, l’admet volontiers. « Les métiers de la plate-forme informatique sont primordiaux pour notre bon fonctionnement. Or la concurrence est forte sur certaines spécialités comme le marketing on line ou les community managers [modérateurs-animateurs de communautés d’internautes]. » Habitués à changer d’entreprise en fonction de l’offre et de la demande de travail, certains informaticiens sont également à l’affût des possibilités d’augmentation de salaire. « Lorsqu’ils sont sur un projet en cours, il est problématique de les laisser partir. La direction est prise au piège », ajoute le DRH. Est-ce la raison pour laquelle Karavel a développé l’actionnariat salarié ? Le groupe prend également soin de préserver les habitudes managériales antérieures. Un projet fait l’objet de discussions régulières auxquelles participent tous les salariés concernés, quel que soit leur niveau de responsabilité.

Pixmania tient aussi à garder une grande partie de sa culture start-up. L’entreprise organise plusieurs fêtes par an et les managers sont encouragés à convier leurs proches collaborateurs à un petit déjeuner mensuel. Pour faciliter le dialogue. À la salle de sport s’est ajoutée une salle de Wii pour permettre aux salariés de se détendre en jouant. Enfin, un poste de chief evangelist a fait son apparition. Chargé de veiller au bien-être des salariés, ce manager n’est pas un ergonome mais un salarié expérimenté qui connaît les bons et les mauvais côtés des métiers du Net et veille à renforcer les premiers et à atténuer les seconds. La spécificité de la gestion des ressources humaines dans les métiers du Net a encore de beaux jours devant elle.

70 200

C’est le nombre de commerçants du Net recensés en juin 2010.

Source : Fevad.

Conversion difficile pour la VAD

Il y a vingt-cinq ans, nous sommes sortis de la vente à distance par le courrier pour adopter le téléphone. Aujourd’hui, c’est Internet. À chaque fois, on a connu la casse sociale. Mais l’avènement du Net est plus dangereux pour l’emploi car les compétences nécessaires sont complètement différentes. » Sans illusion, Jean-Claude Blanquart, délégué syndical CFDT à La Redoute, constate les dégâts. Touchée de plein fouet par l’essor du commerce en ligne, la filiale du groupe PPR s’est lancée dans un plan de réduction des coûts à l’automne 2008, avec 672 suppressions d’emplois. Sans compter les conséquences sur la sous-traitance.

Sous-utilisées, les plates-formes téléphoniques transférées chez Teleperformance ferment les unes après les autres. Et le syndicaliste s’attend que les services de routage soient également touchés à très court terme. Comme les autres spécialistes de la VPC sur catalogue, La Redoute n’a pas le choix. En 2009, plus d’une commande sur deux lui a été passée via Internet. La tendance s’accentue et atteint tous les vépécistes. La Camif a fermé ses portes en 2008 et le groupe 3 Suisses a supprimé 674 postes en 2009.

Face à des directions qui ont tardé à prendre la mesure de la révolution du Web, les syndicats dénoncent une tendance à vouloir rattraper le temps perdu sans s’occuper des conséquences pour l’emploi. Fatiha Bouzaoui, secrétaire du CE et DS CGT aux 3 Suisses, ne digère pas la fermeture des cinq centres d’appels. « 70 % des commandes passées par téléphone sont maintenant réglées par un centre tunisien. La direction profite de l’impact d’Internet pour se séparer d’un grand nombre de salariés sans leur offrir les moyens d’une conversion aux métiers du Web. »

Et les syndicats de regarder avec envie le leader du commerce en ligne, Vente-privee.com, qui continue de contrôler tous les métiers de la chaîne commerciale. De la présentation des collections sur le site à la préparation des colis pour le transport. « Auparavant, nous maîtrisions aussi toutes les étapes en interne, indique Jean-Claude Blanquart. Aujourd’hui, c’est fini. La direction ne pense qu’à imiter la majorité des pure players qui sous-traitent toute leur logistique à des spécialistes. » Passée de 6 300 à 3 300 salariés en dix ans, La Redoute, comme les autres spécialistes de la VAD, n’a peut-être pas fini de réduire ses effectifs.

Auteur

  • Éric Béal