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Idées

Les syndicats sortent-ils renforcés ou affaiblis de la bataille des retraites ?

Idées | Débat | publié le : 01.12.2010 |

En dépit du succès des journées nationales de mobilisation qu’elles ont menées, les organisations réunies en intersyndicale ne sont pas parvenues à infléchir la position du gouvernement sur la réforme des retraites. Mais elles ont conforté leur image dans l’opinion publique.

Jean-Marie Pernot Chercheur à l’Ires

Les syndicats n’ont pas gagné la bataille de la réforme Sarkozy. Ont-ils perdu ? Le résultat immédiat est qu’une mobilisation syndicale de grande ampleur n’a pas fait reculer le gouvernement. Mais les gains ou les pertes syndicales ne se mesurent pas à la même aune, ni selon les mêmes temporalités, que l’action politique. L’effet de ce conflit sur leur renforcement ou leur affaiblissement se jugera dans le temps.

Plusieurs facteurs leur sont favorables. L’enjeu de l’opinion publique a été gagné et leur image devrait sortir meilleure dans les sondages. Mais si gains il y a, c’est sur d’autres terrains qu’il faudra les mesurer. Encore fallait-il gagner sur celui-là. L’unité syndicale est un deuxième facteur favorable. L’intersyndicale s’est certes divisée sur la fin du mouvement, mais les sorties de conflit sont toujours difficiles et l’intersyndicale ne suppose pas la disparition des différences. Le travail dans l’unité est un progrès qualitatif pour le syndicalisme : il n’abolit pas les divergences, mais crée un cadre collectif qui rompt avec la guerre de tous contre tous et permet de civiliser les relations. Sa portée est d’autant plus grande qu’il s’agit d’un accord au sommet qui s’est reproduit en bas, dans les branches, dans les entreprises, voire localement, et qui peut se réinvestir dans d’autres types d’actions communes. Un autre facteur favorable a été la conduite assez démocratique de la mobilisation puisque chacun était invité à participer selon ses moyens ou ses souhaits, en semaine et/ou le samedi, par la grève ou non. On a pu noter la présence progressive de catégories de salariés peu touchées ordinairement par les syndicats : des plus jeunes, des salariés de PME. Enfin, ce n’était pas une mobilisation du secteur public, mais bien un mouvement interprofessionnel et intercatégoriel.

Affaiblissement, renforcement, la question est la suivante : les formes prises par le conflit permettront-elles de desserrer l’étau de la sous-syndicalisation des salariés ? Tout cela donnera-t-il l’envie à un nombre croissant d’entre eux de s’engager dans le syndicalisme. La CFDT et la CGT annoncent un afflux d’adhésions. Il est trop tôt pour savoir s’il s’agit d’autre chose que d’un frémissement ou si cela amorce un mouvement nécessairement long de resyndicalisation. Cet indicateur sera le juge de paix véritable de leur renforcement ou de leur affaiblissement.

Jean-Pierre Basilien Directeur d’études à Entreprise & Personnel

Désigner dès aujourd’hui des ? gagnants et des perdants parmi les acteurs sociaux à propos de la réforme des retraites a-t-il un sens ? Bien sûr, on pourra dire que le gouvernement a pu obtenir le vote d’un texte sans avoir fait de concessions majeures sur son projet initial. Est-il pour autant le gagnant de la situation ? Les syndicats n’ont pas atteint leurs objectifs respectifs (de l’ouverture d’une négociation au retrait pur et simple du texte). Sont-ils pour autant perdants ? Et certains d’entre eux plus que d’autres ?

Les organisations syndicales ont eu une préoccupation tout au long du mouvement, celle de garder le soutien global de l’opinion. En refusant toute dérive extrémiste et en manifestant la plus grande prudence vis-à-vis de la mobilisation des jeunes tout en cherchant à conserver l’unité de l’intersyndicale le plus longtemps possible. Au risque de quelques conflits avec les fractions les plus déterminées à poursuivre la lutte coûte que coûte, comme la CGT. Elles ont, CFDT, CGT et Unsa en tête, plutôt bien réussi à garder ce cap. La vraie question est de savoir si le sens de la mesure et de la responsabilité dont elles ont fait preuve fera venir (ou revenir) les adhérents dont elles manquent actuellement pour avoir à la fois une forte légitimité et une vraie capacité de mobilisation dans les couches importantes du salariat, où le mouvement syndical n’a qu’une présence marginale. Et le temps de l’action syndicale n’est pas celui des politiques : d’autres négociations vont s’ouvrir… Quant à savoir si certaines organisations « s’en tirent » mieux que d’autres, il faudra attendre l’échéance de 2013 sur la représentativité pour l’apprécier, si tant est que l’on puisse établir une relation entre résultats aux élections professionnelles et stratégie sur le dossier des retraites. FO a ainsi voulu faire entendre sa différence : on peut douter de son impact au-delà du cercle étroit des militants.

Le vrai bilan pour le pouvoir politique, il faudra le faire en 2012. Rien ne dit que le dossier des retraites sera encore un élément déterminant du choix des électeurs. Cependant, si Nicolas Sarkozy est réélu, on dira que le courage de la réforme a payé. S’il perd l’élection, on pourra avancer que le sentiment d’injustice qui s’est cristallisé dans la protestation contre la réforme des retraites aura été le tournant politique duquinquennat. La prudences’impose donc avant de porter des appréciations.

Dominique Reynié Professeur à Sciences po, directeur général de la Fondation pour l’innovation politique

Les syndicats sont entrés dans une opposition très forte, mais sans pouvoir contrarier le processus. S’ils assurent avoir formulé des propositions alternatives, elles n’ont jamais été comprises, ni même entendues par l’opinion. La Fondation pour l’innovation politique a réalisé une enquête d’opinion, à la veille de la manifestation du 6 novembre : 66 % des Français considéraient que « les syndicats se sont opposés à la réforme mais sans être en mesure de présenter une autre proposition ». 55 % des personnes interrogées jugeaient qu’aucun des syndicats n’a fait de proposition crédible. La CFDT est jugée la plus crédible, mais avec un score très faible (25 %), devant la CGT (23 %), FO (10 %), la CFTC (6 %), la CGC (5 %), SUD/Solidaires (3 %) et l’Unsa (1 %).

Les syndicats n’ont, ensuite, jamais été en mesure de présenter une position commune. Certes, ils ont pu, ensemble, critiquer le sort réservé à ceux qui sont entrés très tôt dans la vie active, mais ils avaient des raisons contradictoires de fustiger le texte proposé. Ainsi, la CGT ou FO dénonçaient l’injustice de la réforme tout en refusant que soit remis en cause le sort des régimes spéciaux ou des salariés de la fonction publique, tandis que la CFDT comptait au contraire ces exceptions dans les éléments signant l’injustice de la réforme. De même, les syndicats n’ont pas été en mesure de contenir la politisation du mouvement social. Fait significatif, l’hostilité au recul de 60 à 62 ans de l’âge du départ à la retraite n’est majoritaire que chez les répondants se classant à gauche ou chez les électeurs d’Olivier Besancenot et de Ségolène Royal. La politisation de l’hostilité à la réforme a été d’autant moins favorable aux syndicats que 51 % des Français pensent que l’opposition ne ferait ni mieux ni moins bien si elle était au pouvoir, tandis que près d’un quart pensent qu’elle ferait moins bien.

Enfin, les syndicats ont perdu la bataille parce que les modalités de l’action collective ont peu à peu sapé la sympathie que l’opinion pouvait initialement éprouver pour le mouvement. Une large majorité a jugé « inacceptables » les « blocages d’entreprises, d’axes de circulation ou de dépôts de carburant ». Au sortir de cette crise, les syndicats ont montré que si leur opposition pouvait être déterminée, elle était impuissante. Ils doivent désormais entamer d’urgence un travail de reconstruction de leur crédibilité. Cela passe nécessairement par des propositions visibles et fiables.