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Métropoles

Un modèle social percuté par la récession

Métropoles | publié le : 01.11.2010 | Sandrine Foulon

Malgré un fort brassage international subsiste un consensus sur la place des salariés dans l’entreprise et la nécessité de préserver leur bien-être. Dans le secteur public également.

Les salariés alsaciens ont beau traverser facilement le Rhin, attirés par des salaires plus élevés, ils rechignent en revanche à franchir la ligne bleue des Vosges. Les relations de travail dans les entreprises alsaciennes ont longtemps dissuadé de nombreux salariés de s’exiler dans la « France de l’intérieur ». Et si l’Insee constatait en 2008 un renversement de tendance par rapport à la décennie précédente avec plus de départs que d’arrivées, « l’Alsace est une région que l’on quitte peu. Le taux annuel de départs y est l’un des plus faibles de France ».

Le management à l’alsacienne y serait-il pour quelque chose ? Difficile à dire, d’autant que le patronat traditionnel s’est beaucoup mondialisé, les grandes familles ont cédé leurs parts à des actionnaires internationaux, et des multinationales allemandes, suisses, américaines ou japonaises ont choisi de s’installer dans la région. Les success stories familiales comme l’entreprise d’électricité Socomec, à Benfeld, se font désormais plus rares. Ainsi, après un passage par Danone, les brasseries Kronenbourg ont été rachetées en 2008 par le danois Carlsberg, avec, à la clé, un plan de relance et 214 suppressions de postes (sur 1 350). Malgré ce fort courant international, les fondamentaux subsistent néanmoins, décode Francis Meyer, de l’Institut du travail de Strasbourg. « Il existe un consensus dans les entreprises pour que les salariés “durent” le plus longtemps possible. On peut voir cela comme une forme de paternalisme. Mais il est issu du droit allemand où le rapport d’homme à homme est fondamental. La confiance doit être gagnée et, une fois qu’elle l’est, on n’a pas le droit de la rompre. C’est tout le contraire du droit anglo-saxon qui repose sur le contrat et ignore l’individu. »

Longtemps, pour désamorcer les conflits et dégonfler toute velléité syndicale, les entreprises ont conclu des accords, au-delà du minimum légal, favorisant le bien-être des salariés. Même tendance dans le secteur public. C’est encore le cas, même si la crise est venue écorner le modèle.

Une industrie en demi-teinte

Réputée pour sa politique sociale avantageuse, l’usine Eli Lilly de Fegersheim connaît quelques revers. Au grand dam de l’intersyndicale qui dénonce par ailleurs des problèmes de souffrance au travail, la direction vient d’annoncer un plan de départs volontaires de 198 personnes. Encore en négociation avec les syndicats, qui redoutent un dépeçage de la filiale française du spécialiste de l’injectable stérile « qui reste bénéficiaire », la direction entend prendre son temps. « Notre activité insuline est pérenne. Nous allons continuer d’investir environ 6 % dans la formation des salariés. Nous anticipons une perte d’activité sur un anticancéreux qui représente 2 % de l’activité mais très chronophage en ressources humaines. Nous voudrions commencer à mettre en place cette réorganisation vers mars 2012 mais sans nous fixer de date butoir. Nous prendrons le temps qu’il faudra pour négocier le meilleur accompagnement possible », plaide Josiane Savarin, porte-parole d’Eli Lilly.

Du côté de chez Hager (10 000 salariés dans le monde dont 2 700 à Obernai), on savoure en revanche l’indépendance financière d’une entreprise familiale toujours dirigée par le fils de l’un des deux frères fondateurs, Daniel Hager. Le fabricant de matériel électrique et spécialiste du bâtiment intelligent vient de définir son nouveau projet d’entreprise à… cinq ans. Investissements dans la formation des salariés, dans les bâtiments afin que l’usine de disjoncteurs d’Obernai devienne à terme la plus compétitive au monde. Hager ne manque pas d’idées. L’entreprise a également signé l’an passé un accord seniors. « Nous avons mis au point des systèmes de rendement de travail adaptés à la situation de santé des salariés. Si une ligne de production doit sortir un nombre de pièces dans un temps défini, on recalcule ce taux en fonction de l’âge ou de la santé du salarié », détaille Franck Houdebert, le DRH du site, qui veut s’attaquer au système de gestion des carrières. Plus au sud, à Erstein, la filiale française de Würth (3 600 salariés, dont 2 700 commerciaux), le groupe allemand au blason rouge, fabricant mondial de vis et de fixations, se félicite également d’avoir signé un accord seniors avec des objectifs d’embauche chiffrés mais aussi en faveur des handicapés. Inspiré par le modèle de formation allemand, le groupe mise sur l’alternance pour intégrer des jeunes recrues. « Nous avons lancé un programme pour accueillir jusqu’à 450 contrats de professionnalisation par an. Fin août, nous en avions 220 », énumère Luc Greth-Merenda, le DRH du site. Et l’entreprise en est à sa troisième promotion de jeunes vendeurs en apprentissage. « La formation se déroule sur deux ans avec un CDI à la clé et concerne chaque année une trentaine de bacheliers. » Car, chez Würth, peu importe le diplôme à l’entrée, c’est le terrain qui fait la différence.

Le public joue l’équité sociale

Premier employeur de la région, les Hôpitaux universitaires de Strasbourg sont une ville dans la ville : le personnel médical compte 2 819 personnes (dont 413 internes et 1 013 étudiants), le non médical en emploie 8 600. Et, du point de vue des RH, il n’y a pas de quoi chômer. « Avant, nous avions un gros chantier tous les quatre à cinq ans. Aujourd’hui, nous sommes en restructuration permanente », commente Alain Brugière, le DRH. De fait, pour résorber un déficit de 15 millions d’euros en 2008, ramené à 10 millions en 2009, l’hôpital s’est engagé dans un plan de retour à l’équilibre (PRE). Il a réalisé 5 millions d’euros d’économie sur le personnel non médical grâce à une restructuration des services qui doublonnaient (création d’un pôle logistique mais suppression des cuisines de l’hôpital de Hautepierre, de l’imprimerie, de postes d’agents d’entretien…).

À terme, le PRE prévoit la suppression d’un peu moins de 200 postes, mais aussi de quatre jours de RTT pour les aides-soignantes et les infirmières.Encontrepartie,le CHU a obtenu une enveloppe de 450 000 euros pour le maintien des bonifications liées à l’avancement et 400 000 euros supplémentaires pour payer une partie des heures sup. « Nous proposons un accompagnement à tous les agents dont le poste est supprimé, poursuit le DRH. Après questionnaire individuel, nous leur demandons s’ils souhaitent intégrer la fonction publique hospitalière pour ceux qui n’y étaient pas, ou s’ils veulent conserver leur ancien statut. » L’hôpital entend par ailleurs réduire l’emploi précaire. « On avait prévu 184 mises en stage, le stade précédant la titularisation. Nous en sommes à 315 aujourd’hui », souligne Alain Brugière, qui sait que les plans d’économie sont loin d’être terminés.

Autre poids lourd, l’université de Strasbourg vit également de profonds bouleversements. Parmi les premiers établissements à être devenus autonomes, l’UDS est aussi le plus grand de France avec la fusion, l’an dernier, des universités Louis-Pasteur, Marc-Bloch et Robert-Schuman et de l’IUFM, soit 42 000 étudiants, 5 200 personnes (dont 2 500 enseignants-chercheurs) et 86 unités de recherche. « Nous avons commencé par harmoniser les régimes, explique Hugues Dreyssé, vice-président de l’UDS chargé des RH. Nous avons aligné les primes des personnels de catégorie C vers le haut. Et revu à la hausse en 2010 les indemnités de tous les Biatos [personnels des bibliothèques, ingénieurs, administratifs, techniciens, ouvriers et de services]. » L’université a signé au printemps une convention de gestion des personnels contractuels Biatos afin qu’ils bénéficient des mêmes conditions de travail et de progression de carrière que leurs collègues fonctionnaires. Dans le même esprit, l’UDS a signé en juillet une convention de gestion des enseignants-chercheurs contractuels et des enseignants vacataires. « Nous ne voulons pas détruire des emplois de fonctionnaires et les remplacer par des contractuels. L’idée maîtresse est de faire en sorte que nous puissions avancer ensemble. Et cela passe par le dialogue social. »

Par l’excellence également. Et par un partenariat étroit avec les entreprises. C’est notamment le rôle du cluster Alsace BioValley qui promeut les sciences de la vie et de la santé en Alsace. « Depuis 2005, 34 entreprises ont été créées dans cette filière, ce qui signifie 1 725 emplois directs et indirects », se réjouit Nicolas Carboni, le directeur de ce pôle de compétitivité qui soutient des projets phares comme l’institut hospitalo-universitaire pour lequel la Ville s’est portée candidate. « Notre force, chez Alsace BioValley, c’est de travailler en cohérence avec 11 partenaires – Adira, CCI, Alsace International… – sans nous marcher sur les pieds. On recherche la cohérence. »

600 entreprises internationales emploient 50 000 personnes, soit 44 % des effectifs industriels de la région.

Source : Bureau Alsace.

3e pôle scientifique français avec 4 350 chercheurs. L’Alsace cherche à les attirer. À l’université de Strasbourg, sur le modèle des grands groupes privés, une cellule a été spécialement créée pour inciter les chercheurs et leur famille à s’installer dans la région.

Des associations et des lieux d’échange foisonnants

L’économie sociale et solidaire est fortement ancrée en Alsace. Issus de l’humanisme rhénan, sont nés dans la vallée moult coopératives et établissements mutualistes (la première caisse de Crédit mutuel voit le jour en 1882 à La Wantzenau, près de Strasbourg…) qui procurent aujourd’hui 11 % des emplois de la région. Autre particularisme alsacien, les associations de droit local, qui peuvent avoir des activités à but lucratif, abondent sur le territoire.

En marge d’un tissu associatif fort, les lieux d’échange se sont multipliés sous la forme de clubs et de réseaux. Du côté des DRH, l’ANDRH du Bas-Rhin encourage les contacts avec les 120 professionnels du réseau. Dans la tradition du stammtish, la table des habitués où l’on se retrouve pour discuter autour d’un verre, les étudiants du master RH de l’EM de Strasbourg ont lancé un café RH où les DRH viennent débattre avec eux. À l’initiative d’EM partenaires, l’Interclubs Alsace réunit des chefs d’entreprise. Plus largement, le Cercle de l’Ill, club franco-allemand, regroupe tous les acteurs de la vie politique et de la société civile qui comptent dans le Rhin supérieur. Cooptés, ses 600 membres peuvent échanger sur les enjeux économiques et sociaux locaux. Dernière-née de ces lieux de rencontre, la délégation strasbourgeoise de l’association des Femmes chefs d’entreprise (FCE) a été officialisée en juillet 2009.

Auteur

  • Sandrine Foulon