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Enquête

Des relations ambiguës avec les directions

Enquête | publié le : 01.06.2010 | Éric Béal

Mal vu quand il creuse les questions économiques, objet de suspicion sur sa gestion, le CE dépend de l’employeur pour ses ressources et le concurrence sur les activités sociales.

Difficile d’échapper au règlementdecompteentrela direction d’Air France et son comité central d’entreprise. Depuis qu’en septembre le Figaro a révélé que le CCE était au bord de la faillite avec un trou de 21 millions d’euros, les protagonistes s’affrontent sur Internet pour donner leur version de l’histoire. Sur la Toile, une lettre du directeur général adjoint des ressources humaines, Jean-Claude Cros, adressée aux élus, répond aux propos de l’ancien secrétaire CFDT François Cabrera, démis en novembre 2009. Le DRH conteste ainsi le « rôle de banquier du comité » attribué à Air France. « Cela […] dénote manifestement une réelle confusion entre les ressources propres du comité, assurées en partie par Air France en tant qu’employeur, et les autres modes de financement nécessaires à l’équilibre du budget voté chaque année par les représentants du personnel. » Le DRH ne cache pas non plus l’abandon de créance de 7 millions d’euros auquel la direction a procédé en 2008 « à titre exceptionnel ».

L’affaire est aujourd’hui entre les mains de la brigade financière chargée d’éplucher les comptes, mais elle illustre bien les relations malsaines qui peuvent se tisser entre un CE et une direction. D’autant plus que cette situation n’est pas si rare que cela. Début 2009, la direction de Disneyland a ainsi renfloué les caisses de son CE de 500 000 euros. Ce qui ne l’a pas empêchée de l’attaquer, chose exceptionnelle, six mois plus tard pour détournement. Car, dans la majorité des cas, entreprises et élus préfèrent laver leur linge sale en famille. Comme ce petit laboratoire pharmaceutique du Sud-Ouest qui a passé l’éponge sur un redressement des Urssaf de… 500 euros.

Voler au secours de son CE peut être stratégiquement intéressant. « Ce n’est pas tant pour espérer un renvoi d’ascenseur que pour assurer la crédibilité de tout le système. Un DRH a besoin d’interlocuteurs syndicaux solides. Les salariés ont déjà du mal à se motiver pour désigner leurs représentants aux élections professionnelles. S’ils apprennent que leur CE est incapable de gérer ses fonds, on douche le peu d’enthousiasme collectif qui reste », indique Jérôme Duval-Hamel, professeur de management à l’université Paris II. D’autres ont un avis bien plus dérangeant. « Un comité d’entreprise qui marche trop bien est un contre-pouvoir embarrassant, estime Jean-Philippe Milesy, délégué général de Rencontres sociales, un cabinet de conseil auprès des CE. Je connais des directions qui préfèrent le maintenir sous perfusion de manière à pouvoir faire pression sur les élus pour rabaisser leurs revendications. »

Cette ambiguïté dans les relations remonte à la création de cette institution. Imposé par l’Assemblée provisoire à l’issue du dernier conflit mondial, puis confirmé et étendu par la loi du 16 avril 1946, le CE hérite des prérogatives du comité social d’entreprise créé par le gouvernement de Pétain en 1941, mais bénéficie aussi de nouveaux droits en matière économique. Il est chargé de la gestion de la cantine, des coopératives de consommation, des mutuelles et des services sociaux. Mais il est également tenu informé des résultats économiques de l’entreprise et, en 1982, doté d’un budget de fonctionnement. De quoi s’offrir par exemple les services d’un expert-comptable pour vérifier les comptes présentés par la direction.

Un droit de regard qui hérisse le poil des représentants patronaux. « La crainte de la curiosité des élus quant à l’activité de l’entreprise, ses profits et les revenus de ses dirigeants est telle que l’une des revendications du Medef est de supprimer la présidence du CE par l’employeur. Ce qui serait un bon moyen d’éviter de répondre oralement aux questions des élus du personnel », indique Maurice Cohen, directeur de la Revue pratique de droit social. Un modèle pratiqué en Allemagne où le comité d’entreprise est présidé par un représentant du personnel et ne gère que la partie strictement dialogue social. Expertise, accompagnement d’un plan social et œuvres sociales relèvent de la direction.

En attendant, les réunions du CE sont souvent l’occasion d’affrontements directs. Ce qui peut expliquer la tentation de certains DRH d’utiliser l’argument financier pour « calmer » les ardeurs de leurs élus. Comme chez Brittany Ferries, où l’entreprise a récemment réduit sa masse salariale, entraînant une baisse de la dotation sociale du CE. « Le DRH précédent avait pourtant promis de donner la même somme. Mais le procès-verbal de séance n’a pas été rédigé de façon claire. Du coup, le nouveau DRH a refusé d’honorer cet engagement », explique Yves-Marie Bossé, DS CFDT et élu au CE. Résultat, adieu les voyages programmés pour cet été et la distribution de chèques emploi service universel.

Et si les directions prônent officiellement un dialogue constructif avec les élus, elles n’hésitent pas à les concurrencer sur le terrain des activités sociales et culturelles. Depuis que les grandes entreprises ont découvert le marketing social, elles se préoccupent de leur réputation auprès des salariés. Les grands groupes ouvrent des crèches d’entreprise ou des conciergeries pour offrir les services d’un pressing, d’une cordonnerie, d’un fleuriste, d’une esthéticienne ou encore d’un masseur. Areva NC a ouvert une conciergerie sur ses trois sites franciliens sans que le secrétaire du CE n’imagine revendiquer un droit de regard sur la gestion de ses nouveaux équipements. Même situation chez Carrefour, où les salariés du siège bénéficient aussi d’une salle de sport. « Nous en avons discuté en CE, mais la direction a pris une décision unilatérale. De toute façon, nous n’avons pas les moyens humains de gérer une conciergerie », indique Anne Marcou, élue CFDT. Juridiquement, pourtant, c’est au CE de proposer une activité sociale dans l’entreprise. Un employeur qui met à disposition un avantage social supplémentaire de son propre chef, même une cantine, pourrait se voir opposer par son CE que la gestion de ce budget lui revient de droit.

Et quand l’entreprise ne marche pas sur les plates-bandes du CE, il lui arrive de brandir les avantages qu’il offre comme argument de recrutement. « Le CE met de l’huile dans les rouages, relève ainsi Michel Solignac, directeur général du CRE de la RATP. Ici, il est aussi devenu la référence en termes de communication interne, notamment grâce à notre magazine Fréquence. » Pas de quoi améliorer la compréhension des responsabilités du CE par les salariés.

Auteur

  • Éric Béal