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“Nous avons perdu la volonté de vivre avec l’autre”

Actu | Entretien | publié le : 01.09.2010 | Laure Dumont, Sandrine Foulon

Aux yeux du médiateur de la République, il faut retisser des liens sociaux de proximité pour remédier à l’« usure psychique » de la société française.

Pourquoi la fragmentation sociale que vous décrivez ? dans votre rapport est-elle si aiguë ?

Ce rapport est un cri d’alerte. Dans la vie, comme dans les entreprises, nous avons quitté le champ des espérances pour entrer dans celui de la survie individuelle. Les Français sont devenus consommateurs de droit, de services publics. En 1995, on s’est mis à parler de fracture sociale : à cette époque, chacun se sentait encore citoyen avec des responsabilités et des devoirs. Il y avait une adhésion à un projet de société et une volonté de vivre avec l’autre. Cette volonté, nous l’avons manifestement perdue. En 2002 s’est opéré un basculement autour des thèmes de l’insécurité et du repli sur le confort personnel. Le travail n’est plus un accomplissement de soi mais un moyen comme un autre de combler ses envies. Les solidarités de proximité reculent et ce phénomène favorise l’essor de l’agressivité entre les individus. L’explosion des violences intrafamiliales le démontre bien. Avant, on était harassé par le travail, maintenant on est stressé de vivre ! Notre société est usée psychiquement.

Comment y remédier, au moment où le gouvernement lance un plan d’austérité ?

La question n’est pas que financière : l’augmentation des budgets depuis trente ans a-t-elle contribué à réduire les problèmes ? La France est le pays qui a le plus d’amortisseurs sociaux, mais ils ne sont pas perçus par leurs bénéficiaires comme des leviers pour rebondir. C’est le cas du RSA, par exemple. Il s’agit de passer d’une logique de l’assistanat à un accompagnement des individus à dépasser et à surmonter leur situation. Les pathologies du service public sont le reflet de celles de notre société. On ne peut pas toujours reporter sur l’administration les responsabilités que l’on ne veut pas assumer soi-même. Pour remédier à cela, je crois beaucoup aux réseaux de voisinage, d’associations, au troc, aux systèmes d’échange et de savoirs… Dans les entreprises, il est affligeant de constater que les seuls à se parler sont les fumeurs ! La vraie bataille sociale se jouera donc sur le temps consacré à l’autre, la création de lieux de partage, de liens entre les actifs et les inactifs. Dans notre institution, nous comptons 280 retraités, devenus délégués bénévoles du médiateur, qui traitent 90 % des plaintes que nous recevons – soit un total de 76 000 par an. Leur qualité d’écoute et leur rôle pédagogique ont désamorcé bien des accès de violence.

Le débat sur les retraites n’est-il pas plutôt en train d’opposer les générations ?

Cette réforme devrait être l’occasion d’établir un nouveau pacte républicain fondé sur l’idée que nous vivons dans une communauté où chacun assume sa responsabilité. Nous devrions pouvoir proposer à nos retraités la possibilité de s’investir dans notre système social. Faire peser sur le travail les dépenses sociales pour les retraites et la santé est devenu intenable. Il est cohérent que les retraites soient financées par le travail, mais les dépenses de santé devraient l’être par la production de richesse. Notre système fiscal est en bout de course. Pourquoi ne sommes-nous pas capables de dépasser les rythmes électoraux pour le repenser en profondeur ? On ne peut séparer la question des retraites des autres défis à relever : la protection de l’environnement, la dette… La France a toujours eu l’insouciance des moyens. Or la question n’est plus seulement celle de la répartition des fruits de la croissance mais celle de la répartition des efforts. Politiques et électeurs doivent se partager cette responsabilité. Peut-être faut-il envisager de réduire, voire de repenser certaines des actions publiques. Nous avons par exemple une vraie fragilité sur la question éducative : apprend-on vraiment à vivre ensemble à l’école ? Face à toutes les tentations de la société de consommation, la République doit entrer dans la compétition des désirs et offrir une alternative concrète. Mais, pour cela, il va de soi que la République et ses représentants se doivent d’être irréprochables.

Pourquoi plaidez-vous pour un futur Défenseur des droits, pourtant très critiqué ?

Le Défenseur des droits se placera au niveau constitutionnel, comme le chef de l’État et le Parlement, ce qui présente des garanties fondamentales pour son indépendance, dans le respect des conventions internationales. Sa création n’implique aucune diminution de pouvoir et aucune des entités qu’il regroupe ne disparaîtra. Ainsi, je crois au contraire que son pouvoir est renforcé car il rassemble et renforce la cohérence de l’institution. Son instauration permettra aussi d’avoir une vision et un traitement transversaux des dossiers : le cas d’un mineur porté devant le Défenseur des enfants comprend souvent d’autres aspects à traiter simultanément (problèmes de logement, de parents…) et qui font appel à des compétences connexes. Il faut que l’on se batte pour défendre les institutions, et non pas ceux qui les dirigent.

JEAN-PAUL DELEVOYE

Médiateur de la République.

PARCOURS

Nommé par le chef de l’État en avril 2004, il voit son mandat de médiateur se terminer fin 2010. Maire de Bapaume (Pas-de-Calais) depuis 1982, il a présidé l’Association des maires de France de 1992 à 2002. Ancien sénateur, il a été ministre de la Fonction publique, de la Réforme de l’État et de l’Aménagement du territoire de 2002 à 2004. En février 2010, son dernier rapport a fait grand bruit.

Auteur

  • Laure Dumont, Sandrine Foulon