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Politique sociale

Le fabuleux trésor de la CFTC du Commerce

Politique sociale | publié le : 01.11.2010 | Stéphane Béchaux

Couvrant de larges pans du secteur tertiaire, la CSFV reçoit beaucoup d’argent du paritarisme. Des sommes très supérieures à ses besoins militants. Résultat, elle investit dans la pierre.

Rentrée « sportive » à la CFTC Commerce, services et force de vente (CSFV). Depuis début septembre,laplus grosse fédération de la centrale chrétienne est en pleine effervescence. Pour cause de manifs sur les retraites ? Aucunement. De luttes contre le travail dominical ? Pas davantage. De conflits salariaux dans les entreprises de la distribution ? Toujours pas. Non, l’équipe fédérale s’active pour faire et défaire des cartons et aménager des bureaux. À l’étroit dans ses 350 mètres carrés de la rue du Faubourg-Saint-Martin, la CSFV s’est en effet offert… un immeuble de neuf étages avec deux sous-sols renfermant 50 places de parking. Soit 4 150 mètres carrés de bureaux, sans compter les 900 mètres carrés d’un très agréable jardin privatif. Le grand luxe, quoi, pour une fédération née de la fusion, en 1999, de trois structures sans le sou, employant une petite dizaine de collaborateurs !

Pour financer cet investissement princier de 16 millions d’euros, travaux inclus, l’organisation a revendu quatre étages – dont un à la Fédération CFTC de la santé – et emprunté 5,4 millions d’euros sur quinze ans et demi. Mais aussi puisé dans son trésor de guerre : la CSFV disposait alors d’environ 4 millions d’euros de cash, sans compter 1,7 million d’euros issu de la vente de son précédent siège, remboursé à 80 %. « Notre fédération n’est pas riche. Notre objet n’est pas de faire de la trésorerie mais de l’activité syndicale. Or celle-ci ne sera pas du tout affectée par l’achat des locaux », se défend pourtant son président, Patrick Ertz.

Location lucrative. De fait, l’investissement immobilier ne va même pas peser sur les comptes. N’ayant aucun besoin de cinq étages, la fédération va en louer trois. Ou deux, si elle consent à vendre encore un niveau. « À raison de 132 000 euros par plateau et par an, ça couvrira une bonne partie de notre emprunt », se félicite son président. Un montage approuvé par l’expert-comptable, Jacques Gressier, mais risqué : le fisc pourrait y voir une activité lucrative, synonyme de TVA et d’impôt sur les sociétés. La CSFV ne gardera pour son usage propre que deux étages, plus le vaste rez-de-chaussée. De quoi abriter ses équipes, organiser formations et réunions et loger les syndicats franciliens volontaires. Mais attention, pas gratis ! Au prix du marché, soit 290 euros le mètre carré par an. Un tarif prohibitif pour bien des structures. La décision a d’ores et déjà fait deux victimes : les syndicats du nettoyage et du commerce, chassés de leurs locaux jusqu’alors payés par la fédération.

Du haut de leurs vastes bureaux du neuvième étage, avec vue imprenable sur le Sacré-Cœur, les dirigeants de la CSFV ne sont pas peu fiers de leur achat. Qui laisse pourtant songeur, à l’heure où la CFTC, engagée dans une opération survie, devrait concentrer toute son énergie sur le développement syndical. « Si on perd notre représentativité dans certaines branches, on sera bien content d’avoir des locaux pour continuer à fonctionner, rétorque Patrick Ertz. En cas de coup dur, on pourra même vendre des étages. »

L’aisance financière de la structure ne doit rien, il est vrai, à la force de ses implantations. Sécurité, propreté, restauration, hôtellerie, grande distribution, commerce de détail, travail temporaire, assurances, bureaux d’études, agroalimentaire, informatique, notaires, VRP, immobilier, tourisme… La CSFV couvre d’immenses pans du secteur tertiaire. Des déserts syndicaux, pour l’essentiel. Des 23 000 adhérents revendiqués, on ne trouve ainsi trace que de 17 400 dans ses documents internes. Beaucoup, à l’échelle de la CFTC, mais très peu au regard de son champ d’intervention.

Ces troupes clairsemées font, paradoxalement, sa force financière. « Sa petite taille fait sa richesse. La CSFV reçoit énormément d’argent du paritarisme mais a peu d’occasions d’en dépenser », commente un ex-syndicaliste, employé d’un cabinet d’expertise comptable spécialisé dans les CE. À raison de 14,76 euros par adhérent, la structure encaisse théoriquement 214 000 euros de cotisations par an. Une paille dans un budget annuel d’environ 3,5 millions d’euros. Pour vivre, la fédération s’abreuve à trois sources principales, comme le montrent les comptes 2008 : les Opca (795 000 euros), les accords de branche de financement du paritarisme (1,4 million d’euros) et les conventions avec les organismes de protection sociale (827 000 euros) ; les deux premières posant particulièrement question.

Forco, Fafih, Intergros, Agefaforia, FAFTT, Fafiec, FAF Propreté, Opcad, Opcassur… La liste des Opca dans lesquels siège la CSFV est impressionnante. Plus encore si on y ajoute les petites branches professionnelles qui gèrent leurs fonds sous l’égide d’Agefos PME et d’Opcalia. À tel point que la CSFV s’avère parfois incapable de désigner des administrateurs issus du métier. Ex-agent de parking, son secrétaire général adjoint, Joël Chiaroni, participe ainsi à la gestion des fonds de… la propreté, du commerce de gros ou de l’alimentation de détail ! Une présence indispensable pour que la fédération décroche sa part du 0,75 % de la collecte reversé aux partenaires sociaux au titre de la gestion paritaire des fonds. Des sous que la CSFV ne peut dépenser à sa guise. « En février, on remet à chaque Opca un rapport d’activité et un rapport financier pour justifier de l’utilisation des sommes », assure Jean-Marc Delporte, le trésorier. Ce qui oblige le syndicat à une drôle de gymnastique (voir encadré). Pas simple de consommer, chaque année, 1 million d’euros issu d’une vingtaine d’Opca…

Autres riches mécènes, les branches.Dansdenombreuses conventions collectives du commerce de détail (habillement, poissonnerie, lunetterie, confiserie, fleuristes, non alimentaire…), les partenaires sociaux ont signé des accords de financement du paritarisme imposant aux entreprises des contributions assises sur leur masse salariale. D’autres secteurs, comme les sociétés de conseil ou l’artisanat, ont fait de même. Selon les cas, l’utilisation des subventions est plus ou moins encadrée. Mais jamais scrutée à la loupe. En 2008, la CSFV confie ainsi avoir touché quelque 700 000 euros d’arriérés de l’Association d’étude et de suivi de l’aménagement du temps de travail dans les métiers du savoir (Adesatt). Au titre du financement d’études et d’enquêtes. La CSFV a beau jurer n’utiliser les recettes du paritarisme que conformément à leur objet, il est permis d’en douter. À chaque exercice, la structure se retrouve très excédentaire, de plus ou moins 500 000 euros. En 2008, elle a même dégagé près de 1 million d’euros de bénéfices, malgré un versement à la CFTC de 175 000 euros pour sa campagne prud’homale et une provision de 250 000 euros pour son congrès fédéral de 2011. « On mettait trop d’argent de côté. C’est pour ça qu’on a voulu faire un investissement immobilier », reconnaît le trésorier.

La liste des Opca dans lesquels siège la CSFV est impressionnante. Une présence indispensable pour que la fédération décroche sa part du 0,75% de la collecte reversée aux partenaires sociaux

Voyages en première classe. Des économies amassées alors même que la CSFV a mené grand train au cours des dernières années. Voyages en première classe, nuits d’hôtel au Mercure, repas festifs… Les déplacements ne se font jamais au rabais, même si un récent règlement financier est venu cadrer plus strictement les dépenses. La fédération ne mégote pas non plus sur les rassemblements syndicaux. Prévu à La Baule, le prochain congrès fédéral ne devrait pas échapper à la règle. De quoi rendre jalouse la confédération, qui a beaucoup galéré pour boucler son déménagement dans son futur siège de Pantin…

Cette aisance ne fait pas pour autant de la CSFV un modèle de GRH. Officiellement, sa secrétaire générale, Isabelle Lépingle, travaille pour un organisme de formation nordiste, JustiCE. Sauf que son principal client n’est autre que… la CSFV, qui la sollicite pour ses formations en bureautique. Le catalogue 2010 en comptabilise 37, facturées 498 euros par personne aux CE… Son adjoint, Joël Chiaroni, a, lui, été employé pendant cinq ans comme « conseiller technique » du syndicat du nettoyage. Un poste sans rapport avec ses deux missions : représenter la fédération dans les déserts syndicaux et « trouver des budgets complémentaires ». Quant à la comptable, elle était l’an dernier rémunérée comme… autoentrepreneur !

De piètres formations. La fédération pourrait au moins faire profiter ses adhérents de sa richesse. Hélas ! sinon un magazine de qualité et un service juridique performant, ses services se révèlent limités. Elle a, certes, officiellement formé 294 militants au cours du premier semestre 2010. Mais ses formateurs ne sont pas tous de haute volée, de l’aveu même des dirigeants. « Comment peut-on confier la responsabilité d’une formation intitulée “Comment développer sa section ?” à une personne qui ne l’a pas développée elle-même depuis dix ans ? » interrogeait, lors du conseil fédéral de juin, une responsable. Un exemple parmi d’autres. Lors de cette réunion, la piètre qualité des sessions a été admise par tous, président inclus.

En interne, la grogne ne s’exprime qu’à mots couverts car l’appareil est bien verrouillé. Mais le malaise existe. On ne compte plus le nombre de structures en bisbilles avec la CSFV, souvent pour des histoires de gros sous. Le syndicat du nettoyage est sous tutelle, celui du commerce mal vu, celui du tourisme francilien en procès, celui de l’hôtellerie-restauration moribond depuis qu’une partie des troupes a rejoint SUD… Prévu en mars, le congrès fédéral s’annonce agité. Candidat à un deuxième mandat, Patrick Ertz pourrait y affronter une équipe d’opposants, en désaccord sur le fonctionnement interne et la stratégie, emmenée par le syndicat historique du commerce (Seci). L’actuel président devrait néanmoins pouvoir compter sur la bienveillance de l’équipe confédérale, dont il est un indéfectible soutien. Un atout de taille, au moins jusqu’au 51e congrès, en novembre 2011, qui verra l’élection du successeur de Jacques Voisin.

Petites et grosses ficelles pour obtenir les sous des Opca

Depuis 1996, les Opca reversent 0,75 % de leur collecte aux partenaires sociaux de branche. De très généreux donateurs pour la CSFV qui, relevant d’une vingtaine d’Opca, récupère aux alentours de 1 million d’euros. En théorie, ces sommes peuvent rémunérer quatre types de missions : la prévision des besoins en compétences dans le secteur, la définition des règles d’intervention et de répartition des fonds, la promotion de la formation auprès des entreprises et la surveillance du fonctionnement des Opca. Mais, en pratique, les partenaires sociaux ont une vision très extensive de ces missions. À la CSFV, on passe au crible fin tous les postes de dépenses : salaires des permanents, frais de mission, presse interne, location de salles, frais immobiliers, moyens matériels, réunions, formations dédiées…

Et on impute une part de ces dépenses à chaque Opca. Au motif que les permanents passent une partie de leur temps à traiter de questions de formation, que le journal y consacre des articles, que les réunions traitent du sujet.

À raison de quelques points de pourcentage par organisme, la CSFV a tôt fait de couvrir une large part de ses frais de fonctionnement par ce biais. « Jusqu’en 2006, au moins, on justifiait les mêmes dépenses auprès de plusieurs Opca. Des formations financées par la confédération sur des dotations publiques étaient même refacturées plusieurs fois », confie un ancien membre du bureau fédéral. Des pratiques démenties par l’équipe en place. Que les fonds soient bien utilisés ou non, aucun risque, en tout cas, de se faire prendre. Payeurs aveugles, les Opca n’exigent aucun justificatif des dépenses. Ils se contentent, pour verser les fonds, de très succincts rapports déclaratifs. Ils peuvent, certes, être contrôlés. Mais l’Igas et la Cour des comptes n’ont pas de pouvoir de sanction. La DGEFP, si. Mais son corps de contrôle, en équivalent temps plein dédié, n’atteint pas… un agent ! De quoi fouiner, au mieux, dans un à deux Opca par an. En cas de versement indu du 0,75 %, la DGEFP peut redresser le collecteur d’un chèque du même montant pour le Trésor public. Mais pas les destinataires des sommes : les partenaires sociaux ne ? relèvent pas de son champ d’intervention !

Auteur

  • Stéphane Béchaux