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Vie des entreprises

Solublèmes

Vie des entreprises | Chronique juridique | publié le : 01.10.2010 | Jean-Emmanuel Ray

Solublème : solution créant plus de problèmes que celui qu’elle était censée résoudre. Sur ce terrain, le droit du travail se montre décidément redoutable. Après le décompte des ­salariés mis à disposition déstabilisant la mise en œuvre de la loi du 20 août 2008, le législateur le 18 mai 2010, puis la jurisprudence le 12 juillet ont rivalisé d’imagination.

Directement applicable, la loi du 18 mai 2010 « visant à garantir de justes conditions de rémunération aux salariés concernés par une procédure de reclassement » pour motif économique a ajouté une incise à L. 1233-4 : « Le reclassement du salarié s’effectue sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu’il occupe, ou sur un emploi équivalent assorti d’une rémunération équivalente. »

RECLASSEMENT « À RÉMUNÉRATION ÉQUIVALENTE »

Visant à l’origine les salaires très largement au-dessous du smic versés dans nombre de pays étrangers, cette loi s’applique donc à tous les reclassements, y compris en France : il est vrai qu’avec sa rage égalisatrice (cf. CS, 5 mai 2010, s’agissant d’une différence de prime entre sites à Montpellier et Paris : « l’allégation de la société FR3 relative au niveau du coût de la vie plus élevé à Paris qu’en Province n’était fondée sur aucun élément objectif » : donc alignement…) la chambre sociale facilite la mobilité interétablissements.

Le débat ne porte évidemment pas sur l’obligation pour le salarié d’accepter ou non un reclassement, en France ou ailleurs, avec un salaire inférieur : il a toujours eu, et garde le droit de le refuser au titre d’une modification de son contrat. La question est la nécessité pour l’entreprise de lui faire ce type de proposition dans le cadre de son obligation de reclassement, dont nul n’ignore le caractère toujours bénéfique pour le salarié : mais sur le plan indemnitaire. Car, dans les groupes internationaux, le manquement à cette obligation inatteignable (tout poste vacant, même s’il s’agit d’un bref CDD, dans toute filiale ou entreprise, en France et à l’étranger, pendant toute la procédure) est quasi certain : un moyen efficace pour la chambre sociale de majorer, dans une vision judéo-chrétienne, l’indemnisation des salariés victimes de cette faute patronale.

L’intention du législateur étant d’en finir avec des rémunérations jugées indignes (pour des Français), l’effet utile de ce texte serait donc de dispenser en règle générale l’employeur de faire de telles propositions qui l’amenaient à son corps défendant à la une des médias. Ce qui ne signifie pas qu’il ne doive pas lister précisément les postes en cause, en écartant ceux ne répondant pas à ce nouveau critère.

Mais équivalence (« qui équivaut, qui est de même valeur ») ne veut pas dire égalité : quels seront les critères d’appréciation retenus par la circulaire attendue côté DGT, puis par la chambre sociale, qui aura le dernier mot, et dont il ne faut pas escompter une affection débordante pour un texte cassant sa jurisprudence sur le reclassement urbi et orbi des salariés français, dont le monde entier nous envie la soif de mobilité et la connaissance des langues. Équivalent par rapport au salaire actuel Ou à la situation du pays, et donc au pouvoir d’achat local, rendant parfois « équivalente » au smic une rémunération de 230 euros par mois ?

Cette dernière analyse doit impérativement être écartée en raison de son extrême relativisme : taux de change jouant au Yo-Yo, imposition ici de 6 % mais là de 57 %, sans parler du brut ou du net, voire de l’éventuel procès en égalité de traitement fait par un collaborateur local choqué d’être payé, à travail identique, cinq fois moins que le travailleur français. Reclassement/déclassement : le problème est alors le troisième alinéa du même article : « À défaut d’emploi relevant de la même catégorie que celui qu’il occupe ou d’emploi équivalent, et sous réserve de l’accord exprès du salarié, le reclassement s’effectue sur un emploi d’une catégorie inférieure », emploi donc rarement « assorti d’une rémunération équivalente » et pouvant même aller jusqu’à des réductions de salaire comparables à un poste moins bien payé à l’étranger.

Si l’on veut sortir de cette logique sparadrap qui, à l’instar du décompte des salariés mis à disposition plombant la si délicate mise en œuvre de la loi du 20 août 2008, n’amuse plus que quelques théoriciens estimant que le droit est fait pour ratiociner entre juristes et non pour réguler une société, il faut du brutal, et considérer que cet ajout de quatre mots au début d’une loi « visant à garantir de justes conditions de rémunération aux salariés concernés par une procédure de reclassement » est plus important que le long article relatif au questionnaire de mobilité en forme d’autre très créatif solublème qui suit.

Et que, d’une part, le salarié privilégiant avant tout le niveau de sa rémunération, l’entreprise allant, d’autre part, rarement chercher à l’étranger des coûts salariaux supérieurs, un groupe international n’a plus à devoir proposer, dès avant le questionnaire de mobilité légalisé ensuite par le même texte, des rémunérations et donc des postes sans aucun rapport avec les standards légaux ou conventionnels français.

PLAN DE DÉPARTS VOLONTAIRES ET ÉGALITÉ (CS, 12 JUILLET 2010)

« Si un PSE peut contenir des mesures réservées à certains salariés, c’est à la condition que tous les salariés de l’entreprise placés dans une situation identique au regard de l’avantage en cause puissent bénéficier de cet avantage, à moins qu’une différence de traitement soit justifiée par des raisons objectives et pertinentes, et que les règles déterminant les conditions d’attribution de cet avantage soient préalablement définies et contrôlables.

Ayant constaté, d’une part, que les mesures incitant aux départs volontaires étaient réservées aux seuls salariés de l’établissement de Genlis et, d’autre part, qu’au cas où elles ne permettraient pas d’atteindre l’objectif de réduction d’effectifs il était prévu des licenciements économiques auxquels tous les salariés de l’entreprise appartenant aux catégories professionnelles concernées seraient exposés sans avoir pu bénéficier de l’alternative offerte par les aides au départ volontaire, ce dont il résultait une rupture dans l’égalité de traitement entre les salariés des divers établissements, la cour d’appel a statué à bon droit. »

Pour vivre heureux, restructurons cachés ; mais nul spécialiste n’ignorait que les très en vogue plans de départs volontaires étaient juridiquement risqués, en particulier vu la très puissante attraction du droit du licenciement sur la chambre sociale : procédure complète de PSE aujourd’hui, demain contrôle de la cause réelle et sérieuse initiale L’arrêt de mort du 12 juillet 2010 adopte un nouvel angle : astucieux ou vicieux, c’est selon. Le cas semble pourtant d’un grand classicisme. Une entreprise voulant supprimer 48 postes dans son établissement de Genlis propose à son CCE un plan de sauvegarde de l’emploi a priori banal : départs volontaires ouverts aux salariés de Genlis et, en cas d’insuffisance de volontaires pour atteindre ce chiffre, licenciements économiques dans les autres établissements. Mais la cour de Versailles stoppe toute la procédure au nom de l’inégalité de traitement, sans justification objective entre salariés au sein d’une même entreprise ; et la chambre sociale approuve le 12 juillet 2010.

Le toboggan égalitariste continue donc : de la seule « discrimination » salariale hommes/ femmes au principe général « à travail égal, salaire égal », pour arriver à la panoramique « égalité de traitement » à l’égard de tous les « avantages » octroyés par le seul employeur, puis de l’application pourtant obligée d’une convention collective négociée pied à pied (CS, 1er juillet 2009). Certes, cette politique jurisprudentielle rencontre un vrai succès en France, pays du jardin du voisin « qui préfère l’égalité à la liberté » (Tocqueville); a fortiori à notre époque insensée, où celui qui n’apporte rien à la société sinon un cataclysme mondial (cf. produits spéculatifs, subprimes) peut gagner en un jour ce que d’autres (infirmières, enseignants…) ne gagneront pas en une vie.

– Mais quitter l’entreprise au titre d’un PDV constitue-t-il vraiment un « avantage » ?

– Mais les salariés ne travaillant pas à Genlis où se posait le problème économique étaient-ils vraiment « placés dans une situation identique » à ceux-ci ?

– Mais, en pratique, le départ volontaire d’un salarié d’un autre établissement n’aura qu’un effet très relatif sur le problème initial : car encore faudra-t-il qu’un salarié de Genlis veuille bien déménager pour le remplacer. Bref, la différence de traitement semblait a priori « justifiée par des raisons objectives et pertinentes », sans même évoquer la fermeture définitive d’un site.

TAKE THE MONEY AND RUN

Cet arrêt limite donc grandement l’intérêt d’un plan de départs volontaires, désormais susceptible de déstabiliser toute l’entreprise en cause. Car si le montant de la prime est vraiment alléchant, il intéressera d’abord et surtout les meilleurs collaborateurs de tous les établissements sachant pouvoir se recaser rapidement ailleurs : en l’espèce, Genlis gardera peut-être son sureffectif, mais, dans les autres établissements, les salariés les plus prometteurs pourront rejouer Take the Money and Run.

La solution aurait-elle été différente si l’entreprise n’avait pas indiqué qu’elle recourrait à des licenciements économiques si le nombre de volontaires était insuffisant à Genlis, à l’instar de la même cour d’appel de Versailles absolvant le plan de départs volontaires des 4 000 Renault le 1er avril 2009 En termes de liberté du consentement pour des partants parfois excessivement ciblés, l’opération reste risquée, avec, à la clé, une éventuelle requalification judiciaire en licenciement dénué de cause réelle et sérieuse.

Toboggan (2) : alors, bien sûr et une fois de plus, on nous dit qu’il ne s’agit que de la bonne vieille jurisprudence relative à l’ordre des licenciements, qui doit dépasser le cadre de l’établissement pour jouer au niveau de toute l’entreprise. Parlons-en ! Elle aussi aboutit parfois à déstabiliser l’ensemble de l’entreprise en provoquant in fine le départ du génial Pierre à Vesoul et de la si performante Soad à Nancy, alors que c’est le seul établissement de Brest qui était en difficulté.

La jurisprudence a manifestement compris qu’« une erreur peut devenir exacte si celui qui l’a dite s’est trompé » (Alphonse Allais).

FLASH
Les DRH enfin valorisées

Pour nombre de décideurs, la brave directrice RH (en l’espèce 47 737 euros annuels) n’a évidemment pas les compétences si pointues du directeur financier (97 243 euros) ni le sens inné du client du directeur commercial (76 501 euros), membres du comité de direction comme elle. L’arrêt du 6 juillet 2010 réjouira donc les nombreuses DRH traitées comme de super assistantes sociales : « La cour d’appel a relevé entre les fonctions exercées par Mme X et ses collègues masculins une identité de niveau hiérarchique, de classification, de responsabilités, leur importance comparable dans le fonctionnement de l’entreprise, chacune d’elles exigeant, en outre, des capacités comparables et représentant une charge nerveuse du même ordre.

Mme X, qui, pour un niveau d’études similaire, percevait une rémunération inférieure à celle de ses collègues masculins, avait été victime d’une inégalité de traitement, l’employeur ne rapportant pas la preuve d’éléments étrangers à toute discrimination. »

Cet abandon de la jurisprudence du 26 juin 2008 (pas de travail de valeur égale pour des fonctions différentes, autorisant automatiquement des différences entre cadres de direction) au profit de l’analyse concrète des responsabilités de chacun évoquée par le très subjectif article L. 3221-4 va faire du bruit dans les hautes sphères.

Auteur

  • Jean-Emmanuel Ray