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Idées

Faut-il supprimer les élections prud’homales ?

Idées | Débat | publié le : 01.06.2010 |

Le conseiller d’État Jacky Richard a remis au ministre du Travail un rapport préconisant une réforme du mode de désignation des conseillers prud’homaux, qui seraient élus par les délégués du personnel et les futurs délégués des TPE. Une proposition proche de celle de la CFDT.

Jacky Richard Conseiller d’État

Le rapport que je viens de remettre à Éric Woerth, corédigé avec Alexandre Pascal, de l’Igas, préconise une sérieuse réforme du mode de désignation des juges et renonce à l’organisation d’une consultation générale sanctionnée par une abstention de 75 % ! Voulu comme un grand moment de la démocratie sociale, ce scrutin ne mobilise pas les salariés et cette situation atteint la légitimité de l’institution. La sensibilité de la question vient de ce que les élections prud’homales sont, à la fois, la voie de désignation des membres d’une juridiction appelée à examiner chaque année 200 000 litiges individuels du travail et un processus électoral interprofessionnel, marqueur de l’audience tribunitienne des organisations syndicales. Depuis la loi du 20 août 2008, les règles de la représentativité syndicale prévoient que cette mesure sera conditionnée par l’atteinte d’un certain niveau d’audience dans les entreprises de plus de 10 salariés, la branche et l’interprofession. Un projet de loi adopté par le Conseil des ministres envisage également un dispositif de mesure de la représentativité dans les très petites entreprises. Dès lors, il était tentant d’asseoir la composition des conseils de prud’hommes sur la mesure de la représentativité ainsi assurée et de préconiser la suppression des élections. Toutefois, cette voie ne s’avère pas pertinente. En effet, outre le fait qu’il n’existe pas, côté employeur, de dispositif de mesure de la représentativité comparable, les conseillers prud’hommes sont des juges et le principe constitutionnel du libre accès aux charges publiques interdit que l’on puisse accéder à ces fonctions par le filtre de la désignation par des organisations syndicales sans que quiconque puisse présenter une liste.

Ma proposition est de maintenir le principe de l’élection des juges au suffrage universel mais à partir d’un corps électoral resserré, constitué, au niveau départemental, pour le collège salariés, des délégués du personnel élus et des futurs délégués des TPE. Ce système permettra d’obtenir un taux de participation élevé car les délégués du personnel sont sensibles à ces enjeux. En laissant l’accès ouvert aux charges publiques, ce scénario ne présente pas les difficultés juridiques évoquées et, de plus, est beaucoup moins lourd à organiser. L’institution prud’homale sortira renforcée de cette forme nouvelle de désignation des juges, issus d’une élection directe.

Tiennot Grumbach Avocat et ancien de l’ISST de Paris I

La mise en question de la légitimité des conseils de prud’hommes participe du mouvement de contre-réforme qui préconise l’évitement du contrôle du juge. Différentes propositions récentes suggèrent des modes alternatifs de règlement des litiges. Alors que certains auteurs bien intentionnés soutiennent l’institution prud’homale comme la corde soutient le pendu, cerise sur le gâteau, c’est désormais la légitimité électorale des conseillers prud’hommes qui est mise en cause dans l’une des hypothèses du rapport Richard. Les protagonistes sociaux, pour leur part, se sont déjà exprimés sur cette nouvelle réforme, que ce soit à l’occasion du débat sur les juges départiteurs ou lors de la séance du 25 février 2010 du Conseil supérieur de la prud’homie. La majorité des organisations de salariés (en nombre et en voix) comme celles d’employeurs ont déclaré vouloir privilégier l’élection des conseillers prud’hommes. Ils ont aussi souligné qu’une trop grande spécialisation des juges départiteurs serait susceptible de faire obstacle aux initiatives fécondes des juges non professionnels. Ils y ont réaffirmé la spécificité de la juridiction prud’homale et refusé sa banalisation technocratique. Il serait paradoxal de vouloir transformer les conseillers prud’hommes en des juges comme les autres alors que l’on vient de leur imposer le contrôle quasi forfaitaire de leur diligence. De ce seul fait, ils ne disposent pas de la même autonomie dans la gestion du temps consacré à leur activité juridictionnelle, et donc de la même indépendance, que celle des magistrats professionnels.

Dans la société civile, traversée par tant de litiges aussi mal vécus que surmontés, l’institution prud’homale reste reconnue et acceptée. C’est la plus grande université de relations du travail de notre pays. Y sont trouvées paritairement les solutions judiciaires des 200 000 contentieux qui y sont enrôlés. Les prud’hommes remplissent bien la fonction de filtre pour surmonter pacifiquement la permanence du conflit des logiques qui oppose les droits des travailleurs aux droits des employeurs. Délégitimer l’institution prud’homale par des méthodes biaisées, comme l’élection par un collège formé par les représentants du personnel, ou par d’autres méthodes de désignation indirecte, priverait les acteurs sociaux de leur droit d’instiller de la démocratie directe dans la justice. Ce serait donc une mauvaise affaire.

Marcel Grignard Secrétaire général adjoint de la CFDT

Les conseils de prud’hommes jouent un rôle important. Leur bonne image auprès des salariés ne se dément pas. Celle-ci est due en grande partie à la capacité d’y accéder facilement et de s’y défendre sans avocat. C’est parce que la CFDT est attachée à l’institution prud’homale qu’elle souhaite que les modalités de l’élection des juges évoluent. Celle-ci est en effet fragilisée par un taux de participation très faible, en baisse constante. Un quart des électeurs salariés seulement s’est exprimé en 2008, malgré les améliorations apportées à l’organisation du scrutin : vote par correspondance facilité, vote électronique… Cette désaffection est aisée à comprendre : les salariés désignent très majoritairement des délégués qu’ils connaissent pour les représenter dans l’entreprise face à leur employeur. En revanche, ils ne perçoivent pas comment choisir des juges qu’ils n’ont jamais vus et dont la légitimité sera de dire le droit et non de les représenter sur la base d’une orientation syndicale. De plus, ceux qui appréhendent le mieux le syndicalisme parce qu’ils côtoient des délégués dans leur entreprise sont ceux qui ont le moins besoin des prud’hommes. On peut constater le même phénomène dans d’autres scrutins visant à désigner des représentants éloignés de l’entreprise : le taux de participation a été inférieur à 30 % lors des élections à la Mutualité sociale agricole.

La réforme de la représentativité permet aujourd’huidemodifierles conditions de désignation des conseillers prud’hommes. La CFDT propose que les conseillers prud’hommes salariés soient désormais élus par un collège de « grands électeurs » composé de tous les délégués élus par les salariés dans les institutions représentatives du personnel. Ceux-ci sont désormais élus lors d’élections ouvertes au premier tour à tout syndicat légalement constitué. Elles permettent aux salariés de choisir des délégués qu’ils connaissent et dont ils vérifient au quotidien les orientations et la pratique. Ces derniers sont à la fois représentatifs de leurs pairs et les premiers médiateurs des conflits qui opposent les salariés à leurs employeurs dans l’entreprise. Ils ont donc toute légitimité à élire des conseillers dont le mandat est de juger les conflits du travail. Ainsi serait confortée la réforme de la représentativité qui, en donnant une plus grande légitimité aux acteurs syndicaux et à la négociation collective, consoliderait la démocratie sociale en l’ancrant au plus près des réalités vécues par les salariés.