Les inégalités entre les sexes persistent dans le monde du travail, mais les femmes gagnent du terrain et réussissent mieux leurs études. Une lame de fond qui devrait mener à une petite révolution.
Fabrice Luchini a l’air furibard : « Mais qui c’est le patron ici, nom de Dieu ? » lance-t-il comme une dernière bouteille à la mer. « C’est moi », lui répond calmement sa femme, Catherine Deneuve, royale, brushing ultralaqué et tailleur Chanel. Potiche, le nouveau film de François Ozon, se déroule en 1977. Mais il est bien d’aujourd’hui. Cet été, le magazine américain The Atlantic a jeté un pavé dans la mare, que l’on croyait pourtant bien asséchée, de la guerre des sexes : « The end of men », titrait-il en couverture. Quelle actualité nous valait donc cette prophétie à la Fritz Lang ? Une date symbolique. Début 2010, pour la première fois de l’histoire américaine, les femmes devenaient majoritaires dans la population active. Partie émergée de l’iceberg, ce chiffre révèle en fait un raz de marée et, selon l’auteur de l’article, annonce une révolution dont il va falloir gérer les conséquences sociales dans les cinquante prochaines années.
En France, le cap fatidique n’a pas encore été atteint : « seulement » 47 % de la population active est féminine. Mais, dans le détail, nos statistiques montrent que nous vivons une révolution similaire à celle qui ébranle l’économie américaine. Aujourd’hui, 70 % des filles décrochent le bac, contre 59 % des garçons ; on compte 65 % d’étudiantes en première année de médecine et 7 femmes sur 10 dans les écoles de formation du barreau. Elles réussissent mieux le concours de l’ENM et représentent plus de la moitié des magistrats en exercice. Le secteur de l’assurance a recruté 58,1 % de femmes en 2008. Dans la banque, 61,6 % des embauchés parmi les moins de 30 ans sont des femmes qui comptent pour 56,2 % des effectifs.
Il ne s’agit plus de gérer l’égalité mais bien l’effet de masse, voire la supériorité numérique, qui change de camp. Pour maintenir une mixité équilibrée, on voit maintenant, aux États-Unis comme en France, des jurys de concours privilégier des garçons là où les filles sont meilleures. C’est une réponse bien artificielle et un renoncement inacceptable aux principes de la méritocratie républicaine et de la sélection sur compétences… Surtout, cet exemple montre combien l’obsession de l’égalité peut générer de l’inégalité. Et que personne n’y gagne, ni les femmes ni les hommes. Ce travers est bien français et la persistance à ne pas regarder la réalité en face nous mènera dans l’impasse. Comment un ministre du Travail, par exemple, alerté sur le problème de la retraite des femmes par le Laboratoire de l’égalité, a-t-il pu rétorquer que ce n’est pas le sujet ? Pourquoi a-t-il fallu attendre, dans certaines entreprises, que la fille du P-DG entre dans la vie active pour que son père prenne conscience des difficultés d’une carrière au féminin ? En Europe du Nord, plusieurs pays travaillent déjà à une gestion intelligente de la mixité. Comme l’illustre notre enquête, qui dresse un tableau encore bien sombre de la réalité des femmes au travail, la route va être longue. Mais il va falloir se décider à l’emprunter, car les filles arrivent en masse.
22 décembre 1972
Loi sur l’égalité de la rémunération entre les hommes et les femmes.
11 juillet 1975
Loi modifiant le Code du travail : les discriminations fondées sur le sexe, notamment à l’embauche, sont sanctionnées.
13 juillet 1983
Loi Roudy réformant le Code du travail et le Code pénal et imposant l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes. Ce texte exige aussi des entreprises de plus de 50 salariés qu’elles établissent un rapport de situation comparée entre les hommes et les femmes, disposition qui n’a jamais été appliquée.
9 mai 2001
Loi Génisson sur l’égalité professionnelle hommes-femmes qui actualise et renforce la loi de 1983 et réglemente le travail de nuit des femmes.
16 novembre 2001
Loi relative à la lutte contre les discriminations à l’emploi. Elle précise le régime juridique de la preuve et la notion de discrimination.
23 mars 2006
Loi sur l’égalité salariale entre les hommes et les femmes. Elle vise à supprimer les écarts de rémunération dans le secteur privé, à permettre de mieux articuler vie professionnelle et vie privée et à développer l’accès à la formation professionnelle.