Dirigeants, syndicalistes, formateurs, avocats…, leur engagement dans la vie sociale et économique de la métropole régionale contribue à son dynamisme.
Un go between du social
Francis Meyer est à l’image de l’Institut du travail (IDT) de Strasbourg : dynamique, innovant, mais très discret. L’IDT a pourtant de quoi pavoiser. Créé en 1955 par le professeur de droit Marcel David, l’institut a fait des petits : l’Hexagone en compte une dizaine aujourd’hui. Sa mission : offrir une formation universitaire aux représentants du personnel et aux conseillers prud’homaux, essentiellement FO, CGT et CFDT, les partenaires historiques. Financée par le ministère du Travail, l’équipe d’enseignants-chercheurs de l’IDT multiplie les initiatives. « Depuis six ans, nous avons mis en place un site, dialogue-social.fr, qui travaille autour des questions de pénibilité et de retraite », rappelle cet enseignant-chercheur, fin connaisseur des relations sociales. Unique en son genre, le site, dont la Direccte est partenaire, sensibilise branches professionnelles et entreprises à ces questions au niveau national. Localement, ce travail a donné lieu à de nombreuses rencontres, journées d’études, interventions en entreprise. De quoi favoriser les échanges entre le monde syndical et le monde patronal, et nourrir ainsi le dialogue social territorial. S. F.
Défendre l’industrie
A la tête de l’Union des industries du Bas-Rhin (UIBR) depuis 2008, René Bernadac, 57 ans, depuis vingt ans chez Eli Lilly dont huit aux États-Unis, a fort à faire pour remobiliser une industrie ébranlée par la crise. Avec quelque 300 adhérentes, l’UIBR – l’ancienne chambre patronale créée en 1919 qui s’est dissociée de l’UIMM et qui rassemble des entreprises de la métallurgie, des brasseurs, des groupements hôteliers… – joue la synergie territoriale grâce à un travail de réseau et de lobbying auprès des acteurs locaux (CCI, Région, agence de développement économique…).
« On travaille ensemble tout en évitant les redondances, chacun dans son rôle. Le nôtre est de promouvoir nos métiers. Cette transversalité a permis à des entreprises de se saisir de la crise pour se relancer grâce à l’innovation ou l’international. » Mais pas d’optimisme démesuré. D’autant que le site pharmaceutique qu’il dirige à Fegersheim (voir page 43) vient d’annoncer un plan de départs volontaires. « Le tissu industriel bas-rhinois est diversifié en termes de secteurs. Ce qui lui a permis de rebondir. Mais pas aussi vitequ’en Allemagne. Et, de notre côté du Rhin, les entreprises familiales moyennes sont beaucoup plus rares. C’est une question qui préoccupe beaucoup nos clubs d’échanges », conclut le président de l’UIBR. S. F.
Dépisteuse de stress
Laurence Weibel a été une pionnière du stress en entreprise. D’abord du côté de la recherche, à la fin des années 90, à l’Université libre de Bruxelles, puis à l’INRS. Elle a ensuite poursuivi dans l’opérationnel en 2003 avec un poste de chargée de prévention du stress, créé au sein de la caisse régionale d’Alsace-Moselle, expérimentatrice du sujet dans le réseau des Cram. Auprès des chefs d’entreprise, la docteur en neurosciences de 42 ans peut véhiculer un discours scientifique « démystificateur » du stress. « Parler de ses mécanismes biologiques montre que c’est un état objectivable. Mais le taux de cortisol, par exemple, ne suffit pas à le mesurer, encore moins à le résorber. » C’est donc en observatrice de l’intérieur de l’entreprise qu’elle agit, via un subtil dosage entre analyse des indicateurs de santé, des conditions de travail, du ressenti des salariés et questionnaire sur les risques psychosociaux. Son intervention peut mobiliser employeur et salariés durant plusieurs mois. « Les dirigeants deviennent plus demandeurs. Je réponds autant à leurs sollicitations qu’à celles suscitées par les CHSCT ou les médecins, plus nombreuses au début. » C. R.
Un DRH au secours des seniors
Avec un taux d’emploi des seniors alsaciens inférieur de 2 points à la moyenne nationale (en 2005, seuls 20 % des actifs avaient entre 50 et 64 ans, selon l’Insee et l’Observatoire régional emploi-formation Alsace), Vincent Fleck, président de l’association Quinqua 67, a l’oreille de la Direccte Alsace et l’appui financier du conseil régional. « Nous sommes aussi en partenariat avec la Communauté urbaine de Strasbourg. Pour doper l’employabilité des plus de 45 ans, cadres et non cadres, une douzaine de coachs bénévoles animent des ateliers de formation, qui vont du développement personnel à la rédaction de CV. Nous organisons aussi des soirées où les seniors peuvent réseauter », détaille cet ancien DRH de 38 ans, psychologue de formation, DG de Seredis Conseil, un cabinet spécialisé en RH. Également président de l’ANDRH 67, Vincent Fleck sait que le succès de l’opération passe par les liens de Quinqua 67 avec les décideurs locaux. S. F.
Une gardienne du droit local à la CFTC
Réélue le 8 octobre pour quatre ans à la tête de l’union départementale CFTC du Bas-Rhin, Évelyne Isinger, 50 ans, se félicite de la progression du syndicat chrétien dans le département. Avec 16 000 adhérents, 550 représentants du personnel dans les entreprises, l’UD 67 reste la troisième force syndicale bas-rhinoise. Une implantation qui s’explique par une lutte sans relâche pour préserver le droit local. « Nous sommes absolument opposés à l’ouverture des commerces le dimanche. C’est un combat de société. Nous nous battons aussi pour le maintien de la rémunération en cas d’arrêt maladie. Contrairement au reste de la France, nous n’avons pas trois jours de carence », souligne cette ancienne de Rohm and Haas qui a intégré l’UD après le quatrième plan social de l’entreprise. « La dégradation de l’emploi est également l’une de nos grandes préoccupations. En 2009, le Bas-Rhin a enregistré 3 833 ruptures conventionnelles dont le consentement mutuel est dans la plupart des cas vicié. Elles concernent énormément de seniors. Par ailleurs, beaucoup d’employeurs externalisent des emplois via l’autoentrepreneuriat. Les conditions de travail se durcissent dans les entreprises alsaciennes. » S. F.
Animateur transfrontalier
Soucieuse de jouer les pivots de réseau et non les doublons, la jeune (quatre ans d’âge) Maison de l’emploi et de la formation de Strasbourg a trouvé le terrain de jeu à même de satisfaire son aspiration : le transfrontalier, franco-allemand en l’occurrence. Ce choix, ce n’est pas un hasard, correspond aux convictions personnelles de son directeur, Vincent Horvath. « Depuis mon arrivée en Alsace il y a vingt ans, je suis “travaillé” par ce souhait que les politiques publiques puissent s’exprimer à l’échelle transfrontalière qui constitue la réalité du bassin d’emploi », expose ce Lorrain d’origine de 45 ans, passé auparavant par une mission locale et la DDTEFP du Bas-Rhin. Pour la mise en pratique, la petite équipe de quatre personnes autour de Vincent Horvath enrichit les données statistiques par le recueil de la vision des entreprises constituées en un panel franco-allemand sur leurs nouveaux besoins de compétences, les mutations de leur métier. Inaugurée avec l’observation du secteur du commerce et de la distribution il y a deux ans, cette GPEC transfrontalière passe au plan d’action cet automne pour l’économie sociale et solidaire et pour quatre secteurs – dont les nouvelles thérapies médicales – identifiés comme clés du développement futur de Strasbourg. C. R.
Du terrain de foot au grand bain de l’entreprise
Il dirige les RH d’une entreprise de 1 000 personnes et pourtant son seul diplôme, c’est celui d’entraîneur de foot. Léonard Specht, 56 ans, doit sa reconversion originale à l’insistance de Robert Lohr. Visionnaire pour son affaire familiale de carrosserie industrielle qu’il a diversifiée vers le tramway ou le ferroutage, ce patron a aussi eu le nez creux en recrutant, à la surprise de l’intéressé, l’ancien international de foot champion de France avec Strasbourg puis Bordeaux, qui avait laissé l’image d’un défenseur consciencieux.
DRH depuis 2003 après avoir commencé comme commercial, Léonard Specht a fait ses preuves pendant les années fastes, mais aussi depuis la crise qui a conduit Lohr à supprimer 190 postes et à remercier tous ses intérimaires. Une réalité loin du bling-bling des pelouses, reconnaît-il. « C’est dur de dire à quelqu’un qu’il ne fait plus partie de cette entreprise vue comme une grande famille. C’est dur de voir des gens gagner moins à cause du chômage partiel ou parce qu’on ne peut pas distribuer les bénéfices qui ne sont plus là, alors que nous avions versé jusqu’à l’équivalent de deux mois de salaire. Mais je le vis avec la conviction renforcée que les expériences les plus difficiles sont aussi les plus enrichissantes. » C. R.
Formatrice tout-terrain
Connue pour son franc-parler, son goût de l’autonomie et sa propension à défricher les nouveaux terrains, Élisabeth Eschenlohr a fait du groupement d’intérêt public formation continue et insertion professionnelle (GIP FCIP) du rectorat de l’académie de Strasbourg un outil aussi visible sur la place régionale que son sigle est obscur. La structure d’ingénierie et de conseil en formation continue de 40 personnes est devenue incontournable sur des sujets comme la VAE, l’e-learning, la lutte contre l’illettrisme, le travail frontalier. Son efficacité prouvée, elle a été sollicitée par d’autres « clients » – la Région, par exemple – que son public premier : les formateurs et tuteurs des structures d’État (réseau des Greta, Jeunesse et Sports…). Par rapport à ses homologues dans les autres régions, l’antenne alsacienne se distingue aussi par ses multiples participations à des programmes européens de coopération et d’échanges d’expériences : « Un vrai bonheur que de se frotter à l’expertise de collègues que je ne considère plus comme étrangers pour voir si tel dispositif français (la VAE, par exemple) est transposable ailleurs », estime sa directrice.
Quarante ans de postes divers à l’Éducation nationale n’ont jamais émoussé son intérêt pour le monde de l’entreprise, né dans sa jeunesse de la tournée des établissements textiles de l’Est qu’elle faisait avec son père. La petite année qui la sépare de la retraite ne sera pas de trop pour mener les projets en cours. Ensuite, Élisabeth Eschenlohr pourra s’adonner à sa passion pour la botanique et l’écriture de nouvelles… C. R.
Défenseur acharné de l’emploi
On a perdu une bataille, pas la guerre. » Jean-Marc Ruhland, délégué syndical CFDT et secrétaire du CE de General Motors, a appris à relativiser. Le 19 juillet, à la suite d’un référendum organisé par la CFDT, la CFTC et FO, 70 % des salariés du site (sur un effectif de 1 130 personnes) ont accepté une baisse de 10 % des coûts de main-d’œuvre via un gel des salaires pendant deux ans, une suspension de l’intéressement jusqu’en 2013 et la suppression de six jours de RTT sur dix-sept. Une condition posée par GM Company à la reprise du site strasbourgeois sans réduction d’effectif. « Nous ne sommes pas chez Continental, martèle le syndicaliste, entré en 1977 chez GM comme mécanicien-réparateur et cédétiste depuis dix ans. Depuis la faillite de GM, il y a deux ans, nous sommes aux mains d’un liquidateur, MLC. Nous en avons vu passer des repreneurs, et si nous n’étions pas vendus en 2011, l’usine pouvait fermer. » Lorsque la « new GM », en bien meilleure santé économique, s’est portée acquéreur du site, Jean-Marc Ruhland a considéré que ce retour aux sources était la moins mauvaise solution. La direction américaine, qui exigeait l’unanimité syndicale, s’est heurtée au refus de la CGT qui a fini par s’engager, après une médiation orchestrée par le directeur départemental du travail, Pascal Appréderisse, à ne pas contester l’accord. Pour le secrétaire du CE de 52 ans, le chantage à l’emploi est dur à avaler. « Mais nous avons arraché l’assurance que les carnets de commandes seraient remplis jusqu’en 2014, se console-t-il. Et si GM nous faisait faux bond, les salariés seraient remboursés des sommes non perçues. Aujourd’hui, nous ne sommes pas en position de force. À l’époque, nous avions négocié le meilleur accord sur les 35 heures de la métallurgie. En termes de salaires, nous sommes 20 % au-dessus des grilles de l’UIMM. Il faut savoir prendre, lâcher, reprendre. » Il devra attendre les prochaines élections professionnelles, en fin d’année, pour savoir si les salariés lui donneront raison. S. F.
Un artisan du droit social
Sur les 750 avocats strasbourgeois, ceux qui défendent exclusivement les salariés se comptent sur les doigts d’une main. À l’instar d’un Luc Dörr, avocat proche de la CGT, qui traite de nombreux conflits collectifs, Philippe Grangier, 56 ans, est de ceux-là. Depuis vingt-cinq ans, l’avocat partage son temps entre la défense de cas individuels, pour la plupart des salariés licenciés pour motif personnel et envoyés par Force ouvrière, et la formation de conseillers prud’homaux à l’Institut du travail de Strasbourg (voir page 40). Et alors que les prud’hommes de Strasbourg ont connu, comme d’ailleurs beaucoup de conseils en France, un fort taux de renouvellement de leurs conseillers, les formations s’avèrent plus que jamais nécessaires. « Face à la complexité croissante du droit du travail, tous ces nouveaux venus n’ont pas toujours reçu laformation utile pour y faire face », analyse ce spécialiste du droit du travail qui note une autre évolution. « Auparavant, en défense, les avocats des cabinets proemployeurs qui n’aimaient pas plaider n’étaient pas aussi pointus. Aujourd’hui, nous devons affronter des cabinets de plus en plus gros, qui viennent parfois de Lyon ou de Paris et qui ne passent plus rien. Ils ergotent sur tous les points avec des argumentations judicieuses qui peuvent être perturbantes pour les conseillers prud’homaux. Il suffit de voir leurs conclusions. Elles sont désormais présentées avec une table des matières. Chaque point peut ouvrir la porte à des polémiques », note Philippe Grangier. À Strasbourg, les avocats prosalariés doivent ferrailler avec des Xavier Pelissier, du cabinet Barthélémy, ou des Philippe Wittner, réunis au sein de l’association des Avocats-Conseils d’entreprises. S. F.