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Vie des entreprises

Arcachon se soucie plus des saisonniers que Cannes

Vie des entreprises | Match | publié le : 01.06.2010 | Sarah Delattre

Contrats, salaires, horaires…, les précaires des stations balnéaires ne sont pas gâtés. Si la Croisette sort un peu du lot, Arcachon s’est donné les moyens d’aider les salariés et de faire évoluer les pratiques.

À quelques jours de l’ouverturedu Festival de Cannes, qui donnele coup d’envoi de la saison estivale, la Croisette ressemble à un gigantesque chantier. Les tractopelles qui remblaient les plages dévastées par le récent coup de mer, l’armada d’ouvriers qui cavale en tous sens pour installer les plateaux des VIP divertissent les badauds désœuvrés. Par comparaison, le front de mer d’Arcachon offre la quiétude d’une ville aux charmes désuets. Le calme avant la tempête touristique pour ces deux cités balnéaires prisées par une clientèle huppée, même si, comme toujours, les professionnels du secteur jouent les Cassandre, s’inquiétant en vrac de la crise financière, du retentissement de la dernière tragédie grecque, du volcan islandais, des charges sociales, de la météo…

Population éclectique. Sur le littoral aquitain, environ 24 000 saisonniers sont recrutés dans les hôtels, les restaurants, les campings, pour répondre à l’afflux des vacanciers. Le bassin d’Arcachon en emploie plus de 4 100, dont 41 % qui ne viennent pas des environs. La région Provence-Alpes-Côte d’Azur offre, pour sa part, quelque 153 000 ? postes de saisonniers pour l’été. À Cannes, le Carrefour des métiers de l’hôtellerie, de la restauration et de l’événementiel, organisé en février par la municipalité, a collecté plus de 2 000 offres d’emplois saisonniers, 80 % étant pourvus par la main-d’œuvre locale.

Professionnels confirmés enchaînant les saisons à la mer et à la montagne, étudiants en quête d’un job débarquant la fleur au fusil, pluriactifs profitant des occasions, ces saisonniers, souvent jeunes, constituent une population éclectique. Attachés à une relative liberté, les premiers apprécient de bouger au gré des saisons et de travailler dans un cadre bling-bling. Avec son look de surfeur, Alexandre, 34 ans, directeur adjoint au Victoria, à Arcachon, enchaîne sa troisième saison, en contrat saisonnier de sept mois. Au plus fort de l’été, la trentaine d’employés de ce restaurant situé sur le front de mer sert en moyenne 600 repas par jour. « Le rythme des saisons me convient bien, il me permet de mener d’autres activités professionnelles en parallèle et de partir à l’étranger trois mois dans l’année. »

À Cannes, Branislav, 36 ans, architecte d’intérieur de formation, entame sa quatrième saison au Martinez en tant que bagagiste et voiturier. « J’ai commencé en avril et j’ai la garantie de travailler au moins jusqu’à la fin de l’été, voire fin décembre. L’hiver, je pars en Croatie retaper une maison. Pour l’instant, j’apprécie la sécurité dans la précarité. »

Entorses au droit du travail. Le revers de la médaille ? Rares sont les employeurs qui ont saisi le cadeau fiscal de 2009 avec la réduction du taux de TVA à 5,5 % pour donner un coup de pouce aux salaires. Et même si la plupart des saisonniers se satisfont de leurs conditions, les entorses au droit du travail sont légion. Selon une enquête de la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC) menée en 2007, « 14 % n’avaient pas de contrat de travail, un quart des saisonniers effectuaient des heures supplémentaires non payées et 14 % ne bénéficiaient pas systématiquement d’un jour de repos minimum hebdomadaire ».

« Les travailleurs saisonniers de la restauration et de l’hôtellerie sont mal organisés par comparaison avec les salariés des remontées mécaniques dans les stations de sports d’hiver, souligne Jacqueline Fabre-Morino, chargée de mission au sein d’Alatras, Association des lieux d’accueil des travailleurs saisonniers, qui s’efforce d’organiser la saisonnalité et la pluriactivité. Loin du cliché des Bronzés, les travailleurs saisonniers sont souvent précaires. On ne vieillit pas dans ce milieu et les reconversions ne sont pas faciles. »

À Arcachon tout comme à Cannes, les conditions de travail varient d’un employeur à l’autre, avec un léger mieux sur la Croisette, où les palaces tirent le niveau vers le haut. Chef de partie à la cuisine du Palais Stéphanie, un cinq-étoiles cannois, Sébastien, en CDD de six mois, estime n’avoir jamais bénéficié de telles conditions. « On travaille 35 heures, on assure un seul service, de 8 heures à 16 heures ou de 17 à 23 heures, et on a deux jours de repos par semaine. En revanche, je gagne seulement 1 350 euros net, contre 1 700 à 1 800 euros ailleurs. » Au Martinez, qui emploie entre 230 et 300 saisonniers serveurs, voituriers, réceptionnistes, grooms et femmes de chambre de mi-avril à fin septembre, le DRH, Stéphane Carrière, indique que « le personnel, exception faite des cadres, est à 35 heures. Les rémunérations minimales sont supérieures au smic. Sans compter la prime d’habillage, l’indemnité nourriture de 145 euros brut par mois, l’intéressement, la participation ».

Près du vieux port de Cannes, Alain Viotti, propriétaire du Maschou, une gargote ouverte par Jean-Claude Brialy en 1963 et qui sert depuis des années la même formule pantagruélique, se montre aussi généreuxavecsesclients qu’avec ses salariés. « J’ai été saisonnier, je sais ce que c’est. Un serveur gagne environ 1 800 euros net, sans compter les pourboires, qu’il partage avec les cuisiniers. Il travaille le soir seulement, sept jours sur sept en pleine saison, mais récupère à la fin. Au bout de trois ans, les saisonniers ont envie d’aller voir ailleurs. »

À Arcachon, Alexandra a travaillé comme réceptionniste l’été dernier dans un camping de la dune du Pyla. « Je garde un bon souvenir du cadre et de l’ambiance. Je travaillais 35 heures, avec deux jours de repos, et je gagnais de 1 000 à 1 200 euros net. » David, serveur au Victoria, plusieurs années d’expérience au compteur, connaît les bons plans d’Arcachon. « Le saisonnier qui bosse pour 1 200 euros est un imbécile. Un serveur en saison peut facilement tourner à 1500-1800 euros. Même si la grande époque des pourboires est finie, ils peuvent représenter 40 % du salaire en juillet-août. » Certain de « perdre 15 kilos dans la saison », ce serveurdéjàsecaime« le speed, que le temps passe vite, faire plaisir aux gens ».

Accueil plus structuré à Arcachon. Pour améliorer les conditions d’existence des travailleurs saisonniers, Arcachon et Cannes, dirigés respectivement par deux maires UMP, Yves Foulon et Bernard Brochand, ont choisi des voies radicalement différentes. Sous l’impulsion du maire socialiste du Teich, François Deluga, la Communauté d’agglomération du bassin d’Arcachon Sud (Cobas) a ouvert une Maison des saisonniers en 2002. Associant à la fois les partenaires sociaux, les collectivités locales, les acteurs de l’emploi, ce refuge informe les saisonniers de leurs droits, cherche à faciliter le dialogue social, joue les médiateurs en cas de conflit et construit, péniblement, des parcours professionnels pour les saisonniers locaux.

En 2009, par exemple, une quarantaine de jeunes en quête de logement ont trouvé un toit grâce au réseau de la Maison des saisonniers, qui dispose actuellement d’un parc d’environ 65 lits dans des chalets, chez des particuliers et dans un établissement scolaire. D’emblée, elle a milité pour la rédaction d’une charte de l’emploi saisonnier, signée aujourd’hui par 109 employeurs. Lesquels s’engagent, notamment, à respecter les conventions collectives en termes de conditions de travail, de rémunération, d’hébergement, et à fidéliser le personnel d’une année à l’autre. « Notre rôle de médiation, l’émergence d’un dialogue entre syndicats d’employeurs et de salariés, et la charte ont permis d’assainir les pratiques sociales », affirme Cécile Benoît, chargée de mission. La Maison d’Arcachon travaille main dans la main avec celle du Briançonnais pour aider les saisonniers à rebondir à la fin de l’été et à trouver un emploi en station d’hiver. « J’accompagne une vingtaine de jeunes en octobre afin qu’ils rencontrent des employeurs à Serre-Chevalier lors d’un salon », explique Cécile Benoît.

Faire émerger l’offre. Titulaire d’un BTS de charpentier, Marie Pic a enchaîné une saison dans un camping l’été dernier et un emploi de femme de chambre dans un hôtel à Serre-Chevalier, de décembre à avril. « L’ambiance était bonne. J’étais logée, nourrie. Je travaillais 39 heures payées 1 250 euros net et je récupérais mes heures supplémentaires au fur et à mesure », raconte cette jeune femme de 23 ans, aujourd’hui désireuse d’intégrer les Compagnons du devoir. Sans grande illusion, la Maison des saisonniers souhaiterait aussi rallonger les saisons en développant la pluriactivité dans son bassin d’emploi, en s’associant, par exemple, avec les ostréiculteurs et les conchyliculteurs. « L’idée est de nous ouvrir à d’autres partenaires pour faire émerger l’offre, explique Marie-Pierre Chassaing-Deguine, directrice de l’aménagement du territoire et du développement durable à la Communauté de communes du bassin d’Arcachon. Pour sécuriser les parcours, inciter les saisonniers à se former les mois creux et à préparer l’après-saison, nous pouvons nous appuyer sur le Fafih, qui finance vingt et une heures de formation. »

Rien de tel à Cannes, où les timides initiatives privées pour créer un bureau des saisonniers se sont heurtées à l’opposition d’élus locaux, redoutant d’y voir s’y développer un foyer de syndicalisation. Confrontée à une pénurie récurrente de logements, la ville a, en revanche, soutenu la construction d’une résidence pour saisonniers, ouverte en 2006 et située à dix minutes des plages. Et pour cause ! « Il est impossible de trouver un logement à Cannes, témoigne Pierre, qui a travaillé l’été dernier dans une crêperie. Au début, j’ai logé à l’hôtel pendant deux semaines. Puis j’ai fini par trouver quelque chose, grâce à des connaissances. »

Financé en partie sur le 1 % logement et géré par API Provence, une association d’insertion par le logement fondée par un proche de l’abbé Pierre, Le Figuier propose une trentaine de studios de 30 mètres carrés en moyenne, à partager en colocation. Réservéeaux saisonniers, aux apprentis et aux stagiaires, la résidence a logé 152 personnes en 2009. « Nous passons une convention de réservation avec les employeurs qui doivent signer pour un an s’ils veulent louer un ou plusieurs studios à leurs saisonniers », explique Thierry Barrau, directeur unité territoriale d’API Provence. Un engagement à l’année qui rebute encore des employeurs, pourtant demandeurs d’une telle structure. « Aujourd’hui, la résidence tourne à plein, mais au début, c’était la croix et la bannière pour la remplir », se souvient Alain Viotti, ancien président de l’Union patronale des restaurateurs et limonadiers, qui s’est battu pour faire sortir Le Figuier de terre.

Au Martinez, qui réserve 16 logements pour ses saisonniers, ses apprentis et ses stagiaires, le DRH, Stéphane Carrière, estime que « proposer un toit constitue un avantage au recrutement ». En parallèle, le foyer des jeunes travailleurs,qui compte 180 chambres et studios et loge une dizaine de saisonniers de moins de 30 ans, ne peut satisfaire toutes les demandes. « Le saisonnier professionnel devient une denrée rare et les hôtels nous envoient surtout leurs stagiaires », nuance Stéphanie Bennica, responsable habitat du foyer. Cet été encore, Farid Bendjemla, gestionnaire logement au foyer, verra débarquer dans son bureau des jeunes filles avec du sable plein les cheveux qui ont dormi sur la plage. En désespoir de cause.

Arcachon

Communauté d’agglomération du bassin : 60 143 habitants

Travailleurs saisonniers : 4 137 embauchés pour la saison estivale 2006

Origine géographique : 41 % ne sont pas de la région

Cannes

Ville de Cannes : 70 829 habitants

Emplois saisonniers : 2 000 offres recensées au Forum des métiers 2010

Origine géographique : 20 % ne sont pas de la région

Un forum sur les conditions de travail

Un premier Forum social pour l’amélioration des conditions de vie et de travail des saisonniers se tiendra à Aubagne du 3 au 5 décembre prochain et devrait réunir près de 600 personnes. Une initiative d’une quarantaine d’organisations (parmi lesquelles la JOC, l’Association des lieux d’accueil des travailleurs saisonniers Alatras, l’Unef, etc.), qui détonne dans un secteur où les saisonniers sont isolés. L’occasion de braquer leurs projecteurs sur les conditions de travail et de logement au moment où s’ouvriront les négociations sur la convention assurance chômage.

Actuellement, seuls 87 000 saisonniers environ bénéficient d’une indemnisation. « Nous souhaitons avancer des propositions en termes de logement, de santé, de sécurisation des parcours professionnels », explique Richard Dethyre, coordinateur du forum et auteur d’Avec les saisonniers : une expérience de transformation du travail dans le tourisme social, paru aux éditions La Dispute. « Nous militons, par exemple, pour que le CDD saisonnier inclue une prime de précarité de 10 %. Nous voulons aussi créer un réseau d’entraide entre ces salariés isolés et mettre en avant les bonnes pratiques des employeurs. »

Auteur

  • Sarah Delattre