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La santé en mal de réformes

Dossier | publié le : 01.06.2010 | Caroline Fornieles

Depuis 2004, la recherche de maîtrise des dépenses de santé s’appuie surtout sur des transferts vers les complémentaires et les ménages. Les réformes structurelles ne sont toujours pas au rendez-vous. Faute de courage politique et de pilotage efficace.

Le 15 avril, 153 médicaments ont vu leur taux de remboursement baisser de 35 % à 15 %. Le forfait hospitalier est passé de 16 à 18 euros le 1er janvier. Cette année, le transfert des dépenses vers les assureurs complémentaires et les ménages a déjà atteint plus de 400 millions d’euros. Entre 2004 et 2008, la participation des familles a augmenté de 3 milliards d’euros du fait des dépassements d’honoraires, franchises, hausses du forfait journalier, pénalités sur le parcours de soins et déremboursements partiels de médicaments. En 2008, les usagers ont payé 20 milliards d’euros de leur poche pour leur santé. Et de nouveaux transferts sont attendus en 2011, notamment sur le poste médicaments. Comment tenir, en effet, un objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam) de 2,9 % quand la hausse naturelle des dépenses sera plutôt de 4 %?

Un désengagement croissant. Le constat est quasi général : on a atteint la limite. Les Français, qui financent l’assurance maladie par l’impôt, constatent une dégradation de leurs conditions de remboursement. Le désengagement est réel. La prise en charge de la dépense a diminué de 77 % avant 2004 à 75,5 % en 2008. Les remboursements étant logiquement concentrés sur les 9 millions de patients en affection de longue durée (60 % de la dépense totale), les soins courants ne sont plus pris en charge qu’à hauteur de 55 %. Pour Jean-Michel Laxalt, responsable de l’Institut Montparnasse, « on est vraisemblablement déjà sous la barre des 50 % quand on additionne l’ensemble des dépenses de santé en incluant les dépassements, le dentaire, l’optique et les soins aux personnes âgées ». Porte-parole du Collectif interassociatif sur la santé (Ciss), qui représente les associations de patients, Marc Paris s’inquiète : « Si le désengagement se poursuit, on va changer de système, l’assurance maladie se focalisant sur le gros risque, les Français devant s’assurer pour le petit risque. » Et, passé la barre des 40 %, le monopole de l’assurance maladie pourrait être légitimement contesté sur les soins courants.

Depuis 2004, les Français doivent aussi payer davantage pour leur assurance complémentaire. Les transferts, ajoutés à la forte croissance des dépenses (+ 3 à 4 % par an), ont renchéri les tarifs des complémentaires, qui ont augmenté en moyenne de 5 % par an dans la période. Et les assureurs ont réduit les niveaux de remboursement. Michel Charton, directeur santé d’Axa France, le reconnaît : « En assurance individuelle, les Français modestes ont opté pour des couvertures moins chères qui offrent moins de garanties. De même, beaucoup d’entreprises ont renégocié leurs accords collectifs santé pour réduire les prestations. » La mutualisation des remboursements, vertu cardinale des contrats collectifs, diminue au fil du temps. Un socle vendu à un prix modéré permet de mutualiser les dépenses de base et des options plus coûteuses peuvent être achetées individuellement pour compléter la couverture.

Ce sont les ménages modestes qui souffrent le plus de cette politique. « Les tarifs des complémentaires n’étant pas fixés en fonction des revenus, la dépense supplémentaire pèse plus sur les familles à faibles revenus. N’ayant pas les moyens de s’offrir un contrat qui rembourse correctement, elles ont le reste à charge le plus important. C’est aussi très injuste pour les personnes âgées, qui doivent payer plus pour s’assurer », commente Didier Tabuteau, directeur de la chaire santé de Sciences po. Le reste à charge moyen a été évalué à 1 000 euros par an pour les plus de 80 ans. Plus de 2,7 millions de ménages paient directement 943 euros par an pour les soins de ville et 1,5 million verse 500 euros pour l’hôpital. La situation est particulièrement injuste envers les ménages privés de complémentaire pour des raisons financières – soit la moitié des 8 % de Français qui en sont dépourvus. Près du tiers des personnes sans complémentaire déclarent déjà renoncer à des soins. Marc Paris, porte-parole du Ciss, souligne que 14 % des personnes ayant des revenus inférieurs à 800 euros n’ont pas de complémentaire. « La CMU ne prend en charge qu’une petite partie des Français qui sont sous le seuil de pauvreté. L’aide complémentaire santé (ACS) exclut trop de familles modestes et son mécanisme d’attribution reste trop complexe. » Fin 2009, elle ne concernait que 600 000 bénéficiaires sur les 2,3 millions potentiels. Autre défaut majeur de ces dispositifs : ils engendrent des effets de seuil.

Des aides fonction des revenus. Différents acteurs plaident pour le remplacement de la CMU et de l’ACS par des aides dégressives en fonction des revenus. Le député Jean-Luc Préel (Vendée, Nouveau Centre) veut relancer son ancienne proposition d’« aide personnalisée à la santé (APS) qui, à l’image de l’aide personnalisée au logement (APL), éviterait des effets de seuil insupportables ». Tandisque Jean-Pierre Davant, président de la Mutualité française, préfère la solution du crédit d’impôt : « C’est une urgence. La situation actuelle crée des difficultés d’accès aux soins, provoquant des retards de prise en charge qui peuvent devenir pernicieux, notamment pour les pathologies chroniques. »

Ces transferts vers les ménages réalisés depuis 2004 ont permis de cacher sous le tapis une partie de la croissance des dépenses. Mettre fin à cette stratégie des petits pas réclamerait un certain courage politique. Les mesures à prendre sont connues : déremboursement total de certains médicaments, limitation du recours inutile aux urgences et à l’hospitalisation, meilleure coordination entre médecine de ville, hôpital et secteur médico-social, développement de la prévention. Le gouvernement annonce simplement pour 2011 une maîtrise de la dépense par des mesures techniques. « Éviter le dépassement systématique de l’Ondam en gelant des dépenses ou en engageant plus rapidement des mesures correctrices, comme le propose le groupe de travail du conseiller maître à la Cour des comptes Raoul Briet, peut avoir son utilité, mais il faudra avoir le courage de réformer, commente Yves Bur, député UMP du Bas-Rhin. Toucher à certaines rentes n’a pas que de mauvais effets. Si nous n’avions pas développé les génériques, l’industrie pharmaceutique aurait peut-être moins innové. »

Plus d’efficacité. Des marges de manœuvre existent pour réaliser des économies. Brigitte Dormont, professeure à Paris-Dauphine, note que, « pour une dépense de 11 % du PIB, nos performances ne sont pas excellentes. On pourrait dépenser moins pour un niveau de soins identique ». Aux yeux de Michel Charton, d’Axa France, « il faut définir, comme en Espagne ou en Angleterre, un niveau de prestations qui réponde aux bonnes pratiques médicales, permette une meilleure répartition de l’offre de soins et soit cohérent avec nos capacités économiques ». La Mutualité plaide aussi pour des réformes radicales. Son président déplore que les soins soient encore organisés selon un schéma « datant de soixante-cinq ans ». « Peut-on rembourser des médicaments innovants sans dérembourser les anciens moins efficaces ? Est-ce qu’on va continuer à payer à l’acte les consultations alors que tous les autres pays sont passés au forfait ? À l’hôpital, il faut concentrer les activités sur des grands pôles pour améliorer l’efficience », estime-t-il. Pour sa part, le Ciss préconise d’imposer aux médecins un plafonnement des dépassements d’honoraires, qui provoquent à eux seuls un tiers du reste à charge des ménages. Les associations de patients sont favorables à une amélioration des revenus des médecins généralistes passant par des forfaits assurant un meilleur suivi médical. « Un patient mieux suivi fait moins de complications. Cela évite des hospitalisations coûteuses. La création d’un forfait pour le suivi de chaque patient incitera les médecins à s’installer dans des zones à faible démographie médicale, car chacun devra disposer d’une “patientèle” de taille suffisante », explique Marc Paris.

Pour réorganiser le système de façon à le rendre moins onéreux, on manque toujours d’un pilotage efficace. Ce déficit pourra-t-il être corrigé par la mise en place récente des agences régionales de santé (ARS) ? Rien n’est moins sûr. L’État ne pourra s’abstenir d’afficher les objectifs sur ce qu’il faut rembourser, les secteurs où l’on doit investir, les restructurations que l’on doit opérer. « Sans cette clarté, les contestations bloqueront les réformes », souligne l’économiste Claude Le Pen (université Paris-Dauphine). Autre souci : lors du vote de la loi hôpital, patients, santé et territoires, les mesures visant à améliorer la répartition ? des médecins sur le territoire ont été amendées et la liberté d’installation réaffirmée. « L’intérêt de la réforme, qui permettait aux agences de gérer conjointement hôpital et médecine de ville, est largement perdu », déplore Jean-Michel Laxalt.

En imaginant que les réformes nécessaires soient conduites, il ne faut pas rêver : les dépenses continueront d’augmenter. Didier Tabuteau pronostique une hausse naturelle de l’ordre de 1 point de PIB d’ici à dix ans du fait du vieillissement, de prises en charge plus précoces et des innovations médicales pour traiter les maladies chroniques. Une augmentation des prélèvements sera donc nécessaire. « D’ici à dix ans, il faudra augmenter de 1,5 point la CSG. Sinon, les transferts continueront et on laissera des déficits abyssaux à nos petits-enfants », ajoute Didier Tabuteau. Le gouvernement, qui ne veut pas pénaliser la croissance, n’envisage pour l’instant qu’une hausse des prélèvements très limitée, en s’attaquant simplement aux niches fiscales et sociales (voir encadré ci-contre). Mais une consolidation des recettes de l’assurance maladie, accompagnée des réformes nécessaires, pourrait être, à l’inverse, considérée comme un investissement, facteur de croissance.

Les niches fiscales et sociales sur la sellette

Le gouvernement ambitionne de nouveau de s’attaquer aux niches fiscales et sociales pour économiser 5 milliards d’euros en deux ans. Deux stratégies sont avancées : diminuer globalement le niveau d’exonérations ou supprimer un bouquet d’entre elles. Deux députés de l’UMP, Gilles Carrez (Val-de-Marne) et Yves Bur (Bas-Rhin), proposent même de « faire les deux ». Les instituts de prévoyance et les assureurs privés s’inquiètent. « Ces avantages permettent la couverture de plus de 40 % des Français, dont certains font partie des plus modestes. Si on les supprime, on renchérit de 20 à 30 % le coût de la complémentaire santé. Les entreprises limiteront la protection sociale à la prévoyance, plus simple à gérer. Les contrats santé seront moins mutualisés et plus systématiquement construits avec des options », estime Jean-Louis Faure, délégué général du Centre technique des institutions de prévoyance (CTIP). « Cette décision serait dommageable pour l’accès aux soins de beaucoup de Français. Si on détruit ces modèles, il faut se demander par quoi ils seront remplacés », conclut Michel Charton, directeur santé d’Axa France.

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  • Caroline Fornieles