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Vie des entreprises

Pas de jackpot pour les gérants de Petit Casino

Vie des entreprises | Zoom | publié le : 01.09.2010 | Stéphane Béchaux

Quelque 2 000 couples de gérants mandataires font tourner les supérettes Petit Casino. Des commerçants au statut hybride qui ne comptent pas leurs heures. Et remplissent les poches du groupe.

Mon épicier est un type formidable ! » Chez Casino, on a le sens de la formule. Ceux qui n’ont jamais manqué, à une heure impossible, d’une plaquette de beurre ne peuvent pas comprendre. Les autres, si. Mais plus encore que pour les clients, ce sont pour les fi­nanciers du groupe que les 4 000 gérants des succursales Petit Casino sont vraiment ­formidables. Car leur activité s’avère lucrative.

L’an dernier, la branche proximité (qui comprend aussi Spar, Vival, Monoprix et les supermarchés Casino) a dégagé une marge de 330 millions d’euros. Une machine à cash pour la multinationale, pas pour ses « épiciers ». Au printemps, l’un d’eux s’est invité à l’assemblée générale pour interpeller le big boss, Jean-Charles Naouri. Et alerter les petits actionnaires sur leurs conditions de travail.

Hormis une trentaine de points de vente sous franchise, les 1 816 supérettes Petit Casino sont toutes tenues par des couples de « gérants mandataires non salariés ». Un statut hybride encadré par le Code du travail et régi par une convention collective, celle des « maisons d’alimentation à succursales », qui couvre aussi les magasins de vins Nicolas. Les gérants ne sont propriétaires ni des lieux ni des marchandises. À eux d’exploiter le magasin, moyennant commission sur les ventes. « Ce statut permet de devenir commerçant sans la moindre mise de fonds, sans les risques d’un investisseur. En cas d’échec, seul Casino perd », souligne Jean-Pierre Lanzetti, directeur général de la branche proximité. Un argument massue pour séduire les candidats. Chaque année, ils sont 5 000 à prendre contact avec l’enseigne. Dans l’espoir d’avoir « leur » magasin, sans débourser un sou.

Histoires de couples. Chez Casino, les couples de gérants touchent 6 % des ventes. Avec un minimum conventionnel garanti de 2 200 euros brut mensuels. Sans oublier un logement de fonction, à proximité de la supérette. « Connaissez-vous beaucoup d’entre­preneurs qui bénéficient d’un logement gratuit et d’une rémunération garantie ? » questionne Jean-Pierre Lanzetti. Les troupes, elles, s’avèrent moins enthousiastes. « Certains gagnent bien leur vie. Mais ils sont rares. On est nombreux à être au minimum garanti.Nous,àdeux,on ga­gne un smic et demi », confie un gérant savoyard. Côté rémunération, la direction refuse de fournir des chiffres, évoquant « 10 à 15 % » de couples au plancher quand la CGT les évalue à… 74 %. Le bilan social indique une rétribution moyenne de 3 281 euros brut, après déduction des salaires versés aux éventuels employés.

Rapportée aux heures de travail, la paie s’avère très maigre. Livraison,mise en rayons, accueil des clients, nettoyage… Les journées de boulot comptent rarement moins de dix heures, les semaines moins de soixante. « À deux, on approche des quatre temps pleins. Pour 2 200 euros brut, ça fait pas lourd ! » ironise une jeune recrue alsacienne. Des sous à répartir entre cogérants, de telle sorte que l’un touche au minimum 1 515 euros brut. Soit, pour l’autre, une moitié de smic. Dramatique en cas de séparation. Ou de veuvage, lors du calcul de la pension de réversion. « La retraite, c’est un dossier sur lequel on doit encore aller plus loin et travailler, dans le cadre du dialogue social », concède Christian Gué, DRH du réseau.

Une indépendance très encadrée. Intéressés sur les ventes, les gérants sont, théoriquement, indépendants pour exploiter leur succursale. Un principe très encadré par Casino qui, outre la fourniture exclusive des marchandises et la vente à prix fixés, impose à ses gérants de participer à « la politique commerciale de la société ». Contraignant mais légal. Du moins tant que ceux-ci restent autonomes dans l’organisation de leur travail « en dehors de toute subordination juridique ».

Or leur autonomie s’avère toute relative. Horaires d’ouverture, congés, commande de marchandises font l’objet de trèsâpresdiscussions.« Les ­managers font du forcing pour qu’on ouvre le dimanche, le 1er Mai, ou qu’on accepte des fruits et légumes qu’on n’a pas comman­dés. Le climat s’est durci, il faut se battre sur tout », confie un gérant étiqueté CGC.

Faux, rétorque la direction. « On est dans une relation de confiance. Nos commerciaux sont là pour aider les gérants à développer la satisfaction de leurs clients, et donc leur chiffre d’affaires », assure Jean-Pierre Lanzetti. Dans ce jeu de la carotte et du bâton, l’enseigne dispose d’un atout maître : les changements de magasin. « On tient les gérants à la mutation. La direction leur fait croire que s’ils dopent leur activité ils auront un magasin plus rentable », explique le cégétiste Jean-Pierre Naert, gérant en Côte-d’Or. En fin d’année, les troupes sont invitées à exprimer leurs souhaits de mobilité. Mais les mutations restent à l’entière discrétion de Casino.

Parmi les gérants, certains se disent ravis de leurs conditions de travail. D’autres tirent la langue, voire sombrent. Car le métier, n’en déplaise aux dirigeants, n’est pas sans risques pécuniaires. Responsables des stocks, les gérants sont « tenus de couvrir immédiatement le manquant de marchandises ou d’espèces ». Les vols, c’est pour leur poche, TVA incluse. Les pertes sur les fruits et légumes ou les erreurs de prix, aussi. Résultat, certains se retrouvent, lors des inventaires, dans le rouge. De quel­ques centai­nes d’euros, le plus souvent. Beaucoup plus, parfois. « Mes clients ont couramment des déficits de 15 000 à 20 000 euros. Pour des smicards ! Les contester devant les tribunaux de commerce est très compliqué. Alors même que Casino ne fournit jamais la liste des produits manquants », dénonce l’avocat Jean-Christophe Bonfils. Pas plus qu’il n’équipe tous ses magasins en caméras. « Mon système vidéo, j’ai dû l’acheter moi-même », confie un gérant.

Des cas exceptionnels réservés aux mauvais gestionnaires, selon la direction. Qui ne fait de cadeau ni en matière commerciale ni en matière sociale. Accès à la médecine du travail, protection des gérants élus, paiement des clauses de non-concurrence… Quel que soit le sujet, l’enseigne épuise les voies de recours. De peur que la Cour de cassation ne requalifie, un jour, les contrats de ses gérants en CDI. Avec, à la clé, des créances salariales très élevées, pour cause d’heures supplémentaires à gogo. Un angle d’attaque choisi par l’avocate Claudine Bouyer Fromentin, « en charge des intérêts de 70 gérants ».

Le 30 juin, la cour d’appel de Paris a ainsi requalifié le contrat d’un couple qui s’est vu reconnaître 195000 euros d’arriérés de salaire. « C’est un combat effrayant. Réunir des preuves s’avère très difficile car Casino apprend à ses managers à ne jamais rien écrire. Et les gérants ne formalisent rien car ils bossent comme des déments », affirme l’avocate. Des critiques que balaie le DRH groupe, Yves Desjacques : « Dans toute entreprise, il n’est pas anormal qu’il y ait des contentieux avec d’anciens collaborateurs. Chez Petit Casino, ils sont rares. » Au beau fixe, l’ambiance Pas si sûr. Le forum électronique de la très radicale CGT, qui a réussi une percée notable lors des élections professionnelles de juin, fait un carton. Les gérants s’y défoulent. Signe, en interne, d’un malaise certain.

8,2 % Chez Petit Casino, le taux de turnover, communiqué par le groupe, n’est pas très élevé pour le secteur. Mais il n’est pas facile de quitter sa supérette quand les deux emplois du couple et le logement en dépendent.

Auteur

  • Stéphane Béchaux