Le Sénat a voté un amendement au projet de loi sur les retraites qui prévoit l’organisation d’un débat national en 2013. Objectif : la mise en œuvre d’une réforme structurelle qui substituerait au régime par annuités un régime par points, sur le modèle Agirc-Arrco.
Je suis convaincu que la réforme des retraites est courageuse et indispensable. Elle a le mérite de régler momentanément la question financière. Mais il ne faudrait pas avoir sacrifié à la tyrannie du présent ou au culte de l’urgence. C’est une évidence, la réforme n’a pas touché à l’essentiel : l’équité. Elle ne doit donc être qu’une étape. Nous ne ferons pas l’économie d’une réforme « systémique », plus large, plus globale, qui assurerait équité, transparence et équilibre. C’est pour cela que, depuis 2003, nous demandons le remplacement de l’annuité par le point. Il faut rapidement remettre cette réforme en chantier pour régler la question des générations. C’est notre responsabilité de trouver des solutions durables. À réformer à courte vue, on n’obtient qu’un faible bénéfice politique et on ne règle pas les problèmes. Ce que nous proposons, c’est de fixer un nouvel horizon.
La mise en œuvre d’un régime de retraite par points et l’extinction progressive des régimes spéciaux ne seraient pas un grand saut dans l’inconnu, puisqu’un bon nombre de Français relèvent déjà d’un système de retraite par points avec les régimes complémentaires. Le système par points permet de ne pas distribuer aux retraités plus d’argent que les cotisations des actifs n’en font entrer dans les caisses, sans augmenter indéfiniment les cotisations et sans avoir à recourir à l’emprunt. Ainsi, non seulement nous n’imposons pas la double peine aux générations futures, mais en plus le système est constamment équilibré. Les assurés pourraient liquider leur pension quand ils le souhaitent, « à la carte ». C’est donc un système plus juste, plus souple et plus simple, qui assure une vraie équité et qui rend justice aux carrières longues. C’est aussi un régime unique au lieu de la quarantaine de régimes que nous connaissons aujourd’hui. Les Français veulent un système plus clair, plus lisible et plus juste. Nous proposons une solution novatrice et simple, garante de la justice sociale et qui peut modifier le système en profondeur. L’Allemagne, la Suède, les États-Unis ont déjà réalisé ce changement. Non, nous n’avons pas assuré la pérennité de notre régime de retraite. Il y a fort à parier que la réforme des retraites sera de nouveau au programme de l’élection présidentielle en 2012. Il est désormais temps de permettre aux Français, salariés du privé, fonctionnaires et agents des régimes spéciaux, d’être égaux devant la retraite.
La persistance du chômage a eu des effets négatifs sur les ressources des régimes de retraite. Le rendez-vous manqué de 2008 aurait pu permettre d’y apporter des correctifs si le Fonds de solidarité vieillesse avait retrouvé l’intégralité du produit de la CSG dédié. Toute idée de ressource nouvelle ayant été écartée, seule la méthode d’allongement de carrière a été retenue. Compte tenu des problèmes économiques, on rajoute une contrainte qui s’appuie sur le recul de l’âge de départ à la retraite. Ces options conduisent inéluctablement à la paupérisation des retraités sans éviter le creusement des déficits. Dès lors, le parti pris de la présentation du prétendu échec des réformes paramétriques pour mieux vendre la réforme systémique devient flagrant mais pas pour autant convaincant. Certes, le sujet est à la mode et les partisans d’un passage à un système en comptes notionnels (ou régime par points) attribuent à ces dispositifs de nombreuses vertus : meilleur pilotage à long terme, plus grande équité, partage des risques entre actifs et retraités plus équitable, sans parler d’une visibilité et d’une transparence optimisées.
En dehors des difficultés que représente un tel changement pour un pays qui totalise 35 régimes se posent plusieurs questions : faut-il se priver de la possibilité de faire évoluer le taux de cotisation des retraites ? N’utiliser que la variable d’ajustement du rapport démographique revient à sortir du débat public le dossier sans tenir compte des contraintes économiques et sociales. En période de récession, ces mécanismes conduisent, comme ce fut le cas en Suède, à réduire le montant des pensions. Autre conséquence, le renforcement du caractère contributif conduit à affaiblir la capacité des systèmes de retraite à réduire ces inégalités, sachant que celles-ci auront tendance à augmenter. L’obligation de mettre en œuvre des mécanismes de solidarité pour compenser les inégalités fragilise les arguments de ceux qui souhaitent, au travers de ces réformes, une plus grande simplification de nos régimes de retraite. Quand bien même les partenaires sociaux seraient capables de gérer sans intervention de l’État un grand régime unique, ce n’est ni envisageable ni souhaitable. La responsabilité de l’État doit demeurer. Le débat doit rester public et concerner la représentation nationale. Notre système est perfectible, certes, mais ce n’est pas une raison suffisante pour en changer.
La prochaine réforme des retraites devra d’abord être financière. La gauche s’est engagée à geler la réforme actuelle dès 2012 et à lui substituer des paramètres plus justes. En tout état de cause, il faudra y revenir au plus tard en 2018 : la pérennité financière du système n’est pas assurée au-delà. Mais l’architecture de notre système de retraite présente des défaillances « systémiques » majeures qu’il est urgent de traiter.
La première est l’illisibilité. En Suède, tous les ans, dès l’âge de 28 ans, une « enveloppe orange » est envoyée à chaque assuré et lui fournit les informations sur ses droits individuels cumulés. Pourquoi n’y arriverait-on pas en France ? La solution : créer, au sein du système par répartition et de ses garanties collectives, un régime en comptes personnels. Ils fournissent à tout instant le montant des droits individuels acquis. Des comptes en euros (comptes « notionnels »), à l’instar de la réforme suédoise, plutôt que des comptes par points, sur le modèle Agirc-Arrco : ils garantissent les droits acquis.
Le second problème est l’absence de prise en compte des demandes sociales contemporaines. Le système français, construit sous l’ère industrielle, est standardisé : les mêmes paramètres pour tous. Il répond mal aux demandes actuelles d’individualisation des choix de retraite. L’enjeu : l’avènement de la retraite à la carte. Il s’agit d’une réforme fondamentale : demain, les choix de la retraite ne seront plus faits par l’État, mais par les citoyens. Certains préfèrent partir plus tôt, quitte à avoir une retraite moins importante. D’autres souhaitent travailler plus longtemps parce qu’ils aiment leur travail, que leur conjoint plus jeune continue à travailler, qu’ils ont encore des enfants à charge dans le cadre d’une famille recomposée, ou tout simplement parce qu’ils veulent une retraite plus élevée. D’autres encore entendent cotiser plus fortement pour amonceler plus de droits.
Ces choix individuels sont difficiles, voire impossibles, dans le système actuel. Ils seront au cœur de la retraite « à la carte ». Ils sont rendus techniquement possibles par le système en comptes personnels. Ils sont actuariellement neutres : ils peuvent se déployer sans léser financièrement le système collectif de retraite. Pour une telle réforme de société, il faut changer radicalement la méthodologie de la réforme. Il a fallu deux ans de concertation et de négociation en Suède. Il en faudra de même en France.