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Vie des entreprises

Dominique Giraudier ne cesse d’accommoder les RH de Flo

Vie des entreprises | Méthode | publié le : 01.06.2010 | Anne Fairise

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La récente chute des effectifs

Crédit photo Anne Fairise

S’adaptant à la crise et jouant la baisse de la TVA, le DG du groupe de restauration a lancé une vaste réorganisation. Au menu : décentraliser pour gérer les RH au plus serré mais aussi ouvrir des perspectives de carrière.

La fin des exonérations de charges sociales qui malmène les comptes, une chute de 15 % de la fréquentation des restaurants et l’action qui dévisse… Le menu des deux dernières années n’a pas été digeste pour Dominique Giraudier, le directeur général du Groupe Flo, leader de la restauration commerciale avec ses 278 établissements, dont 170 en propre. Des mythiques brasseries parisiennes Bofinger et La Coupole jusqu’aux chaînes spécialisées dans la cuisine italienne (Bistro romain, Tablapizza) ou régionale (La Taverne de maître Kanter). Mais ce ne sont pas les premières turbulences traversées par l’ancien directeur administratif et financier de la maison, poussé aux manettes par le fondateur, Jean-Paul Bucher, après le 11 septembre 2001 pour gérer les retombées de la « vache folle » sur la locomotive Hippopotamus et restaurer les finances.

Déjà, la « recette Giraudier » avait été radicale : une cure d’amaigrissement assortie d’unecentralisationdes achats, d’un début de structuration en groupe de la flopée de PME et de l’arrivée de fonds d’investissement. Trois ans après, Flo repassait au vert. « La crise a du bon. Elle accélère l’évolution des entreprises, à marche forcée », note l’intéressé, qui sait s’adapter. Bon élève de la baisse du taux de TVA, répercutée sur les tarifs et les salaires les plus bas, il en a fait un argument commercial et de mobilisation interne. Surtout, il a décentralisé l’organisation pour doper le management de proximité. Sans oublier de jouer la carte groupe (6 000 salariés), en renforçant les parcours qualifiants et interenseignes. Fin 2009 la rentabilité était restaurée. Reste à voir si la réorganisation évitera une reprise du turnover dès la sortie de crise.

1-Décentraliser les RH

Inutile de rechercher la DRH groupe au siège de Flo à la Défense. Elle n’existe plus depuis 2009, et c’est une fierté pour Dominique Giraudier qui veut retrouver la proximité managériale perdue dans la croissance, avec 50 % de restaurants en plus en quatre ans. Fini, l’organisation par marques, place à la gestion multienseigne et territorialisée. Depuis janvier, Hippopotamus, Bistro romain…, qui pèsent 68 % des effectifs et 73 % du chiffre d’affaires, sont progressivement regroupés sous quatre directions régionales. Chacune y dispose de son RRH, chargé d’adapter la politique au terrain. « Cela nous permet de gagner en réactivité. Les problématiques de turnover ne se gèrent pas de la même manière à Paris ou en province », juge Xavier Lucien-Reinette, directeur régional Paris.

Quant aux 17 brasseries mythiques, chacune a été transformée en SARL. Une adaptation habile à la modification du régime d’exonération de charges sociales, limité depuis 2008 à 30 emplois équivalents temps plein d’une entreprise. L’occasionaussi,pourle groupe, de responsabiliser les directeurs. « Qui, mieux qu’eux, connaît les problématiques locales des clients, des collaborateurs et peut y adapter son offre, son organisation ? » interroge Dominique Giraudier, qui réunit désormais, une fois par mois, un « comité RH » où ne siègent que des opérationnels, patrons de région, du pôle brasserie… Depuis janvier, le recrutement est entre les mains des directeurs de restaurant, qui gèrent leurs offres sur l’intranet. La centralisation des candidatures a fait long feu : « Elles mettaient parfois quinze jours pour redescendre dans les restaurants », déplore Catherine Augereau Leloup, directrice emploi-formation. Contre-productif lorsque le turnover nécessite 4 000 à 5 000 recrutements par an.

2-Maîtriser les coûts d’exploitation

Sitôt que la fréquentation a baissé, Flo a initié un reporting hebdomadaire de l’évolution de la masse salariale. Une grande préoccupation, lorsque les charges salariales pèsent 40 % dans les comptes d’exploitation. L’adaptation des équipes à la baisse d’activité est devenue la priorité : les effectifs ont chuté depuis 2008 de 25 % en équivalent temps plein, sans plan social. « Le turnover naturel, de l’ordre de 20 à 30 %, a été notre grande chance. Nous n’avons pas remplacé les départs », précise Dominique Giraudier. Le développement du temps partiel a fait le reste. Dans les Hippopotamus parisiens, il a doublé en 2009, à 23 % des troupes. Nouveauté, les salariés à temps partiel sont même derrière les fourneaux pour gérer les coups de feu de midi ou du soir. Car il a été enjoint aux directeurs de faire tourner le logiciel planifiant la présence des salariés, à la semaine, mais surtout à l’heure travaillée, selon les pics de fréquentation.

Autre levier : la mutualisation des ressources entre enseignes. Un afflux inattendu de théâtreux après une représentation ? Les bras sont recherchés dans les restaurants du groupe les plus proches. Localement, des réunions interenseignes ont été organisées. « Dans certaines villes, le directeur de l’Hippopotamus ne connaissait pas ses homologues », déplore le DG. Mais les renforts peuvent venir de plus loin. Une Nantaise, hôtesse de table chez Hippopotamus, a prêtée main-forte deux semaines durant, détachée volontaire, au Tablapizza de Nanterre. « Il m’a suffit d’un mail sur le réseau. Le groupe facilite la vie des managers », note Snabou Gueye, sa directrice. Un prélude à l’harmonisation des pratiques. « La gestion multienseigne favorise les approches transverses, d’où naîtra, à terme, un modèle de gestion unique », reconnaît Daniel Rabatel, DRH du pôle restauration à thème. Premier fruit des rapprochements, une grille salariale commune a été créée mi-2009. De quoi favoriser la mue d’une enseigne en une autre, les Bistro romain, par exemple, dont le groupe arrête le développement.

3-Mobiliser les salariés

De son choix d’appliquer la TVA à 5,5 % sur 11 produits au lieu de 7, Dominique Giraudier a fait un levier de mobilisation interne. Il en a profité pour instaurer mi-2009 une pratique de « chat » sur intranet avec les employés des 170 restaurants. « Les salariés doivent comprendre que ce qu’ils vivent localement participe du projet d’entreprise. Cela redonne du sens », précise cet adepte de la transparence qui a donné son numéro de portable aux syndicats de La Coupole. La CGT le reconnaît : « Il est à l’écoute, plus que les cadres en dessous de lui. »

Flo a aussi anticipé de neuf mois les négociations de branche, autre contrepartie à la TVA à 5,5 %. Dès juillet 2009, le groupe revalorisait de 4 % le salaire minimum, à 9,10 euros brut l’heure (prime TVA incluse). Soit… 15 centimes au-dessus du salaire conventionnel d’entrée de grille. « Flo ne fait pas la différence sur les salaires », note un directeur. Dans les brasseries, cette revalorisation a été le prétexte à une remise à plat de la rémunération du personnel de salle, payé au « pourcentage service ». Aux maîtres d’hôtel ou barmen, se répartissant 15 % du chiffre d’affaires hors taxes, Armelle Chanteclair, directrice des ressources humaines, a proposé la mensualisation, pratiquée en cuisine. Cette désindexation des salaires du chiffre d’affaires passe mal dans les grands établissements, rares lieux syndiqués.

Au Terminus Nord, CGT, CFDT et FO refusent en bloc : « Nous allons être exclus des futures hausses du chiffre d’affaires. La direction veut maîtriser les coûts salariaux. C’est en brasserie, où le ticket moyen est le plus élevé, que le personnel de salle gagne le plus. » Revenus garantis, équité salle-cuisine, plaide la DRH : « La mensualisation permet de créer une grille différenciant les qualifications ou l’ancienneté qui n’était pas prise en compte. » De quoi amorcer une gestion individualisée. À La Coupole, une grille salariale avantageuse, négociée avec FO et la CGT, a eu raison des réticences. Les serveurs à 39 heures touchent de 1647 à 1742 euros net mensuels, hors heures sup et avantages en nature.

4-Former pour anticiper

Des tables moins fréquentées ? Tous en formation, surtout les managers d’Hippopotamus ! « La crise a été une opportunité pour faire évoluer leur état d’esprit », souligne Xavier Lucien-Reinette. Également travaillées, l’animation d’équipe et la résolution des conflits, pour en finir avec le « management au frigo » autoritaire. « Face à des étudiants à temps partiel, ça ne passe pas. Gérer les moments de stress en ayant la bonne attitude avec les clients et les employés s’apprend », précise Laurent Draux, RRH Paris. Mise à pied, licenciement : il y a eu des sanctions. Trop, au goût de la CGT, dénonçant alors « un management poussant les salariés à la faute ou à la démission » pour alléger les effectifs. « La culture a changé, note un serveur des brasseries, vingt ans de maison. Nous sommes moins dans le “allez les gars : du chiffre !” » Le groupe a renforcé les critères qualitatifs déclenchant les bonus des managers et envisage des audits sociaux. Gros hic, 44 % des formations 2009 ont été prises sur le droit individuel à la formation. Un coïnvestissement pendant les jours de congé peu apprécié du personnel au « pourcentage service », alors payé au minimum conventionnel. « C’est une expérimentation », relativise Dominique Giraudier, qui parle d’outil de responsabilisation face à la formation.

Pour professionnaliser, le groupe a décidé d’être plus sélectif dans le recrutement. En 2009, le nombre d’apprentis a été multiplié par quatre, chaque restaurant étant chargé d’en former deux. Pour les y inciter, Flo a modifié les critères de productivité fixés aux managers et sorti des effectifs les apprentis – moins productifs –, qui tiraient à la baisse les ratios. Pizzaiolo, chef de cuisine… cinq cursus professionnalisant intégrant les CQP de la profession ont aussi été créés. « Nous voulons jouer le rôle d’ascenseur social qualifiant », martèle la responsable formation, qui développe encore la carte de la VAE. Et les parcours interenseignes commencent à être outillés : depuis fin 2009, chaque région dispose de son comité de carrière. Des leviers de fidélisation ? Flo l’espère, qui a vu chuter son turnover à 50-60 %, du fait de la crise, et craint sa remontée avec l’amélioration de la conjoncture.

5-Initier un dialogue social

L’occupation, sept mois durant, du Bistro romain des Champs-Élysées par des travailleurs sans papiers a secoué Flo, qui n’avait jamais connu de tels remous sociaux. « C’est un problème politique, et de société, nous dépassant », déplore son directeur, qui a accompagné 90 régularisations. Flo a beau être l’un des plus gros opérateurs, les conflits y sont aussi rares que les implantations syndicales. « Elles ne sont pas facilitées », « euphémisent » les fédérations CGT et FO de la restauration. La faute aux effectifs limités des restaurants, souvent inférieurs à 50 salariés. « Dans certains établissements persiste une culture où les salariés hésitent à s’exprimer, de peur d’être repérés », déplore Armelle Chanteclair. Depuis le passage des brasseries en SARL en 2008, elle initie partout, quelle que soit leur taille, des structures de représentation du personnel. Une nouveauté. Dans les cartons est prévue une structure nationale. Au risque d’ouvrir la boîte de Pandore des revendications, tel un treizième mois.

« La reconstitution d’IRP est essentielle pour maintenir le contact avec les salariés », souligne Daniel Rabatel, qui jongle avec les multiples élections professionnelles. Dans la réorganisation, chacune des quatre enseignes a donné naissance à quatre filiales. Au moins 12 comités d’entreprise seront créés en septembre. À terme, un CE par région est souhaité. Une nouveauté encore, et une normalisation. Certaines enseignes comme Bistro romain en étaient dépourvues.

Repères

Paris était sous les pavés lorsque Jean-Paul Bucher a acheté en 1968 sa première Brasserie Flo (14 employés), cour des Petites-Écuries… À force d’acquisitions, et en élargissant son offre à la restauration thématique, son groupe, coté en Bourse depuis 1998, est devenu le leader de la restauration commerciale. Jean-Paul Bucher l’a totalement cédé en 2006 à des fonds de pension. Le Groupe Flo, qui compte 6 000 salariés, a réalisé un chiffre d’affaires 2009 de 364,5 millions d’euros. Ses enseignes thématiques y ont contribué à hauteur de 73 %.

1992

Rachat des Hippopotamus.

2000

Rachat des Bistro romain.

2006

Rachat des Tablapizza.

2007

Acquisition de la marque La Taverne de maître Kanter.

La récente chute des effectifs
DOMINIQUE GIRAUDIER, DIRECTEUR GÉNÉRAL DU GROUPE FLO
“Avec la baisse des prix, nous avons voulu mettre en place un cercle vertueux”

Percevez-vous des signes de reprise de la consommation dans vos 170 restaurants ?

Depuis janvier, nous observons, à prix constants, une légère augmentation du ticket moyen, avec, parfois, des soubresauts à la baisse. Comme en avril. C’est néanmoins une tendance : les consommateurs s’autorisent une dépense supplémentaire, dans un café, une petite douceur. Autre indicateur positif, le Groupe Flo a récupéré les deux tiers de la fréquentation perdue en mars 2009, au pire moment de la crise. Et heureusement que l’Europe a réagi à la crise grecque. Mais les plans de restriction budgétaire annoncés, depuis, par plusieurs États, vont prolonger le climat de rigueur. La sortie de crise sera progressive, sur deux à trois ans.

Baisse des prix sur 11 produits au lieu de 7… Pourquoi être allé au-delà des contreparties exigées à la TVA à 5,5 % ?

Ces contreparties étaient minimalistes. Nous avons voulu mettre en place un cercle économique vertueux : la baisse des prix du menu attire les clients, ce qui permet de recruter du personnel et,à terme, de générer plus de chiffre d’affaires et de développer l’entreprise. Certains de nos restaurants ont ainsi regagné 20 % de clientèle le mois suivant la baisse des prix. Les consommateurs sont devenus hypersensibles : il suffit de 1 euro de différence sur une formule à 15 euros pour qu’ils changent d’enseigne.

Cette TVA réduite compense-t-elle la fin des exonérations de charges sociales ?

Complètement, et elle remet le secteur dans une dynamique. Hier, les restaurateurs bénéficiaient d’allégements de charges baissant le coût horaire du travail ; grâce à la TVA à 5,5 %, ils peuvent redonner du pouvoir d’achat aux salariés. Nous ne sommes plus dans un modèle d’assistanat. D’ailleurs, je ne crois pas qu’il y ait eu de volonté gouvernementale de revenir sur le sujet. La restauration représente 900 000 emplois non délocalisables, plus que l’automobile et l’aéronautique. C’est un secteur intégrateur de jeunes non qualifiés, où l’ascenseur social fonctionne. Il était en perdition après la suppression des allégements de charges sociales, qui a fait chuter de 20 à 30 % la rentabilité opérationnelle des restaurants ! Sans la TVA à 5,5 %, vrai plan de sauvetage, un tiers déposaient le bilan. C’est pourquoi la majorité des restaurateurs mettent plus de temps que prévu à appliquer les contreparties. Mais tout cela n’a pas été dit.

Vous jetez la pierre aux représentants patronaux. Que veut impulser le syndicat que vous avez rejoint fin 2009 ?

Les représentants patronaux n’ont pas joué leur rôle. C’est pourquoi le Groupe Flo a claqué la porte du Synhorcat et rejoint le SNRTC. Celui-ci réunit des chaînes mais aussi des indépendants qui veulent capitaliser sur les avancées engagées par la baisse du taux de TVA (revalorisation salariale, mutuelle) pour moderniser notre secteur encore artisanal. Nous ne le ferons pas seuls. Nous nous plaçons dans une optique fédéraliste qui, j’espère, émergera d’ici à fin 2010.

Quelle place réservez-vous au dialogue social dans la réorganisation du groupe ?

Ce modèle, qui vise à rapprocher notre organisation au maximum du client, n’est pas finalisé. Nous avons déjà décentralisé les RH dans quatre régions, chacune gérant toutes les enseignes thématiques. Du coup, nous faisons émerger, par région, des représentations du personnel. Nous le faisons aussi dans les brasseries, qui n’en étaient pas toutes dotées. Nous avons tiré les enseignements du passé : dans la croissance, nous avions perdu le contact de proximité.

Des entreprises et des syndicats demandent des critères objectifs de régularisation des travailleurs sans papiers. Vous les rejoignez ?

C’est un sujet politique et de société qui nous dépasse. Aucune entreprise, quels que soient ses procédés de contrôle, sa bonne volonté, n’est à l’abri de découvrir, parmi ses effectifs, des salariés dotés de vrais-faux papiers. Tant que nous n’aurons pas d’outil fiable pour détecter les fausses identités, nous serons dans l’impasse. Mais, dans 98 % des cas, l’administration nous a apporté des solutions rapides pour régulariser nos travailleurs sans papiers.

Propos recueillis par Anne Fairise et Sandrine Foulon

DOMINIQUE GIRAUDIER

51 ans.

1980

Diplômé de l’EDC, il débute comme contrôleur de gestion chez Thomson-CSF.

1981

Rejoint le groupe Casino, au secrétariat général et à l’audit interne.

1991

Entre chez Flo comme directeur administratif et financier.

1998

Mène à bien l’introduction en Bourse.

2001

Préside le directoire.

2009

Devient directeur général.

Auteur

  • Anne Fairise