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Une égalité de traitement bien fragile

Dossier | publié le : 01.06.2010 | Valérie Devillechabrolle

Épargne retraite, complémentaire ou prévoyance : les régimes diffèrent encore entre catégories de salariés. Malgré un principe d’égalité et des contentieux nombreux.

En dépit d’un risque accru de redressement de la part des Urssaf et de la pression croissante des juges de la Cour de cassation, les entreprises font le gros dos en matière d’égalité de traitement. Pas question, en effet, de chambouler brutalement un dispositif de prévoyance complémentaire et a fortiori d’épargne retraite au motif que des différences subsistent entre catégories de salariés. « Malgré un gros battage médiatique et toutes les peurs que l’on agite, cela n’est pas le sujet de négociation prioritaire des employeurs », observe Jean-Philippe Allory, le nouveau directeur général délégué d’Adding. « Les entreprises sont prêtes à aller en justice plutôt que de remettre en cause leurs régimes », confirme David Rigaud, avocat du cabinet éponyme. À l’instar de ce groupe du CAC 40 qui vient d’obtenir du tribunal des affaires sociales des Hauts-de-Seine la reconnaissance du caractère collectif d’un régime d’épargne retraite supplémentaire réservé à ses 2 000 cadres supérieurs.

Cette décision pourrait bien inciter la direction de la Sécurité sociale, déjà en butte à un recours devant le Conseil d’État déposé par la FFSA sur ce sujet, à mettre encore davantage d’eau dans son vin. Après avoir affirmé dans sa circulaire de janvier 2009 que « ni les tranches de cotisation du régime complémentaire des cadres ni les coefficients de rémunération ou de classification n’ont vocation à définir des catégories objectives de salariés », celle-ci vient de proposer d’admettre que des régimes de retraite réservés « à au moins 20 % de l’effectif ou au moins 30 % de la catégorie visée » (cadres, agents de maîtrise, ouvriers…) puissent bénéficier d’exonérations de charges. Sans convaincre jusqu’à présent…

Terrain miné. Cette éclaircie mise à part, le terrain de l’égalité de traitement n’en est pas moins de plus en plus miné pour les entreprises. Pour avoir maintenu un régime de frais de santé spécifique à un établissement ou à un groupe fermé de salariés d’une entreprise rachetée, des entreprises ont subi les foudres des Urssaf. Surtout, les contentieux au nom de la notion de droit du travail « à travail égal, salaire égal » se multiplient. En particulier depuis que les juges de la chambre sociale de la Cour de cassation ont affirmé que « l’appartenance à une catégorie ne constitu[ait] pas à elle seule une raison objective à l’octroi d’un avantage particulier ». « Cela devient un effet de mode au point que tout est désormais matière à rupture d’égalité », reprend David Rigaud, en citant le cas de salariés alsaciens qui viennent d’attaquer leur employeur au motif que sa participation forfaitaire au régime de frais de santé induisait en réalité une inégalité à l’égard des personnels des autres régions, du fait des remboursements spécifiques au régime d’Alsace-Moselle.

Appliquée aux dispositifs de protection sociale, historiquement bâtis depuis 1947, sur des différences entre cadres et non-cadres, la position de la Cour de cassation donne le vertige : alors que beaucoup d’accords de branche en prévoyance lourde prévoient des taux de cotisation distincts – de l’ordre de 2,5 % pour les cadres et 1 % pour les non-cadres –, une harmonisation par le haut de ces seuls régimes représenterait un surcoût de l’ordre de 4,3 milliards d’euros, a estimé le cabinet d’actuariat Winter & Associés. « Impensable pour des employeurs qui pourraient ainsi être conduits à dénoncer massivement les accords et à renégocier les avantages des cadres à la baisse », prévient Pascale Ernst, responsable du pôle prévoyance du cabinet Fidal. Mais cette jurisprudence risque aussi de remettre en cause la validité de la signature des partenaires sociaux qui ont, depuis soixante ans, accepté conjointement les différences de traitement entre cadres et non-cadres, notamment. Enfin, « en poussant le raisonnement jusqu’au bout, les accords de branche n’existeraient plus, la caisse Agirc non plus », souligne de son côté David Rigaud.

Face à l’avalanche de ces conséquences potentielles, « les juges de la Cour de cassation ne sont pas à l’aise et attendent un contentieux spécifique à la protection sociale pour faire machine arrière », pronostique toutefois Frank Wismer, du cabinet Fromont Briens. Les entreprises n’en seront pas quittes pour autant car une autre source de contentieux pèse sur les régimes de prévoyance : celle liée à la différence d’accès aux prestations de prévoyance décès en fonction de la situation familiale des ayants droit. « Alors que nombre d’accords réservent encore ces garanties aux conjoints mariés, il y a là un vrai sujet d’équité », insiste Jean-Philippe Allory, d’Adding.

Pour autant, loin des prétoires, certaines grandes entreprises ne s’en sont pas moins lancées dans l’harmonisation de leurs régimes de santé prévoyance. Une démarche généralement de longue haleine : EADS, qui vient, le 1er avril, d’achever l’uniformisation de ses prestations santé entre cadres et non-cadres, s’était fixé cet objectif en… 2002. Un alignement par le haut rendu notamment possible par un pilotage très fin des remboursements qui a permis de dégager des excédents atteignant sur trois ans 25 % des cotisations annuelles.

De même, Dassault Aviation a décidé en 2006 d’harmoniser sa prévoyance lourde. « Compte tenu de l’évolution des mentalités, les différences de traitement sont de moins en moins tolérées, notamment face au risque décès », note Patricia Sevault, directrice des affaires sociales du groupe. Conséquence, le capital décès des 3 500 non-cadres a été, dès 2008, aligné sur celui des 4 500 cadres pour un surcoût pris en charge par l’entreprise de 600 000 euros. Dans un deuxième temps, l’harmonisation des structures de cotisation du régime frais de santé (600 000 euros) a été actée lors de la négociation annuelle obligatoire de 2009. Avant que soit abordée cette année l’uniformisation des taux de cotisation elle-même : « Cela va supposer d’augmenter le taux des non-cadres pour l’aligner sur celui des cadres », prévient Patricia Sevault. L’ultime étape sera pour la rentrée, avec l’harmonisation des prestations et des cotisations incapacité-invalidité. « L’entreprise ne pouvant pas endosser l’intégralité du surcoût, la discussion risque d’être plus difficile », anticipe-t-elle en voulant à tout prix éviter d’« entrer dans une comparaison cadres/non-cadres en termes de sinistralité ».

Quant au groupe pétrolier Total, il vient lui aussi de se doter d’un nouveau socle commun en incapacité-invalidité. À charge pour les 75 filiales détenues à plus de 50 % par le groupe d’engager d’ici à la fin juin des négociations pour faire bénéficier quelque 43 000 salariés de ces garanties plancher, avec l’obligation d’aboutir d’ici au 1er janvier 2013.

Auteur

  • Valérie Devillechabrolle