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Vie des entreprises

Vous avez dit “vacances” ?

Vie des entreprises | Chronique juridique | publié le : 01.06.2010 | Jean-Emmanuel Ray

“Vacances : temps de repos accordé aux employés” (Littré). Combien de cadres vont oser partir en vacances en laissant ostensiblement ordinateur portable et BlackBerry pour “vaquer librement à leurs occupations personnelles” ? Combien vont, au contraire, les emporter pour consulter plusieurs fois par jour leur messagerie professionnelle ?

Qui sont les adeptes de ces vacances laborieuses ? Quelques work aholics incapables de déconnecter de leur redoutable CrackBerry ; d’autres souhaitant rester « dans la course » ; mais la majorité voulant tout simplement éviter que les premiers jours de la rentrée ne soient consacrés à la lecture des 65 courriels journaliers x 21 jours = 1 365 messages, dont 998 titrés « très urgent » et 367 « urgent ».

Quant au « repos dominical », le fameux « travail du dimanche » dont il a été tant question l’an dernier, il était déjà couramment pratiqué par des centaines de milliers de collaborateurs… Bref, la Toile, mais au sens arachnéen du terme, pour 37 % des salariés français travaillant de temps en temps ou régulièrement chez eux le soir, le week-end ou pendant les vacances. Étienne de La Boétie décrivant en 1576 la « servitude volontaire » ignorait que quatre cents années plus tard Bill Gates inventerait un nouveau « système d’exploitation ». Fin du XIXe siècle avec l’électricité, l’insomnie du monde avait commencé ; début du XXIe avec les TIC, le monde entier devient d’astreinte permanente. Stress.

VACANCES LABORIEUSES

Certes, la question de l’exportation du labeur au domicile ou sur la plage n’est pas vraiment nouvelle : en 1765-1767, le travailleur du savoir Rousseau constatait dans ses Confessions : « Je n’ai jamais pu travailler à mon bureau : c’est la nuit, pendant mes insomnies, que j’écris dans mon cerveau. » Pis : quand une idée nous « travaille » pendant nos temps de repos, nous ne sommes plus maître de nos neurones car ils n’en font qu’à leur tête. Mais à quelque chose malheur est bon : les « grandes vacances » sont finalement le seul moment où il nous est possible de faire vraiment le job : lever le nez du guidon, ne plus simplement réagir, mais prendre le recul nécessaire pour prendre de sages décisions.

Certes, il y a cinquante ans, des salariés rapportaient déjà des dossiers à la maison de campagne. Mais une loi inconnue du Code du travail, celle de la pesanteur, interdisait de prétendre y travailler « exactement comme au bureau », tel que le vantent aujourd’hui les fournisseurs d’accès à Internet : car l’employé aux écritures ou l’agent d’assurances pouvait difficilement emporter 10 kilos de documents chez lui, à supposer que son employeur lui en donne l’autorisation. A fortiori Stakhanov, le vaillant mineur ne pouvait quitter la mine avec une tonne de charbon, ni le métallo rapporter une porte de 4 L pour terminer tranquillement à la maison ; et lorsque ces produits physiques étaient fin prêts, leur tâche était terminée. S’agissant aujourd’hui d’un dossier nécessitant un minimum de réflexion, quel collaborateur a « le sentiment du devoir accompli » quand il pense appuyer le vendredi à 18 heures sur la touche Envoi ? Car, toujours améliorables, les travaux intellectuels ne sont donc jamais vraiment finis : cela tombe bien puisque leurs auteurs ont une obligation de résultat et qu’ils disposent d’un puissant portable leur permettant d’être « joignables » partout, bref « dérangeables » tout le temps. Mais notre droit en reste aux 35 heures ou aux 218 jours de travail, par ailleurs de moins en moins contrôlé. Et s’agissant du temps de repos, évoqué sous le signe de la santé par la directive de 1993 ? L’arrêt Slec du 10 juillet 2002 avait rappelé qu’il exigeait aujourd’hui une suspension de la subordination en forme de déconnexion d’abord technique, pour devenir ensuite intellectuelle : « Le temps de repos suppose que le salarié soit totalement dispensé, directement ou indirectement et sauf cas exceptionnels, d’accomplir pour son employeur une prestation de travail, même si celle-ci n’est qu’éventuelle ou occasionnelle. » Demain, un droit à la déconnexion ?

Certes, cette exportation croissante en dehors des temps et lieux de travail n’était souvent que la juste compensation de l’importation de nombreuses activités personnelles au bureau : hier longs coups de téléphone à la famille, aujourd’hui connexions et autres surfs pas vraiment professionnels. Jusqu’à la récente crise, cet équilibre pas très légal mais très consensuel arrangeait tout le monde, ceux qui s’évadaient virtuellement du bureau se rattrapant à la maison. Mais, depuis deux ans, crise et plans de sauvegarde de l’emploi aidant, c’est l’overdose, le cadre « débordé » par les courriels et les reportings étant parfois contraint de « finir tranquillement » à la maison : ce « débordement » se fait nécessairement vers la vie privée, au détriment de l’équilibre du salarié, mais aussi de sa famille : « Maman n’est pas occupée tout le temps, mais elle est toujours pré-occupée. »

Bref, la frontière vie professionnelle/vie personnelle hier facile à tracer dans le temps comme dans l’espace se dilue chaque jour davantage, et dans les deux sens : car, avec la montée de l’individualisme, le droit du travail d’hier, celui du droit des travailleurs, devient celui des droits de la personne au travail. D’ici à quelques années, d’ailleurs, le fait de blacklister au bureau Facebook ou Twitter amènera le DSI fautif devant un juge pour traitement inhumain et dégradant. Et sera en plus contre-productif car 55 % des facebookers ont déjà comme « amis » des collègues, 13 % des clients et 11 % des prestataires.

INTERDICTION DES TÉLÉTRAVAUX FORCÉS

Comme le notait le rapport du Centre d’analyse stratégique publié en avril 2010 le Développement du télétravail dans la société numérique de demain, le télétravail bénéficie aujourd’hui d’un environnement extrêmement favorable. Avancées techniques (miniaturisation et coûts des matériels, fibre optique, très haut débit…) mais aussi juridiques : outre l’ANI du 19 juin 2005 et une proposition de loi votée en première lecture, obligations de reclassement, possibilité de faire télétravailler des seniors, des handicapés… ou des autoentrepreneurs. La crise a fait aussi réfléchir au prix des bureaux et déménager des entreprises voulant néanmoins garder leurs collaborateurs. Enfin, en ces temps de green washing, lutte contre la pollution, les embouteillages par ailleurs si stressants, et bilan carbone pour tout le monde.

Reprenant mot pour mot l’arrêt Zurich Assurances du 2 octobre 2001, l’arrêt Nestlé Waters du 9 avril 2010 rappelle d’abord que « le salarié n’est tenu ni d’accepter de travailler à son domicile ni d’y installer ses dossiers et ses instruments de travail ». Mais, à deux reprises par la suite, la chambre sociale précise légitimement « à la demande de l’employeur » : c’est toute la question. D’une part, le télétravail est le plus souvent demandé par le salarié lui-même, pour un moment particulier de sa vie personnelle ou familiale (enfants, et demain parents âgés) : c’est lui qui souhaite « y installer ses dossiers et ses instruments de travail ». C’est alors à l’employeur de savoir s’il va « accéder à la demande » de son collaborateur et à quelles conditions, y compris financières. D’autre part, une grande partie du télétravail n’est pas le résultat d’une demande patronale expresse, mais une pratique ponctuelle et informelle de certains salariés, qui n’a par ailleurs plus du tout le caractère révolutionnaire d’hier : installer au temps du « 22 à Asnières » une double ligne couplée avec un ordinateur de 23 kilos n’est pas tout à fait la même chose que poser pour une heure un iPad au salon.

NÉCESSAIRES INDEMNITÉS D’« OCCUPATION »

« L’occupation, à la demande de l’employeur, du domicile du salarié à des fins professionnelles constitue une immixtion dans la vie privée de celui-ci et n’entre pas dans l’économie générale du contrat de travail. »

La chambre sociale rappelle d’abord que, sauf travail à domicile au sens juridique dès l’origine, notre home n’a pas vocation à devenir une annexe du bureau, même à temps partiel. Donc le salarié peut refuser cette immixtion, qu’on voit mal pouvoir entrer dans le champ de L. 1121-1 : sauf pandémie gravissime, comment une atteinte aussi forte à l’intimité de la vie privée pourrait être proportionnée au but recherché ?

Mais aussi « qu’elle n’entre pas dans l’économie générale du contrat de travail » : bref, le salaire contractuellement prévu ne peut inclure automatiquement les coûts et autres sujétions qui en découlent. « Si le salarié accède à la demande de son employeur, ce dernier doit l’indemniser de cette sujétion particulière, ainsi que des frais engendrés par l’occupation à titre professionnel du domicile. »

Pour les frais, c’était le cas chez Nestlé Waters : mise à disposition du matériel informatique et prise en charge des communications. Car, comme l’a rappelé la chambre sociale le 25 mars 2010, « les frais qu’un salarié justifie avoir exposés pour les besoins de son activité professionnelle et dans l’intérêt de l’employeur doivent lui être remboursés ».

Plus délicate est évidemment la prise en charge « de l’occupation à titre professionnel du domicile » (mètres carrés, assurance, chauffage… : 122 euros mensuels en l’espèce), a fortiori si l’égalité de traitement s’en mêle.

Principe : « Les responsables de secteur et les chefs de région, quoique relevant de catégories professionnelles distinctes, se trouvaient dans la même situation au regard de la sujétion considérée, les uns comme les autres voyant transformer une partie de leur domicile en bureau. Or l’employeur ne justifiait d’aucune raison objective et pertinente pouvant légitimer la disparité de traitement. »

Oui, mais si certains travaillent beaucoup à leur domicile (65 % du temps de travail pour un responsable régional) et d’autres moins (30 % pour un chef de secteur) ? En termes d’utilisation professionnelle d’un espace privé, cette disparité n’empêche pas une sujétion similaire, plaidaient nos chefs de secteur. L’indemnité peut cependant être modulée, décide la chambre sociale, car « il existait un taux d’occupation différent, en termes de temps et d’espace, du domicile des salariés à des fins professionnelles ». Pas très convaincant pour l’aspect temps.

Petit jeu de plage pour terminer : « Amis, mer, amour, soleil, enfants, BlackBerry, poissons » : cherchez l’intrus !

FLASH
Atos Origin encadre le télétravail

Déclinant l’ANI de 2005, l’accord groupe signé le 16 avril 2010 veille au respect de la vie personnelle du collaborateur.

1. Respect de la vie privée

L’organisation du télétravail à domicile s’exerce dans le cadre des horaires de travail habituels du service auquel le collaborateur est affecté. Dans ce cadre, l’avenant au contrat de travail fixe la plage horaire pendant laquelle le salarié doit être joignable à tout moment par l’entreprise.

L’entreprise est tenue de respecter la vie privée du collaborateur et, à ce titre, ne peut le contacter en dehors de la plage horaire définie dans l’avenant.

En dehors de cette plage, il est dans la même situation que tout autre collaborateur de l’entreprise et ne peut plus être considéré sous la subordination de celle-ci en dehors des cas spécifiques d’astreintes ou de réalisation d’heures supplémentaires.

2. Charge de travail

La charge de travail et l’amplitude horaire demandées au télétravailleur sont équivalentes à celles des collaborateurs ayant des fonctions analogues mais travaillant en permanence dans les locaux habituels de l’entreprise. Ainsi, le passage au télétravail ne modifie en rien le contenu et les objectifs de la fonction exercée par le télétravailleur.

Auteur

  • Jean-Emmanuel Ray