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Enquête

Assimiler les codes du travail

Enquête | Insertion | publié le : 01.09.2010 | Éric Béal

Sortis tôt de l’école, certains jeunes ont l’opportunité de se frotter au monde du travail. Une expérience qui peut être rude, car les standards des entreprises leur sont étrangers.

Au début, je ne parvenais pas à arriver à l’heure. On commence à 8 heures. Il faut se lever tôt. » Frédéric, 17 ans, s’exprime avec un sourire de gamin mal réveillé. « J’étais stressé. Je parlais trop vite et disais des bêtises. Maintenant, je prends le temps de réfléchir et j’évite de couper la parole. » Trois semaines de présence aux Ailes de la ville ont déjà modifié les manières de cet adolescent qui a arrêté ses études en fin de troisième. À écouter Rachid Bradaï, le directeur de cette association conventionnée par l’État et soutenue par la Fondation UIMM, il n’a pas eu le choix. « Les jeunes sont salariés de l’association. Ils ont le statut de stagiaire professionnel et touchent environ 600 euros par mois. Ceux qui refusent nos règles de fonctionnement sont virés. » Encadrés par des enseignants en chaudronnerie et en mécanique, 25 jeunes de 16 à 26 ans participent à la restauration d’un vieil hydravion réceptionné par le musée de l’Air et de l’Espace du Bourget. Mais le véritable objectif de ce chantier d’insertion installé dans un hangar de l’aéroport est d’aider les jeunes à trouver leur place dans la société. Quel que soit le métier auquel ils aspirent. « Nous travaillons sur deux choses, les CPA et l’envie », précise Rachid Bradaï. Lesdits CPA, comportements professionnels attendus, recouvrent aussi bien l’assiduité que la reconnaissance des règles de fonctionnement ou la tolérance… Quant à l’envie, il s’agit de retrouver motivation et allant pour bâtir un projet professionnel.

Culture d’entreprise. Quelques kilomètres plus à l’est, sur le site aulnaysien de PSA, d’autres jeunes adultes ont été embauchés en contrat de professionnalisation. Sous ce régime, la transition vers la vie professionnelle est plus rapide. Redouane, 21 ans, s’est inscrit à Pôle emploi après avoir raté un bac STG. Réunion d’information puis tests de dextérité issus de la méthode de recrutement par simulation lui ouvrent les portes de l’usine. Accueilli par son futur responsable d’unité (RU), il a suivi quinze jours de formation alternée avec l’Afpa pour prendre un poste de monteur sur la ligne de production. Objectif : obtenir un certificat de qualification professionnelle d’agent de fabrication et, peut-être, un CDI. Son moniteur, son responsable direct, et son RU sont chargés de lui inculquer « la culture d’entreprise et les comportements qui vont avec ». « Mais le plus dur, c’est de s’adapter aux horaires décalés. Embauche à 6 h 46 une semaine, à 14 h 30 la suivante. Et de s’habituer au rythme de travail intensif », assure le jeune homme.

Les chefs d’équipe ou les tuteurs de Coca-Cola sont parfois désarmés face aux retards ou au manque de politesse

Sako Lougnou, elle, en est encore à chercher un emploi. Elle a un contrat d’autonomie, mesure phare du plan Espoir banlieues de Fadela Amara. Ce dispositif, destiné aux 18-30 ans issus des quartiers populaires, organise un accompagnement individuel de six mois vers l’emploi. Depuis quatre mois, Sako, 21 ans, bénéficie d’une bourse et d’un suivi effectué par Ingeus, un cabinet de conseil missionné par la DGEFP en Essonne et Val-de-Marne. Une fois par semaine, elle se rend chez Ingeus pour un atelier collectif et un entretien avec sa conseillère. « En atelier, nous participons à des jeux de rôle pour nous habituer à passer un entretien d’embauche. J’ai aussi travaillé mon CV et ma lettre de motivation. » Quelques suggestions lui ont permis de modifier son look. Désormais, elle évite les jeans et le maquillage trop voyant. « Nous avons dû adapter nos outils pédagogiques. Nous les poussons à travailler sur leur histoire personnelle et le regard de leur entourage pour construire un bilan de compétences équilibré. Autrement, ils se dévalorisent », indique Sylvia Mahé, responsable de secteur chez Ingeus, qui ne s’étonne plus des réponses types à la question « qu’est-ce qui vous fait rêver ? ». « Ils répondent hôtesse de caisse ou manutentionnaire. Ils ont arrêté très tôt de rêver. » Comme Sako, près de 26 500 jeunes issus des quartiers populaires ont bénéficié, mi-avril, d’un contrat d’autonomie, sur les 45 000 prévus d’ici à fin 2011. Seuls 4 022 en sont sortis avec un emploi ou une formation qualifiante.

Un partie importante de ce public a besoin d’un soutien plus basique. Julie, 20 ans, a arrêté ses études en troisième, puis a fait une école de la deuxième chance et des petits boulots avant d’atterrir aux Ailes de la ville. « À mon arrivée, j’étais encore une fille de banlieue. Je traînais dans la rue, je buvais », se souvient-elle. Son collègue Yamine, 26 ans, a quitté une terminale STT avant le bac pour enchaîner les missions d’intérim dans la mécanique auto ou la manutention. Le chantier d’insertion fut une révélation : « J’apprécie la chaudronnerie. Et le travail avec Monique m’a permis de modifier mon comportement et de mieux m’exprimer face à un patron. » Ancienne hôtesse d’Air France, Monique Perrot a fini sa carrière en tant que chargée du recrutement à la DRH. Elle est à présent instructrice à l’Aforp, le CFA du Groupe des industries métallurgiques de la région parisienne. Sur elle repose une large part de l’éducation à la vie professionnelle des jeunes passant par l’association. « Je commence toujours par mettre en place des règles pour retrouver les bases du savoir-vivre. Ne pas parler tous ensemble, s’écouter, faire preuve de respect et de tolérance ou encore se forcer à prendre des notes. Leur niveau est très disparate, mais ils ont d’abord besoin de considération. Beaucoup d’entre eux ont été cassés par une scolarité chaotique et des conseillers d’orientation peu à l’écoute. »

Contrat moral. Un parcours également répandu à Grigny, où Coca-Cola accueille des jeunes du quartier de la Grande-Borne en contrat de professionnalisation de neuf mois. Pour Aurélien Latour, le DRH, les chouchouter ne leur rendrait pas service. « Ils ont perdu l’habitude d’obéir à des règles de vie commune, mais ce n’est pas une raison pour les mettre sous cloche. Nous leur proposons un contrat moral : une opportunité de reprendre pied à condition de s’investir totalement. » La formation alterne théorie et pratique : sécurité, maths, conduite des machines, français. Le travail en usine les plonge dans le concret et les aide à s’accrocher. Ça passe ou ça casse.

Le système repose beaucoup sur la patience des encadrants, tous volontaires. Les chefs d’équipe et les tuteurs de Coca-Cola sont parfois désarmés face aux retards ou au manque de politesse. Chez PSA Aulnay, Patrice, responsable d’unité depuis vingt ans, ne se laisse pas démonter. « Je rappelle régulièrement à l’ordre ceux qui gardent leur portable sur la chaîne. Contents ou pas, ils doivent le laisser au vestiaire. » Quand survient un problème, il prend le temps d’en discuter. Le fait d’être issu de la base est un atout. « Les jeunes apprécient l’exemplarité, note-t-il. Pour s’investir, ils ont besoin de savoir que l’on peut évoluer dans le métier. » Génération X ou Y, CDI ou contrat de professionnalisation, chacun doit se plier aux mêmes règles. Le secret d’une intégration réussie réside peut-être là.

Former les managers

Les cabinets de conseil RH appelés à la rescousse

Le comportement des moins de 30 ans envers l’entreprise, la hiérarchie ou les règles de vie interpelle DRH et managers. Au point de les pousser à solliciter les cabinets de conseil. « Nous sommes interrogés toutes les semaines pour organiser des séminaires de sensibilisation destinés aux managers », indique Annick Cohen-Haegel, consultante à la Cegos. Idem chez Adeios Consulting. « La demande vient aussi bien des services que de l’industrie. J’ai été appelé par l’usine PSA de Valenciennes lorsque l’absentéisme des jeunes opérateurs a fortement augmenté », indique Jean-Claude Ancelet, directeur d’Adeios Consulting.

Des comportements à modifier

Séminaire classique avec exposé et PowerPoint ou sensibilisation plus ludique avec jeux de rôle, quel que soit l’outil pédagogique, le but des consultants est toujours le même : faire comprendre que les jeunes ont des valeurs différentes de celles de leurs aînés. Annick Cohen-Haegel s’appuie sur la dernière enquête de la Cegos consacrée à la génération Y pour inciter les managers à modifier leur comportement. « À leur arrivée en entreprise, les anciens ne se posaient pas de questions et intégraient rapidement les règles de fonctionnement. Ils doivent comprendre que les jeunes ne reconnaissent plus l’autorité automatiquement. Ils ont besoin d’un contact individuel avec leur manager. Et d’un feed-back permanent. »

Le management doit aussi s’interroger. « On me dit qu’ils ne respectent pas les règles, ajoute la consultante. Soit, mais le manager a-t-il pris le temps de les expliquer en intégrant la jeune recrue ? » Dans ses séminaires, Jean-Claude Ancelet insiste aussi sur la nécessaire « humilité » à cultiver. « Le manager ne peut se contenter de commander. Il doit s’impliquer personnellement et respecter les règles. Être un accompagnateur plutôt qu’un chef qui fixe les objectifs. » L’ambiance dans le service est également importante, surtout que les moins de 30 ans ne sont plus aussi attachés à l’entreprise que leurs aînés.

Auteur

  • Éric Béal